Le jour de Rabii

4,5 doses de sexe par mois

La vie d’adulte consiste majoritairement à attendre de pouvoir quitter des endroits où tu ne veux pas être. Qu’est-ce que tu fais vraiment par envie ?

La sieste est une commande du corps. La nuit de sommeil est une commande de la société.

Tu fais une sieste quand t’es fatigué. T’es jamais obligé, mais t’en as envie.

Tu fais la sieste le jour. Dimanche à 13 h. Les stores levés. Sur le tapis. Tu baves dessus. Tu blâmes le chat. Il ne peut pas se défendre, le cave.

Tu siestes quand ça te prend. Pour combler un besoin immédiat.

Bénis sont ceux qui ont le luxe de s’autoriser toutes les siestes qu’ils désirent. C’est un luxe, toujours pouvoir écouter son corps.

Au contraire de la sieste, la nuit de sommeil, elle, respecte un cadre structurant. T’as pas toujours sommeil à 23 h. Et tu ne te couches pas nécessairement à 23 h pour te reposer là, mais bien pour ne pas être fatigué le lendemain.

Alors tu te forces, même si ça ne te tente pas. Porte fermée pour bloquer le bruit. Stores baissés pour bloquer la lumière. Obscurité totale. T’es asservi, presque. Comme une perruche. Mais avec un CELI.

Plus jeune, le sexe se consomme comme la sieste, sans balises. Quand tu veux. Le jour. Dimanche à 13 h. Les stores levés. Sur le tapis.

Ils font l’amour le samedi, les gentils. Ils font ça n’importe quand, les méchants. Plus jeune, t’es méchant quand tu veux et t’es gentil quand il faut.

Plus vieux, le sexe intègre un cadre structurant, comme celui de la nuit de sommeil. Quand tu peux et quand ça ne nuit pas au reste.

Le danger : t’as pas toujours envie quand tu peux. Et tu peux pas toujours quand t’as envie.

« There’s a pill for that. » Expression américaine qu’on sert en réponse à un comportement que l’on trouve anormal. En 2015, « there’s a pill » pour toute.

Pour quand il faut mais que t’as pas envie : après celui pour hommes, le Viagra pour femmes. Flibansérine. Son nom cute : Addyi.

Octobre 2010, la FDA affirme que le médicament ne passe pas. Liste d’effets secondaires longue comme mon bras et le tien et le sien mis bout à bout.

Cinq ans plus tard, août 2015, ça passe. Magie. Pas vraiment, ça passe après une « intense campagne de lobbying ». Pas moi qui le dis, c’est le New York Times.

Il fait des miracles, ce médicament : les femmes qui l’ont essayé ont vu leurs rapports sexuels satisfaisants passer de 2,8 à 4,5 fois par mois. Wow ! Rangez vos chums, les filles.

À noter, celles prenant un placebo sont passées de 2,8 à 3,7 fois par mois.

Ça va bientôt faire un an qu’on se parle, mais ça se peut que tu ne le saches pas encore ; je suis fan fini de Sex and the City.

C’était fin des années 90, mais je me demande comment l’auteur principal, Michael Patrick King, aurait intégré le Viagra pour femmes à la série.

Un moment où ç’aurait été pertinent, c’est quand Steve et Miranda n’avaient plus de vie sexuelle. Miranda, avocate, et Steve, barman.

Horaires opposés. Miranda refuse toute avance. Steve finit par avoir une aventure.

La frigide Miranda Hobbes sur le Viagra pour femmes. Pour soigner son « trouble du désir sexuel hypoactif ».

Apparemment, le manque de désir est un trouble mental. On le retrouve dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux jusqu’en 2013.

Après 2013, on le rebaptise « désordre de l’éveil sexuel féminin ».

C’est là que j’aurais mis du Viagra pour femmes dans Sex and the City.

Le Viagra pour hommes, j’en aurais donné à Trey. Trey et Charlotte n’arrivaient pas à tabasser le mur avec la tête de lit. Trey ne bandait pas. Mr. Freeze toujours mou.

Les amies de Charlotte lui ont dit d’attacher un ruban autour de son pénis pendant la nuit. Comme ça, si le lendemain matin, le ruban est déchiré, ça signifie que le blocage n’est pas physique, mais mental.

Le lendemain ; ruban déchiré, Trey peut bander, mais pas pour Charlotte.

Le gars a pas juste pas envie.

La cause la plus courante de dysfonction érectile, c’est les artères du pénis qui ne se dilatent pas assez quand le cerveau envoie le signal que c’est le temps de faire comme chez vous.

C’est physique.

Le Viagra pour hommes envoie du sang là où il faut quand tu lui en fais la demande.

La version pour femmes joue dans le cerveau. Elle diminue la sérotonine et augmente la dopamine.

Une pilule chaque et vous serez normaux. Une pilule pour celle qui peut baiser mais qui ne veut pas. Et une pilule pour celui qui veut mais qui ne peut pas.

Voici ce qui m’ennuie : le sexe n’est pas un bien dont la consommation est standardisable et régularisable.

Avant de faire ce que je fais aujourd’hui, j’étais en design industriel. Répondre à un besoin est au centre du développement de n’importe quel produit. Quand on ne répond pas à un besoin, on en crée un.

Soit ça, soit on crée une envie qui finit éventuellement par devenir un besoin.

Ça marche moins bien pour certains produits, comme le Segway, dont l’inventeur est décédé en 2010. Sur un Segway.

Ça marche pour d’autres produits. Comme l’iPod. Première campagne publicitaire : mille chansons dans ta poche. C’est devenu ça, le standard.

Combien de sexe est assez de sexe ? Faut dormir huit heures. Combien faut baiser ?

Décidez, corporations. J’ajusterai chimiquement l’envie pour respecter le standard.

Tout est à propos du sexe, sauf le sexe. Le sexe est à propos de tout le reste.

Ils font l’amour le samedi, les gentils. Ils font ça n’importe quand, les méchants.

Qu’est-ce qui est arrivé à « j’ai pas envie » ?

Voici ce qui est arrivé : « j’ai pas envie » vient maintenant avec une posologie.

Pour qu’on puisse tous avoir nos 4,5 doses de sexe par mois.

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