Changements climatiques  Ski

« Un jour, on n’aura plus le choix de passer à autre chose ! »

Erik Guay n’était pas allé à Saas-Fee depuis une bonne quinzaine d’années. Le skieur a eu un choc en posant ses spatules sur le glacier suisse pour un stage avec l’équipe canadienne en septembre dernier. Ce qu’il a vu l’a renversé.

« Le glacier est comme dans un bassin, relate-t-il. D’un côté, il y a une paroi de pierre. Avant, le glacier était peut-être à 20 m du sommet. Depuis, ça a descendu de peut-être 60 m. C’est incroyable à quel point ça a changé. »

Dans la section du bas, plus question de descendre en ski. « Elle n’était pas ouverte, il y avait trop de roches. C’était brun, tout fondu. Il ne restait plus rien. »

Guay a observé le même phénomène sur le glacier de Zermatt, qu’il visite plus fréquemment dans la vallée voisine.

À 37 ans, le champion mondial de super-G est un témoin privilégié des changements sur les glaciers de la planète. Depuis l’adolescence, il s’y rend durant la saison morte. En l’espace de deux décennies, il a dû adapter son calendrier et modifier ses habitudes.

Plus jeune, il allait chaque été sur un glacier de Whistler, avec son père et ses frères. Après quatre ou cinq ans, ils ont dû se résigner : les conditions n’étaient plus adéquates.

« Aujourd’hui, tu peux t’entraîner en bosses ou sur des sauts en freestyle, mais ce n’est plus assez long et il ne reste plus assez de neige pour un parcours de slalom. »

— Erik Guay

À la fin de l’été et au début de l’automne, le Chili est aussi une destination privilégiée par les skieurs. Encore là, les bouleversements météorologiques ont changé la donne au fil des années.

« Quand j’étais jeune, on pouvait faire de la poudreuse à Valle Nevado, El Colorado ou Portillo », note Guay au sujet de ces stations situées à l’est de la capitale Santiago. « C’était vraiment comme l’hiver dans l’Ouest canadien. Ce n’est plus comme ça. La neige est plus rare. »

D’ailleurs, l’équipe masculine de vitesse a dû annuler un stage prévu à Portillo en septembre et se rabattre sur la Suisse. Pour les voyages en Amérique du Sud, la décision doit se prendre plusieurs semaines à l’avance puisque le matériel doit transiter par cargo. Cette gymnastique logistique est complexe pour les entraîneurs.

Brittany Phelan se souvient elle aussi d’avoir vécu les plus belles journées de poudreuse de sa vie au Chili quand elle s’y rendait avec le club de Mont-Tremblant. « Cette année, on skiait sur de la roche », se désolait la médaillée d’argent olympique en ski cross à son retour de La Parva, en septembre.

Devant ces conditions, l’équipe canadienne de ski cross a décidé de raccourcir du tiers sa période d’entraînement au Chili. « On a laissé des skis là-bas, ils étaient finis ! », souligne Phelan.

Quand elle était en ski alpin, elle participait chaque année à la Coupe du monde d’ouverture à Sölden, fin octobre, en Autriche. Au fil des années, le rétrécissement du glacier a modifié l’endroit où les athlètes agrippent la remontée mécanique. « Tu dois prendre le T-bar deux pylônes plus haut parce que le glacier n’est juste plus là… »

« Ça se passe quand même vite et c’est réel. Des gens ne croient pas au réchauffement climatique. Nous, on le voit chaque jour. »

— Brittany Phelan

À la recherche de la neige perdue

Son ancienne coéquipière Marie-Michèle Gagnon partage cette inquiétude. « Notre passion, c’est le ski, dit la double athlète olympique. Ce qu’ils doivent faire, c’est de trouver des montagnes où il y a d’autres glaciers. »

Elle cite le projet Valemount Glacier Destination Resort, une station à l’année dont l’ouverture est prévue en 2020 dans ce village forestier de la Colombie-Britannique, à 120 km à l’ouest de Jasper. Guay y voit une façon de réduire les coûts pour les skieurs canadiens, de conserver l’argent au pays et d’attirer une clientèle internationale.

Durant la saison, l’absence de neige est aussi une préoccupation constante pour les organisateurs. « Depuis que je suis sur le circuit de la Coupe du monde, je remarque qu’il n’y a pas tant de neige que ça en Europe », relève Gagnon, 29 ans.

Guay fait le même constat, soulignant que « Lake Louise est l’endroit où on a le plus de neige durant l’année ». Ironiquement, le temps chaud avait forcé l’annulation des courses dans les Rocheuses albertaines en 2016.

« Quand on retourne en Europe, à Val Gardena [Italie], il y a de la neige sur la piste parce que c’est artificiel, mais à côté, c’est souvent vert, vert, vert », rappelle le skieur canadien le plus prolifique de l’histoire. La mince couverture sur la mythique Streif de Kitzbühel, en Autriche, donne des maux de tête aux organisateurs.

« Il y a beaucoup moins de neige, insiste Guay. Quand j’ai commencé, c’était assez normal de recevoir des tempêtes durant l’année. On s’attendait toujours à manquer quelques courses. Maintenant, quand ça arrive, c’est à cause du vent ou des raisons du genre. »

Le fondeur Alex Harvey a aussi été témoin de changements depuis le début de sa carrière. L’an dernier, à l’occasion d’un camp estival à Livigno, l’équipe masculine canadienne a dû annuler trois ou quatre sessions sur neige prévues sur le glacier italien du Stelvio, fermé. Cet automne, ses jeunes collègues du Centre national Pierre-Harvey se sont également buté le nez contre un glacier hors d’usage en Autriche.

Au début de la prochaine saison, l’étape de Coupe du monde biennale de La Clusaz, en France, ne sera pas présentée, car les organisateurs jugent trop onéreux les coûts de sauvegarde d’une quantité suffisante de neige de l’hiver précédent.

« C’est devenu une exigence de la FIS [Fédération internationale de ski] pour les endroits où on compétitionne avant Noël », relève Harvey, qui a skié sur un ruban de neige au milieu de champs verts à son dernier passage à La Clusaz, en 2016. « Ils veulent s’assurer que les courses ne seront pas annulées. Avant, ils demandaient un système d’enneigement artificiel. C’est rendu une coche au-dessus. »

Le champion mondial du 50 km ne manque pas de remarquer que l’énergie nécessaire à l’enneigement artificiel contribue à l’émission de gaz à effet de serre et au réchauffement climatique. « C’est un cercle vicieux. »

Beitostølen, en Norvège, est venu à la rescousse de La Clusaz.

« On va devoir compétitionner de plus en plus au nord. »

— Alex Harvey

Ironiquement, la hausse des températures pourrait avoir des retombées positives pour le ski de fond au Québec. « Quand il fait sous les -20, il est déconseillé de faire de l’entraînement intense parce que c’est dommageable pour les bronches, note Harvey. Quand j’étais plus jeune, j’ai déjà eu des courses annulées ou retardées parce qu’il faisait plus froid que -20. On dirait qu’on voit moins ça maintenant. En même temps, pour la planète, [le réchauffement] est pas mal plus négatif que positif… »

Préoccupé par la situation, Erik Guay a accepté de prêter son nom à Protect Our Winters (POW) Canada, une organisation environnementale à but non lucratif menée par des athlètes et des gens de l’industrie des sports d’hiver. POW, jeu de mots avec powder (poudreuse en anglais), vise à sensibiliser la population aux effets des changements climatiques.

Père de quatre jeunes filles, dont les trois plus vieilles ont commencé à skier, Guay ne cache pas son inquiétude quant à l’avenir de son sport. « Je ne sais pas ce qui va se passer, mais un jour, on va manquer de neige. On n’aura plus le choix de passer à autre chose ! »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.