100 idées pour améliorer le Québec L’éducation en tête

Les filles aussi décrochent

Au Québec, une fille sur huit quitte l’école avant l’obtention d’un diplôme d’études secondaires1.

À Montréal, cette proportion passe à une sur six ; en 2014, 43 % des décrocheurs montréalais étaient… des décrocheuses ! Avec des facteurs précipitant leur décrochage qui sont invisibles à l’entourage, les filles vulnérables passent souvent sous le radar.

Conjuguer des actions spécifiques pour la prévention du décrochage des filles aux efforts déployés pour les garçons constitue l’une des voies à emprunter pour faire avancer le Québec.

Frôlant le 30 % début 2000, le taux alarmant de décrochage de nos garçons a suscité une prise de conscience collective dépassant largement le milieu de l’éducation. Les efforts de sensibilisation et de mobilisation qui en ont découlé portent leurs fruits : le taux a chuté de 10 points en 10 ans. 

Parallèlement, le taux de décrochage de nos filles a diminué moins rapidement, soit de 5 points seulement sur la même période. Les taux de décrochage qui aujourd’hui se voisinent confirment la nécessité d’ajouter un regard spécifique à la réalité des filles à la poursuite des actions de prévention auprès des garçons.

Conséquences économiques du décrochage : les décrocheuses plus durement touchées

Les conséquences individuelles du décrochage sont lourdes pour tous les décrocheurs, et ce, autant sur le plan économique que psychosocial. Cependant, la précarité et la pauvreté accableront davantage les décrocheuses : la moyenne de la rémunération annuelle des individus sans diplôme d’études secondaires voisine les 36 000 $ pour un homme et 23 000 $ pour une femme2 – un écart de 13 000 $.

Déjà fragilisante, cette situation peut s’avérer le début d’un triste cycle : si cette décrocheuse devient mère, ses enfants auront un risque accru d’abandonner leurs études. Agir auprès des filles vulnérables, c’est réduire le potentiel d’un décrochage intergénérationnel.

Facteurs de risque invisibles : les difficultés relationnelles des filles

Les filles ont une propension plus grande que les garçons à décrocher à la suite de difficultés dans leurs relations avec leurs proches (famille, amis, amoureux)3. C’est l’un des constats d’une récente étude sur les facteurs de stress pouvant précipiter le décrochage, menée par Véronique Dupéré, professeure à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal.

Peu extériorisées, ces difficultés restent souvent invisibles, tant aux proches qu’au personnel scolaire et périscolaire. À l’opposé, l’agressivité souvent associée aux facteurs pouvant précipiter le décrochage des garçons rend ceux-ci plus faciles à repérer.

L’étude de Mme Dupéré révèle également que les relations conflictuelles avec les pairs vécues par les filles sont souvent teintées de violence à caractère sexuel, verbale (appellations humiliantes) ou physique (agressions dans les relations amoureuses et sexuelles).

Par conséquent, tout intervenant qui se penche sur les difficultés invisibles des filles contribue à mettre au jour des situations à risque qui pourront être prises en charge en amont.

De plus, porter attention au climat des milieux de vie des jeunes et promouvoir des relations saines, égalitaires et respectueuses entre pairs, en classe comme autour de l’école, favorisent le mieux-être des filles.

Les élèves qui adhèrent le plus aux rôles sociaux genrés sont aussi ceux qui décrochent le plus

Tournoi de soccer pour les garçons, atelier artistique pour les filles : nombre d’interventions visant à joindre les jeunes utilisent comme accroche les intérêts traditionnellement associés au genre. Cependant, résister à cette tentation revêt une grande importance, particulièrement pour les jeunes vulnérables. Car si la recherche confirme que ceux-ci adhèrent de façon plus marquée aux stéréotypes sexuels – les rendant effectivement susceptibles d’avoir des intérêts pour ces activités, le Conseil supérieur de l’éducation rappelait déjà en 1999 que les élèves qui adhèrent le plus fortement aux rôles sociaux genrés sont aussi ceux qui décrochent le plus.

Heureusement, l’inverse est aussi validé : diminuer les références aux stéréotypes sexuels augmente les chances de réussite.

Donc, sans éliminer toute activité à caractère plus traditionnel, y ajouter une offre plus égalitaire – par exemple, en s’assurant de proposer des activités physiques et sportives aux filles et des activités artistiques et socioculturelles aux garçons – est assurément un bon point de départ pour contrer les fragilités des jeunes et favoriser la réussite de ceux-ci.

Pour avancer, le Québec doit prendre soin de tous ses jeunes, et davantage des jeunes vulnérables. Et parmi ces jeunes vulnérables, n’oublions pas les filles, qui trop souvent restent invisibles.

1 Taux 2013-2014, secteur public 

2 Institut de la statistique du Québec, Annuaire québécois des statistiques du travail : portrait des principaux indicateurs du marché et des conditions de travail, 2006-2016, volume 13, mars 2017 

3 Dupéré, V. et Lavoie, L., Circonstances entourant le décrochage scolaire des filles et des garçons de Montréal et de régions avoisinantes, École de psychoéducation, Université de Montréal – sommaire préparé dans le cadre de l’événement « Le décrochage scolaire chez les filles à Montréal » de Réseau réussite Montréal, 2018

* Cosignataire : Virginie LeFrançois, responsable des communications et des Journées de la persévérance scolaire au Réseau réussite Montréal

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L’école, pour les garçons aussi ?

Les garçons réussissent moins bien et moins rapidement que les filles à l’école.

Les gars échouent davantage de cours, abandonnent plus souvent, ne reçoivent pas leur diplôme dans les délais prévus et se retrouvent plus nombreux dans les groupes en difficulté, les cours de mise à niveau et les cheminements particuliers.

Au primaire et au secondaire, ils obtiennent un plus haut taux de diagnostic d’hyperactivité et de dyslexie. Ils subissent plus souvent des mesures disciplinaires et, au collégial, ils sont plus nombreux à signer des contrats de réussite.

Depuis plus de 30 ans, on a mis en place diverses expériences pour favoriser la réussite des garçons à différents niveaux dans les écoles primaires et secondaires. Les résultats sont souvent mitigés. Et les tentatives rarement reprises à la grandeur de la province.

Au lieu de s’attarder à soulever les problèmes, tentons de proposer quelques solutions simples qui pourraient favoriser la réussite des garçons sans nuire à celle des filles.

Père demandé d’urgence

Les pères devraient jouer un rôle majeur dans l’éducation de leurs enfants, garçons ou filles. Malheureusement, ils ne sont pas assez nombreux à s’investir et ils ne passent pas assez de temps avec leurs enfants afin de les aider à terminer leurs devoirs. De plus, ils n’assistent pas souvent aux réunions d’école. Des pères plus présents favoriseraient la réussite scolaire, autant des garçons que des filles.

Valoriser par l’exemple

Valoriser le succès scolaire des garçons par l’exemple. On pourrait organiser à l’école des rencontres avec des hommes qui ont eu du succès dans leur vie professionnelle parce qu’ils ont réussi leurs études, et les faire intervenir plus souvent dans le milieu de l’enseignement.

Revisiter les modèles masculins

Dévaloriser les modèles masculins de déviance sociale et de violence véhiculés au cinéma et dans les jeux vidéo tout en revalorisant l’image de l’homme responsable, éduqué et bien dans sa peau. On pourrait mettre sur pied des campagnes de sensibilisation en ce sens.

Promouvoir les méthodes sportives gratifiantes

Motiver les élèves en s’inspirant de méthodes sportives gratifiantes plutôt que de vieilles méthodes de discipline militaire punitive. Ainsi, promouvoir les défis personnels, la compétition, l’esprit d’équipe, les prix, etc., dans les règles de vie de l’école plutôt que les retenues, les réprimandes, les devoirs supplémentaires.

Arrêter après les classes

Le moins de devoirs possible. C’est en classe que tout se passe. Ne pas supposer que les gars et les filles vont se discipliner eux-mêmes et assumer la responsabilité de prolonger l’apprentissage scolaire à l’extérieur de l’établissement qu’ils fréquentent de trop longues heures quotidiennement.

Diversifier les stratégies pédagogiques

L’apprentissage actif et la pédagogie inversée et par projets permettent de motiver les garçons comme les filles. L’utilisation d’outils technologiques en classe peut également rejoindre les diverses sensibilités et les multiples styles d’apprentissage.

Valoriser la formation professionnelle

La valorisation de la formation professionnelle pourrait permettre un cheminement scolaire adapté aux élèves moins doués pour les études, gars ou filles. Ce serait également un moyen de lutter contre le décrochage scolaire et les abandons. De plus, cela favoriserait la réussite et l’estime de soi des élèves pour des métiers gratifiants et essentiels pour la société.

Bouger davantage

Un esprit sain dans un corps sain. Faire bouger les garçons comme les filles aide à la concentration en plus d’évacuer le trop-plein d’énergie des jeunes. On pourrait ajouter davantage de cours d’éducation physique à l’école et consacrer plus de temps aux activités physiques en général, en augmentant le temps des récréations et les activités parascolaires sportives, par exemple.

Mieux enseigner les langues

Mettre moins l’accent sur les sanctions en langue d’enseignement dans le cheminement scolaire des élèves. L’uniformisation par les examens et l’importance démesurée qu’on accorde actuellement à l’acquisition des habiletés de base en langue nuit aux chances d’intégration des garçons à l’école.

Beaucoup d’études montrent que l’acquisition des habiletés langagières des garçons et des filles ne suit pas le même rythme.

En général, les gars prennent plus de temps à maîtriser les rudiments du langage et la motricité fine.

Si, dès l’entrée à l’école, on discrimine les enfants sur cette base, on disqualifie presque d’office la majorité des garçons, qui seront en retard sur les filles. Cela les stigmatise par la suite tout au long de leur parcours scolaire.

Proposons un moyen plus graduel et mieux adapté d’enseigner les langues qui ne pénaliserait pas les garçons en les confrontant dès le primaire à une normalisation extérieure à leur condition. Une valorisation de l’éducation, de la lecture et de l’écriture qui passe par l’exemple et le plaisir pourrait être davantage appropriée pour les gars que les sanctions et la conformité à une norme. Plusieurs filles pourraient d’ailleurs tirer profit de cette approche plus ouverte et moins contraignante.

N’oublions pas que les difficultés scolaires des garçons touchent également une partie des filles qui vivent avec les mêmes problèmes d’apprentissage.

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