Congrès de l’ACFAS

La télé québécoise sous la loupe des chercheurs

Biologie, sciences sociales, mathématiques, éducation, génie : le congrès de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS) bat son plein à Saguenay, réunissant plus de 3000 chercheurs d’une trentaine de pays. Toute la semaine, La Presse couvrira cette grand-messe de la science en français.

La voix, Unité 9, Série noire, Les pays d’en haut : la télé québécoise a été passée au crible par les scientifiques cette semaine au congrès de l’ACFAS. Compte rendu des analyses de certaines émissions populaires.

Série noire 

autopsie d’un  « ovni télévisuel »

Même si elle a perdu la guerre des cotes d’écoute face à sa rivale Les jeunes loups, Série noire est devenue une série-culte qui a conquis les critiques et compte son lot de fans finis. Dans une présentation intitulée « Bienvenue dans le Marc Arcand World », l’étudiante Ariane Thibault-Vanasse, de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), a tenté de comprendre cette œuvre qu’elle a qualifiée d’« ovni télévisuel ». Réutilisation des codes du film noir, série télé qui parle d’une série télé, références diverses (Mme Thibault-Vanasse y a notamment vu des clins d’œil à Die Hard, Les dents de la mer 2 et Rocky 4) : l’étudiante observe que la série compte une narration complexe caractérisée par les brisures de ton.

Les amateurs de cinéma jettent souvent un regard condescendant vers la télévision, mais certaines séries télé ont réussi à conquérir les critiques et à devenir « légitimes ». C’est manifestement le cas de Série noire. Selon Mme Thibault-Vanasse, c’est surtout le fait de mettre en vedette les auteurs de la série, François Létourneau et Jean-François Rivard, qui a créé cette légitimation.

« L’auteur devient alors une figure vedette. Sa signature compte et devient comme la signature d’un tableau ou comme celle d’un réalisateur de films », dit Mme Thibault-Vanasse. Les journalistes ont aussi beaucoup mis en opposition Série noire avec la série Les jeunes loups, qui occupait la même case horaire, ce qui a aussi contribué à la légitimer. Mme Thibault considère finalement Série noire comme une « réflexion critique sur les modes de production, de réception et de diffusion de la télévision ».

Les pays d’en haut

un western de façade

Séraphin Poudrier serait-il un cowboy ? Bagarres dans des tavernes, déploiement d’un chemin de fer, conquête d’un nouveau territoire : la nouvelle version du téléroman Les pays d’en haut emprunte en tout cas plusieurs codes au western. Les auteurs de la série ont d’ailleurs tissé des parallèles avec la série américaine Deadwood qui ont été largement repris par les critiques de télévision.

« Les westerns montrent la conquête de l’Ouest, Les pays d’en haut montre la conquête du Nord québécois », explique Thomas Carrier-Lafleur, chargé de cours en études cinématographiques à l’Université de Montréal. Ce fort accent mis sur l’aventure détonne d’ailleurs par rapport à la version originale Les belles histoires des pays d’en haut, « qui était très bavarde et où il ne se passait pas grand-chose », rappelle M. Carrier-Lafleur.

Mais Les pays d’en haut est-il pour autant un véritable western ? Non, estime M. Carrier-Lafleur.

« Fondamentalement, quand on va au fond des choses, le western est censé montrer un monde qui se transforme, qui passe de l’état sauvage à l’état civilisé. Or, Les pays d’en haut ne montre pas ce changement. Ce sont toujours les mêmes choses qui se répètent, et les personnages restent les mêmes. Séraphin dit tout le temps qu’il va changer, mais il ne change pas. »

Bref, pour le chercheur, Les pays d’en haut est un « western en surface ». « On a l’enrobage western, mais sans sa dimension fondamentale », résume-t-il.

Unité 9

audace bien dosée

Des personnages (pensons à Shandy) qui assument pleinement une sexualité forte et érotisée. Du sexe lesbien – et qui ne sert pas, pour une fois, de fantasme masculin. De la violence sexuelle, qui culmine évidemment par la scène du viol collectif de Jeanne qui a choqué nombre de téléspectateurs. Unité 9 nous a entraînés bien loin des bonnes vieilles normes hétérosexuelles. Pour une série diffusée à Radio-Canada et destinée à un large public, c’était précurseur, soulignent Julie Beaulieu, professeure en études cinématographiques à l’Université Laval, et Aurélien Cibilleau, doctorant en littérature, arts de la scène et de l’écran au même établissement.

Mais les chercheurs relèvent que cette audace était savamment dosée. Les bris de tabous sexuels survenaient dans une trame sinon assez traditionnelle, où des dimensions comme la maternité étaient mises de l’avant. « Ce sont ces normes qui ont servi d’ancrages et de repères et qui ont permis d’aller plus loin. Unité 9 n’est donc pas totalement en rupture avec la tradition télévisuelle, mais est dans une logique de compromis », dit Aurélien Cibilleau.

Les chercheurs considèrent en fait Unité 9 comme à mi-chemin entre la série télé, plus cinématographique et innovante, et le téléroman traditionnel, davantage basé sur le dialogue et le mélodrame.

« La stratégie s’est avérée payante et a ouvert des portes », estime Julie Beaulieu, qui souligne que des scènes sexuelles taboues sont ensuite apparues dans d’autres séries comme Fugueuse.

La voix

Les secrets d’un succès

Pourquoi les Québécois sont-ils friands de La voix ? Pour Anne Côté, étudiante à la maîtrise en communication à l’UQAM, l’une des raisons est que l’émission joue un double jeu. D’abord, elle permet au public de s’identifier à des candidats qui pourraient être monsieur et madame Tout-le-Monde. Puis, graduellement, elle propulse ces candidats au statut de vedette, les faisant entrer dans un star-system dont le public raffole. « La voix est à la fois un miroir dans lequel les gens peuvent se reconnaître et une vitrine pour regarder des célébrités », explique Mme Côté.

L’étudiante montre que la transition entre « l’ordinaire et l’extraordinaire » passe notamment par la famille. Au début, on montre beaucoup la famille du candidat. « Graduellement, la famille s’efface parce que la personne va être intégrée à la grande famille du show-biz », explique Anne Côté. Le public accepte le statut de vedette des candidats parce qu’ils les a vu travailler et franchir différentes épreuves. « On se dit qu’ils méritent leur place », dit-elle.

Élaboré aux Pays-Bas, le concept de La voix est particulièrement populaire au Québec, où il attire des parts de marché plus élevées que dans n’importe quel autre pays. Selon Mme Côté, cela pourrait être attribuable à la proximité du public québécois avec son star-system, ce qui fait qu’on s’intéresse aux candidats même une fois qu’ils ont accédé à la gloire.

Congrès de l’ACFAS

Quand les ados amoureux versent dans la cyberviolence

Partage de photos sexuelles non désiré, fausses rumeurs propagées sur les réseaux sociaux, chantage affectif, menaces : pas moins de 35 % des ados en couple vivent de la cyberviolence, révèle une étude menée par des chercheurs de l’Université du Québec à Chicoutimi.

Les chiffres ont été obtenus en soumettant des questionnaires à des adolescents de 14 à 18 ans qui avaient vécu une relation amoureuse au cours de la dernière année.

« Les jeunes ne sont souvent même pas conscients de ce qui se passe. Lorsqu’on leur demande s’ils ont déjà été victimes de violence, ils répondent non. Mais lorsqu’on pose des questions spécifiques à savoir si des fausses informations ont été véhiculées à leur sujet ou s’ils sont victimes de dénigrement, le portrait change », explique Jacinthe Dion, professeure de psychologie à l’Université du Québec à Chicoutimi.

La violence sous toutes ses formes (physique, psychologique ou sexuelle) touche quant à elle 58 % des ados lors des relations amoureuses. Les filles en sont plus souvent victimes que les garçons (63 % contre 49 %). Fait à noter, les agresseurs se changent souvent en victimes, et vice versa : 42 % des ados ont à la fois subi et infligé de la violence, contre seulement 10 % qui sont seulement victimes et 7 % qui sont seulement agresseurs.

« On réalise que la violence est vraiment mutuelle. »

— Jacinthe Dion, professeure de psychologie à l’Université du Québec à Chicoutimi

La chercheuse a voulu voir si une activité de sensibilisation appelée « Couloir de la violence amoureuse », qui prend la forme d’une installation dans laquelle les ados regardent des vidéos sur le phénomène, permet d’atténuer la violence.

« Nos recherches suggèrent que ce n’est pas suffisant, explique Mme Dion. On pense qu’il faudra aussi former les enseignants et les intervenants pour qu’ils sachent comment intervenir s’ils sont témoins de quelque chose. »

L’intimidation liée au poids plus présente au secondaire

Les enfants jugés trop gros (ou trop maigres) par les autres sont les plus susceptibles d’être victimes d’intimidation. Et une recherche montre que le phénomène est beaucoup plus présent au secondaire qu’au primaire.

« Au primaire, les enfants ont tendance à dire : on s’accepte tous et on s’aime tous. Le message voulant qu’il faut accepter tout le monde et qu’il faut avoir de bonnes relations interpersonnelles passe généralement bien. Au secondaire, ce n’est plus la même chose », constate Annie Aimé, professeure en psychologie et en psychoéducation à l’Université du Québec en Outaouais.

Avec l’arrivée de la puberté, les enfants deviennent beaucoup plus conscients de leur image corporelle et de celle des autres. Et ce n’est pas seulement les ados en surpoids qui s’attirent les quolibets. « On a une bonne proportion de jeunes qui se font intimider à cause de leur maigreur, révèle Mme Aimé. C’est particulièrement vrai chez les garçons, chez qui l’idéal à atteindre, au Québec, est d’être grand et costaud. »

Des recherches antérieures ont montré que 90 % des adolescents de 14 à 18 ans ont déjà été témoins d’intimidation liée au poids, contre à peine 15 % au primaire.

La professeure Aimé mène maintenant des entrevues auprès des jeunes pour comprendre leurs perceptions par rapport au poids. Elle note que les jeunes du primaire, qu’ils soient témoins ou victimes d’intimidation, ont beaucoup plus souvent le réflexe d’en parler à des adultes que les adolescents.

« Au secondaire, on veut régler ça entre nous. La figure de l’adulte est beaucoup moins rassurante », constate la chercheuse. Les adultes ont d’ailleurs eux aussi besoin d’être sensibilisés. Les entrevues menées auprès des enseignants ont montré qu’ils n’ont pas tendance à tenir les enfants responsables de leur surpoids… mais qu’ils blâment souvent les parents !

« Si on blâme les parents, ça n’aidera pas l’enfant, laisse tomber la chercheuse. Je pense qu’il va falloir qu’on travaille tout le monde ensemble. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.