Opinion : Distribution alimentaire

Les signes de tension apparaissent

Depuis quelque temps, c’est le retour du balancier et ce n’est pas facile dans le domaine de la distribution alimentaire : lettres intimidantes de Loblaws adressées à ses fournisseurs afin qu’ils diminuent les prix, démission importante chez Sobeys et que dire de l’ascension de Walmart et Costco qui s’imposent de plus en plus. Bref, nous vivons un autre cycle de tensions interorganisationnelles qui affectera sûrement l’ensemble de l’industrie.

En effet, depuis quelques années, plusieurs se demandaient s’il n’y avait pas de la collusion dans le domaine de la distribution alimentaire, poussant ainsi les prix des aliments à la hausse. Le Canada était, selon certains, le paradis sur terre pour la distribution alimentaire. Mais en peu de temps, la donne a complètement changé.

DÉPART SPECTACULAIRE

D’abord, chez Sobeys, il y a eu le départ spectaculaire de Marc Poulin qui montre que les temps sont difficiles au sein du deuxième distributeur alimentaire au pays. M. Poulin était à la direction de l’entreprise depuis 2013, et une telle décision de la part d’un dirigeant déstabilise non seulement l’entreprise, mais également l’ensemble du secteur.

M. Poulin est respecté et influent dans le domaine. Actuaire de formation, il a su imposer une rigueur quantitative aux décisions dans le secteur qui a été souvent marqué par des méthodes traditionnelles et parfois même archaïques. Son départ, quoique peu surprenant à la lumière des résultats désastreux au dernier trimestre, laisse un vide important chez Sobeys. Sa stratégie était bonne, mais son exécution semblait lacunaire.

En 2013, l’achat de Safeway était pratiquement inévitable. Tout le monde savait que c’était une question de temps avant de voir l’élimination d’un autre détaillant au Canada. Sobeys et Metro cherchaient à étendre leur empreinte vers l’ouest.

Puisque Metro était aussi à la poursuite de Safeway à l’époque, la question était de savoir qui offrirait le plus. C’est un domaine très concurrentiel où les marges bénéficiaires sont minces, voire très minces. Alors, obtenir un plus grand pouvoir d’achat était primordial pour les deux entreprises.

En fin de compte, c’est Sobeys qui a remporté la mise au profit de Metro. Sobeys a fait l’acquisition de Safeway afin de faire des gains dans un marché qui était jadis lucratif et intéressant : l’Ouest canadien. Les chiffres parlaient d’eux-mêmes.

INTÉGRATION DIFFICILE

L'acquisition de Safeway était une bonne décision. Par contre, la gestion de l’intégration entre les deux entreprises a manqué de raffinement. Par exemple, Sobeys a enlevé la carte de fidélisation de Safeway et cette décision a été perçue comme un affront par les clients de Safeway. La carte, le service, tout était très personnalisé chez Safeway.

Succinctement, la culture organisationnelle chez Safeway était très différente de celle de Sobeys. Cette différence semble avoir été complètement ignorée par les dirigeants et les recettes ont écopé. Évidemment, le contexte économique dans l’Ouest n’a pas aidé, mais c’est l’intégration entre les deux entreprises qui agonise, encore aujourd’hui.

En 2005, Metro a acheté l’ontarienne A & P et le processus d’intégration s’est mieux déroulé. Le respect de la culture organisationnelle d’A & P était palpable. De plus, au moment de l’acquisition, les deux entreprises avaient une histoire, une gouvernance et un pedigree assez contrastants. Le temps consacré à l’intégration a été crucial pour les deux entreprises.

Il est certain que le processus a connu quelques embuches, mais c’est normal pour une entreprise québécoise qui s’habituait au marché concurrentiel de l’Ontario. Cette transaction montre donc qu’il est possible de créer une symbiose organisationnelle qui tient compte du côté humain d’une acquisition.

Malgré les importantes pertes financières de Sobeys, la performance de Metro et Loblaws impressionne. Cependant, la pression est toujours aussi présente dans l’industrie.

LETTRE AUX FOURNISSEURS

L’autre nouvelle qui a retenu l’attention est la lettre de Loblaws à ses fournisseurs. Dernièrement, ces derniers ont reçu une lettre leur annonçant qu’une déduction de 1,45 % sera appliquée sur tous leurs envois à compter du 4 septembre 2016. C’est une décision unilatérale. La position de Loblaws, motivée par une volonté d’augmenter ses profits, a bien entendu été mal accueillie par les manufacturiers alimentaires.

Bien que ce ne soit pas la première fois qu’un distributeur fait preuve d’intimidation contractuelle, l’approche de Loblaws pique l’attention. Cette lettre envoyée aux fournisseurs, mais également aux médias sous le couvert de l’anonymat, invite le consommateur dans le débat en signifiant que le numéro de la distribution alimentaire au pays tente de freiner l’inflation alimentaire au détail.

Comme si Loblaws anticipait une fuite et que le contenu de la lettre allait être connu du grand public. Probablement une tactique de la part de Loblaws. Or, le grand de la distribution semble vouloir montrer du doigt la transformation comme étant responsable des prix alimentaires plus élevés au cours des dernières années.

Vouloir combattre l’inflation alimentaire au nom du consommateur est une noble cause, mais il est difficile de croire que les consommateurs s’intéresseront aux aléas des frictions qui prévalent entre la distribution et la transformation.

D’ailleurs, le message de Loblaws arrive à un très mauvais moment pour le domaine de la transformation.

D’une part, le dollar américain affecte le coût des intrants chez les transformateurs et d’autre part, en ce qui concerne la salubrité des aliments et les normes environnementales, l’étau se serre sur le secteur, puisque les attentes des différents régulateurs augmentent sans cesse.

Et si on ajoute l’escalade des coûts de la main-d’œuvre et les investissements en recherche pour le développement de nouveaux produits, les temps sont tout aussi difficiles en transformation.

Même les différents ordres gouvernementaux peinent à bien comprendre le secteur de la transformation, pris entre la production primaire, les agriculteurs et les distributeurs. Les instances publiques répondent souvent aux cris du cœur des agriculteurs par des octrois généreux, mais la transformation alimentaire demeure souvent le grand oublié dans le domaine agroalimentaire.

Quoi qu’il en soit, en 2016, une telle approche n’a pas sa place. Loblaws simplifie une situation qui est fort complexe. Les conditions de marché nécessitent un partenariat socioéconomique avec les fournisseurs.

MYOPIE

De plus, Amazon Fresh, aux États-Unis, représente une menace, de même que les différents détaillants alimentaires européens qui s’intéressent au marché canadien. La lettre de Loblaws ne fait qu’animer les tensions et ne permet pas à l’industrie de se rallier dernière un même objectif. Encore une fois, c’est de la myopie, sans compassion stratégique.

Somme toute, le secteur de la distribution alimentaire connaît des moments plus ardus et la situation pourrait s’embrouiller au cours des prochaines années. En effet, étant donné que Loblaws et compagnie auront besoin de transformateurs pour réussir, la lettre est perçue comme un pas dans la mauvaise direction.

Ainsi, chez Loblaws tout comme chez Sobeys, les chiffres excitent, mais les gains seront toujours de courte durée.

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