« Employés fantômes » à l’Assemblée nationale

Le commissaire à l'éthique a ouvert une enquête sur deux députés de la Coalition avenir Québec dans la foulée d'allégations d'une ex-employée qui soutient avoir fait du travail partisan alors qu'elle était rémunérée avec des fonds publics.

Analyse

Une pratique répandue depuis longtemps

Ils arrivaient au parlement après les heures de bureau. On aurait pu croire à une escouade d’employés affectés à l’entretien ménager. En fait, ils étaient payés par le Parti québécois pour faire des sondages téléphoniques. À l’époque, dans les années 90, les frais d’interurbains étaient élevés ; nos sondeurs, à partir des bureaux de députés, pouvaient couvrir le Québec sans frais.

Tous les partis politiques ont rivalisé d’astuces pour refiler à l’Assemblée nationale, donc aux fonds publics, des factures qu’ils auraient dû assumer. Il n’y a pas de petit profit.

Encore aujourd’hui, des députés qui représentent des circonscriptions en dehors de la région de Québec touchent l’allocation annuelle de 15 000 $ pour leurs séjours dans la capitale alors qu’ils y ont leur résidence principale. Des stratagèmes parfois triviaux – ainsi, une députée libérale, qui n’est plus en politique, remplissait le coffre de son auto de fournitures de bureau destinées à son bureau de circonscription. Les rames de papier étaient gratuites à l’Assemblée nationale, mais facturées quand elles étaient achetées dans la circonscription.

Le Commissaire à l’éthique va enquêter à la demande de la whip du PQ, Carole Poirier, sur les cas de salariés rétribués par l’Assemblée nationale en qualité d’employés de députés de la Coalition avenir Québec et qui auraient, contrevenant ainsi aux règles, fait du travail partisan.

Yan Gobeil-Nadon et Julie Nadeau étaient des « attachés politiques fantômes » émargeant à la masse salariale du député caquiste de Groulx, Claude Surprenant. À la CAQ, on confie que Mélanie Gilbert, embauchée par le député de Beauce, André Spénard, a aussi travaillé pour la partielle de Lévis. De fausses réunions convoquées pour de fausses notes de frais, quelques éléments concrets.

Bonne chance, en revanche, pour déterminer à quels moments, dans une journée d’attaché politique, il travaille pour le député et lesquels il consacre au parti.

Sur la défensive, François Legault a laissé entendre que Mme Nadeau, celle qui avait dénoncé la situation, voulait se venger : elle avait été congédiée pour une gaffe administrative. Hier, on a eu droit à l’arroseur arrosé, M. Legault promettant une simple « enquête interne ». Curieux retour des choses pour celui qui, quelques heures plus tôt, réclamait que le Directeur général des élections et le Commissaire à l’éthique se penchent sur les pratiques du PQ.

Une douzaine d’employés rétribués par l’Assemblée nationale travaillent dans les faits à la permanence du PQ. La pratique révélée par la CAQ au Journal de Québec n’est pas nouvelle.

Ces employés péquistes auront manqué de prudence : « ils ont levé la tête », ils n’avaient pas de bureau chez le whip, ne venaient pas à Québec, et même leur adresse courriel avait pour suffixe « pq.org », et non pas « assnat.qc.ca », comme tous les employés payés par l’Assemblée. Cette situation a des conséquences financières importantes. Le « port d’attache » pèse lourd quand vient l’heure de négocier le salaire d’un employé – une augmentation déguisée de 15 000 $ par année environ, sans impôts, qui ne grève pas la masse salariale d’un cabinet.

La pratique n’est pas nouvelle. Au PQ, il y a toujours eu des « agents de liaison » rétribués par l’Assemblée nationale et qui, dans les faits, travaillaient à la permanence du parti, rue Papineau à Montréal.

Déjà en 1998, sous Lucien Bouchard, des employés de cabinets ministériels étaient en fait des employés du parti. Un chef de cabinet avait confié avoir, sur sa liste de paie, des employés qu’il n’avait jamais vus au bureau !

Et chez les libéraux ? Même chose, au moins jusqu’en 2012. Comme pour le PQ actuellement, tout passait par le cabinet du whip, le préfet de discipline des députés, qui compte traditionnellement plus d’une vingtaine d’employés. « Benoît Savard était chef de cabinet au whip. Pensez-vous qu’il s’occupait des travaux de l’Assemblée ? », ironise un ancien dirigeant du PLQ. M. Savard était un organisateur de longue date chez les libéraux.

Dans tous les partis, traditionnellement, tout le monde est conscrit quand surviennent les campagnes électorales. Dans les cabinets politiques, personne n’a d’horaire fixe. Bien peu d’employés remplissent les formulaires qui établissent qu’ils ont passé une partie de leur journée de travail à des activités partisanes.

Sous Jean Charest, quelques employés de l’Assemblée travaillaient pour le parti. Ils étaient deux ou trois. Ils ne sollicitaient pas de financement ni ne faisaient de pointage, mais ils devaient par exemple préparer des colloques thématiques pour les conseils généraux du PLQ. La pratique avait cessé à l’époque où Lucie Charlebois est devenue whip libérale.

Déjà, les reportages autour de Chantale Landry, employée au cabinet de Jean Charest mais impliquée à fond dans l’organisation du PLQ, avaient suscité l’embarras. Mais on a mis fin pour de bon à cette pratique après que le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, eut été durement critiqué pour avoir payé, à même la masse salariale de la Chambre des communes, Gilbert Gardner, le directeur général du parti.

La Chambre des communes devait trancher que M. Duceppe n’avait pas enfreint les règles, mais celles-ci, jugées trop floues, ont été resserrées par la suite. Parions que c’est ce qui arrivera aussi à l’Assemblée nationale.

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