Chronique 

Vaillancourt a-t-il vraiment des remords ?

Le 27 mars 2012, vers 16 h, Gilles Vaillancourt cognait à la porte de ma maison. Il voulait parler à ma femme, organisatrice d’une manifestation prévue avec des dizaines de voisins de Laval, quelques minutes plus tard.

L’objet du litige : la construction d’un gros immeuble de condos de cinq étages dans notre rue, peuplée de petits bungalows, de cottages et de duplex.

L’homme est apparu tel qu’il est, habile, charmeur, mais arrogant. Il s’est mis à raconter sa profonde connaissance de ce quartier de son enfance, ses longs états de service et les raisons techniques qui justifiaient la construction de cet édifice qui allait défigurer la rue, comme bien d’autres à Laval.

« Mais qu’est-ce que vous voulez au juste, M. Vaillancourt ? Pourquoi êtes-vous ici ? », lui a demandé ma femme, intimidée. Le maire lui a finalement promis de rencontrer quelques citoyens mécontents la semaine suivante pour discuter de la bâtisse. La rencontre a eu lieu, mais pour diverses raisons, le projet n’a pas été bloqué.

Cette anecdote en dit long sur l’ex-maire de Laval. 

L’homme connaissait ses dossiers dans les moindres détails, se souciait des plaintes de ses citoyens pour des nids-de-poule et d’autres petits problèmes. En même temps, il se comportait en monarque, sûr de lui, complaisant.

Hier, au tribunal, son attitude a bien illustré la nature de l’homme. Gilles Vaillancourt a convenu qu’il avait commis des gestes inacceptables, mais a tout de même souligné qu’il avait « accompli de grandes choses » pour Laval.

Surtout, le processus au terme duquel il a plaidé coupable laisse planer des doutes sur la sincérité de ses remords. Certes, le maire déchu a pris le temps de faire son mea-culpa, rapporte ma collègue Kathleen Lévesque. « Je regrette très sincèrement la peine que j’ai imposée à ma famille, mes amis et, surtout, aux citoyens de Laval. Je ressens une grande douleur et je sais que cette douleur-là va peut-être m’accompagner jusqu’à la fin de ma vie. »

Cependant, cette déclaration avait été précédée d’un curieux imbroglio. Au départ, il s’était dit coupable, mais avait aussi affirmé que ses gestes n’étaient pas teintés d’« intentions criminelles ». Pardon ?

Traduction libre : Chers Lavallois, je dois plaider coupable pour protéger ma famille, mais en réalité, j'avais orchestré ce beau système de corruption pour mieux gérer la Ville, et non dans une intention criminelle. Je vous ai escroqués pour votre bien.

Le juge a coupé court à son manège, l’obligeant à reconnaître ses intentions criminelles, sans quoi l’entente tombait, ce qu’il a fait un peu plus tard.

Comment Vaillancourt peut-il nier la criminalité de ses gestes, sachant l’énormité de ses actes ? Comment croire à ses remords aujourd’hui alors qu’il a persisté dans son système de corruption pendant des années, même si les médias publiaient des histoires ? 

N’aurait-il pas dû avoir des remords quand il transférait des fonds en Suisse après avoir floué ses concitoyens ?

La preuve de la Couronne contre l’ex-maire ne peut être dévoilée puisqu’elle servira dans le dossier de la trentaine d’autres accusés. Toutefois, on peut affirmer que le maire participait à un système de ristournes que devaient verser des entrepreneurs et des firmes d’ingénierie pour obtenir des contrats de la Ville. La fraude se chiffre en dizaines de millions de dollars.

Au cours des prochaines semaines, le juge doit approuver l’entente de six ans de prison et d’un versement de 8,5 millions conclue entre ses avocats et la Couronne. Six ans, cela semble relativement clément, considérant que Gilles Vaillancourt était l’un des principaux protagonistes de cette fraude depuis de nombreuses années.

En comparaison, d’autres criminels à cravate non violents ont eu bien davantage. Vincent Lacroix a écopé de 18 ans de prison pour une fraude de plus de 100 millions avec Norbourg. Earl Jones a eu 11 ans et Ronald Weinberg (Cinar), 9 ans. Lacroix et Jones ayant finalement purgé bien moins (3 ans et 4 ans), Vaillancourt pourrait sortir de prison bien avant le terme de sa peine.

Il faut dire que l’ex-maire a accepté des conditions sévères quant à la somme de 8,5 millions à rembourser. Il a dû ouvrir tous ses livres et accepter que si jamais d’autres sommes étaient découvertes après son décès, sa famille devrait en répondre.

Essentiellement, les autorités ont récupéré ou sont sur le point de récupérer 6,9 millions provenant de ses comptes bancaires en Suisse, en plus d’un chèque de 300 000 $ d’un compte local. Son condo de 1 million de dollars de Laval est également saisi, et il renonce à 500 000 $ de son fonds de retraite de Laval.

Pour les citoyens, cette affaire donne des haut-le-cœur. En espérant que cette condamnation de Gilles Vaillancourt fasse bien comprendre à tous nos élus et à tous les entrepreneurs que tôt ou tard, même les monarques sont punis pour leurs fraudes.

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