Élections fédérales 2019 Opinion

Et si l'unité venait de l'Ouest ?

« The West Wants In ! » En 1987, c’était le cri de ralliement du tout nouveau Parti réformiste.

Née d’une désaffection au sein du Parti progressiste conservateur, et de son establishment Québec-Ontario, cette formation politique souhaitait représenter les intérêts de l’Ouest canadien au sein du Parlement fédéral. Avec le Bloc québécois, elle a radicalement transformé le paysage politique. En 1993, le Parti réformiste a élu 52 députés, deux de moins que le Bloc qui, lui, a formé l’opposition officielle. Quatre ans plus tard, le même Parti réformiste a atteint son sommet en formant à son tour l’opposition officielle avec 60 sièges.

Au cours de cette période pour le moins tumultueuse, l’unité nationale était le principal enjeu politique du Canada. Ses divers leaders ont travaillé d’arrache-pied soit pour maintenir le pays uni, soit pour le déchirer. Les Canadiens se sont rendus aux urnes lors du référendum de 1992 sur l'accord de Charlottetown, les Québécois au référendum de 1995 dans la Belle Province ; les deux ratant leur objectif. Le pays a tenu le coup et, grâce à la division des votes dans les rangs de la droite et au Québec, les libéraux fédéraux ont remporté les élections jusqu’en 2006, année où un Parti conservateur unifié, dirigé par l’ancien réformiste Stephen Harper, a remporté une minorité.

En 2019, on croirait voir le même film – sauf que le slogan est maintenant « The West Wants Out ! »

Le Bloc a repris des forces avec 32 sièges au Parlement et l’Ouest a administré toute une claque aux élites laurentiennes. Pas un libéral d’élu en Alberta et en Saskatchewan ; seulement quatre demeurent en poste au Manitoba, ainsi que trois néo-démocrates dans les trois provinces. Aussitôt, on a vu apparaître des hashtags comme « wexit » et « western separation » dans les médias sociaux. Le chef du Parti conservateur, Andrew Scheer, a déclaré qu’il comptait rester en poste pour défendre les priorités conservatrices, y compris la construction de pipelines.

Les conservateurs de 2019 sont devenus une version 2.0 du Reform Party. Certes, ils ont la moitié de leurs députés dans les autres provinces, mais en matière de direction, de philosophie et de chef, ils reflètent les ambitions de l’Ouest – corridor national d’énergie, non à une taxe carbone, oui à un État plus petit, etc. La prise de contrôle est complète, et les résultats sont là : en dépit d’une augmentation du vote populaire d’environ 500 000 votes depuis 2015, la couronne de Toronto se peint en rouge, le parti n’a fait aucune avance au Québec, et il n’atteint même pas ses cibles dans les provinces atlantiques.

Alors, les grondements, surtout centrés sur le leadership de Scheer, commencent à se faire entendre. Les vautours planent et les noms de possibles successeurs potentiels aussi : on parle de l’ancien ministre fédéral de la Justice et des Affaire étrangères Peter MacKay, de la ministre des Transports de l’Ontario Caroline Mulroney, de l’ancienne cheffe du Parti conservateur Rona Ambrose. Parmi toutes ces personnes, cette dernière est la seule qui vienne de l’Ouest, mais elle n’est pas du même genre que Scheer. Elle est plus progressiste dans ses politiques et défie les stéréotypes – qui se fondent dans une réalité démographique particulière que l’on ignore à son péril.

On oublie parfois que l’Ouest canadien, comme le Québec, a une histoire bien distincte.

Entre 1896 et 1914, 2 millions d’immigrants – une vraie immigration de masse ! – sont venus peupler les provinces de l’Ouest canadien. Un nouveau venu sur cinq provenait des États-Unis – et pour une bonne raison : vers la fin du XIXe siècle, le gouvernement américain a cessé de donner des terres gratuites aux colons. Ces derniers se sont tournés vers la frontière canadienne où le gouvernement canadien recrutait agressivement les pionniers capables de faire face aux conditions climatiques parfois très difficiles des Prairies et d’y établir des entreprises agricoles.

Ces Américains de l’Ouest, ainsi que d’autres immigrants issus de milieux agricoles britanniques et européens, y étaient parfaitement habitués. Le résultat fut une population qui, en 1915, était à 96 % d’origine européenne, dont 20 % était venue des États-Unis. Comme au Québec, on trouvait une population d’origine plutôt homogène s’enracinant sur un territoire, où, au fil des ans, elle recréa une société à son image, avec ses priorités, ses valeurs et sa culture – une culture qui est plus traditionnellement conservatrice que dans le reste du pays.

La culture de l’Ouest a bien sûr évolué, mais conserve encore bon nombre des éléments de ces premiers colons. Chevaucher le fossé culturel entre l’Ouest et le centre du Canada s’est donc révélé un défi persistant pour les politiciens conservateurs. Comment concilier les valeurs de « foi, de famille et de libre entreprise » de l’Ouest aux valeurs de laïcité, de droit de choisir et d’un État plus fort du Québec ? Et ajoutez maintenant à cela des points de vue complètement opposés sur des questions comme celles de l’énergie et de l’environnement ? Et qu’en est-il des Red Tories de l’Ontario, qui ont également une influence sur le côté plus progressiste du grand livre ?

Paradoxalement, toutefois, ce défi représente également, en 2019, le meilleur espoir pour un pays gravement fracturé.

Car si les conservateurs peuvent reconstruire la grande coalition des années 80 de Brian Mulroney – avant que celle-ci ne s’effrite pour devenir le Parti réformiste et le Bloc québécois –, ils ont également la possibilité d’unifier la fédération. Les libéraux ne sont pas en mesure de le faire, car ils n’ont pas de capital politique dans l’Ouest. Mais les conservateurs, eux, le pourraient. Leur avenir en tant que gouvernement « en attente » et l’avenir du pays peuvent en dépendre. Cela signifie qu’il faudra repenser en profondeur le parti, à partir même de sa structure de direction. Dans l’intérêt du Canada, espérons qu’ils choisissent judicieusement de le faire et qu’ils réussissent.

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