OPINION : Tuerie à la Grande Mosquée de Québec

Les radios poubelles ont du sang sur les mains

Depuis la tuerie à la Grande Mosquée de Québec, une folie sévit dans certains médias. Celle de démolir toute forme de critique à l’égard des propos et de la responsabilité des animateurs et des radios dites « poubelles ». On ne parle pas de débat car il n’y en a pas. Juste une raillerie par des individus qui abusent du privilège d’avoir du temps d’antenne ou une chronique dans les journaux. Le soir de la tuerie, j’ai accusé les radios poubelles et certains de leurs animateurs d’avoir « du sang sur les mains ».

Mettons les cartes sur la table : je maintiens mes propos.

Ma déclaration n’était pas impulsive. Elle était et demeure basée sur une analyse solide des effets générés par les médias de masse sur la population. L’histoire abonde d’exemples où le phénomène de la manipulation de l’information a conduit à des tragédies. La stratégie choisie par les radios poubelles est la distorsion de l’information qui amène leur auditoire à croire à des faussetés et à évacuer toute vérification.

Comme un de ces animateurs l’a scandé en ondes : « … vaut mieux d’la mauvaise information que pas d’information pantoute ! »

On m’a accusé d’avoir insulté « toutes les radios » de Québec. Non, j’ai toujours dit que ce n’était que certaines radios et certains animateurs qui avaient un examen de conscience à faire. Pourquoi ne pas donner de noms ? Parce que l’important n’est pas de viser un ou des individus en particulier mais bien un groupe entier, incluant les propriétaires et directeurs de programmation, qui profitent de l’industrie de la haine et de l’insécurité qu’ils génèrent eux-mêmes.

Vous voulez en débattre ? Je n’ai jamais refusé aucune entrevue… et oui, même des poubelles. J’étais d’ailleurs un de leurs intervenants favoris avant. Mais depuis ma sortie, je ne suis plus assez « expert » pour eux. Et pourtant, pendant des années vous m’avez téléphoné toutes les semaines. Quelle hypocrisie !

Exit le respect

J’invite tous ces « animateurs » à venir débattre sur un plateau neutre. Parce que c’est notre responsabilité, ceux qui ont la considération du public, que d’offrir une discussion ouverte et respectueuse sur des sujets aussi importants. Mais voilà où le bât blesse. La notion de respect a depuis longtemps quitté les ondes de ces radios. Et appelons les choses par leur vrai nom. On ne parle plus d’animateurs mais bien d’agitateurs. Ils ne favorisent pas un débat d’analyse, ils entretiennent une « opinion » de la haine, de l’insécurité et de la médisance. S’ils prétendent un jour faire un débat ou une discussion, eh bien ils arrivent flanqués de leurs valets de pied qui sont là pour acquiescer à toutes les bêtises lancées en ondes. Très vite, le manque d’arguments intellectuels tourne aux insultes.

« On a le droit à notre opinion », scandent les agitateurs. Rappel : une opinion n’est pas un fait. C’est le cul-de-sac d’une discussion. La démonstration qu’on ne sait plus quoi dire faute de fait. Dans une analyse basée sur des faits, il y a un processus d’échange, de vérification et contre-vérification qui s’inscrit dans une poursuite honnête de la compréhension du sujet débattu. En retour, l’opinion coupe court. Elle interdit la reprise de la discussion. Elle camoufle l’ignorance et les limites intellectuelles de ses auteurs. Alors, que doit-on penser des « radios d’opinion » ?

Le vrai danger est d’avoir laissé ces radios poubelles agir si longtemps. Elles ont créé un tueur.

Ils rétorquent qu’on a trouvé un copain de Bissonnette qui dit qu’il n’écoutait pas la radio. Vraiment ? C’est ça votre preuve irréfutable ? Un témoignage unique ? Journalisme 101 : on ne se fie jamais à une seule source. Ce « reporteur » n’aurait jamais eu la note de passage s’il avait présenté cela à son prof ou utilisé ce témoignage en cour de justice.

Voici les faits à débattre : 

• Le directeur du Centre de la prévention de la radicalisation de Montréal indiquait qu’avant l’attentat, plus de 120 appels étaient en provenance de la région de Québec. La vaste majorité concernait des questions d’extrême droite.

• 72 heures après l’attentat, plus de 25 appels reçus dont 4 cas transmis à la police pour dangerosité trop élevée.

• La demande au Centre a forcé l’embauche de spécialistes pour s’occuper de la question de l’extrême droite.

• Les policiers surveillent au moins 10 groupes très organisés de la droite au Québec totalisant près de 50 000 membres.

• Dans les jours suivant l’attentat, les policiers de Québec ont enquêté sur plus de plaintes de racisme et d’islamophobie que dans les deux années précédentes.

Pourvu que l’on veuille s’en donner la peine, il y a d’excellents chercheurs au Québec qui peuvent parler de l’influence des médias de masse sur la population et la montée de l’extrémisme. Y a-t-il un seul agitateur qui a cherché à interviewer l’un d’entre eux ? Tout animateur de radio sait très bien qu’il exerce une incidence sur son public et est perçu comme figure d’autorité. On attend de lui qu’il respecte les standards professionnels et déontologiques de sa profession. Nier cette influence est faire preuve de malhonnêteté intellectuelle.

En société, nous sommes tous des agents politiques. Devant de graves problèmes sociaux, nous sommes individuellement confrontés à deux choix : faire partie de la solution ou contribuer au problème. Le silence fait partie du problème. Il faut dénoncer, porter plainte et démontrer du courage.

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