Brésil

Une greffe d’utérus d’une donneuse morte mène à une naissance

La revue britannique The Lancet a dévoilé hier soir que la toute première greffe d’utérus d’une donneuse morte vient d’être faite dans un hôpital brésilien. Depuis 2013, 12 greffes d’utérus de donneuses vivantes ont eu lieu, mais aucune au Canada. La technique pourrait toutefois arriver bientôt à Montréal.

Le bébé de São Paulo

Un an après la naissance, le bébé et la maman se portent bien. Il s’agit d’un bébé bien chanceux : sept mois avant le début de la grossesse, sa mère a reçu l’utérus d’une femme qui était en état de mort cérébrale. « Notre patiente était née sans utérus », explique l’auteur de l’étude publiée hier dans le Lancet, Wellington Andraus, de l’Hôpital universitaire de São Paulo. « Comme nous avons beaucoup d’expérience avec d’autres types de greffes de donneurs décédés, le rein ou le foie, nous avons décidé de faire avancer le domaine de la greffe d’utérus avec une donneuse décédée. Il nous a fallu un certain temps pour trouver une patiente prête à recevoir l’utérus d’une donneuse qui n’avait aucun lien génétique avec elle, cependant. » Les ovaires de la patiente fonctionnaient et un ovule a été fécondé par le sperme de son mari avant la greffe d’utérus, pour confirmer que la grossesse était possible. « Normalement, la greffe d’utérus se fait immédiatement après le prélèvement. Nous avons attendu à cause des circonstances particulières de notre cas. »

Le pionnier suédois

En 2014, Mats Brännstrom, de l’Université de Göteborg, a été le premier à réussir une greffe d’utérus – c’est-à-dire à avoir une patiente ayant accouché d’un bébé en santé. Depuis, il a eu neuf autres bébés de six patientes ayant aussi subi une greffe d’utérus, la dernière étant une Italienne qui a accouché de jumeaux au printemps dernier. « L’avancée brésilienne est importante, parce que le bassin de donneuses d’utérus est concrètement limité aux mères des patientes à cause des risques du prélèvement, dit le Dr Brännstrom. Avec la robotisation qui améliore le prélèvement de l’utérus avec tous ses vaisseaux sanguins, c’est l’une des grandes avancées du domaine. » Les premiers bébés du Dr Brännstrom se portent-ils bien malgré les immunosuppresseurs auxquels ils ont été soumis durant la grossesse ? « Oui, en fait on sait depuis longtemps qu’il n’y a pas de problème avec les immunosuppresseurs durant la grossesse. Beaucoup de mères ont eu auparavant une greffe de cœur, de foie, de rein. »

Le projet montréalais

La Presse a demandé son avis sur la nouvelle étude du Lancet à Jacques Kadoch, médecin spécialiste en fertilité à la clinique OVO et chef de service au CHUM. Il étudie justement la faisabilité d’une greffe d’utérus au CHUM. « Il y a des équipes, dont la nôtre, qui y pensent au Canada, dit le Dr Kadoch. On est en train de constituer un groupe de travail. On verra si on va être suivis par l’administration. C’est un thème de plus en plus discuté dans les congrès internationaux de fertilité. » Pourrait-on voir une greffe d’utérus montréalaise d’ici cinq ans ? « Avant ça, dit le Dr Kadoch. Nous serons prêts d’ici un an. » Combien de patientes québécoises pourraient en bénéficier ? « Je dirais à terme une ou quelques dizaines par années, dit le Dr Kadoch. Mais on pourrait se retrouver avec une plus grande demande, surtout si les coûts et la durée diminuent avec la robotisation. Pour les femmes dont l’utérus a été endommagé par un fibrome, on pourrait décider d’aller avec un nouvel utérus plutôt que de s’acharner sur un utérus malade. »

Haut taux d’échec

Avant la première réussite l’an dernier, le programme de greffe d’utérus de l’Université de Dallas avait eu cinq échecs, selon les données colligées par le Lancet. Un autre programme, à Prague, n’a eu aucune naissance en cinq tentatives. « Dans les deux cas, les programmes ont été lancés par d’anciens membres de notre équipe, explique le Dr Brännstrom. Mais ce n’étaient pas des membres-clés. Nous avons travaillé une douzaine d’années sur l’animal, notamment le babouin, avant de nous essayer à des patients humains. »

Questions d’éthique

En 2012, un obstétricien montréalais, Jacques Baylala, de l’Université McGill, a publié les premiers critères d’évaluation éthique des greffes d’utérus. « Il y avait de plus en plus de recherches, des essais qui ne fonctionnaient pas », explique le Dr Baylala. Les greffes du Dr Brännstrom en Suède (qui a parlé du Dr Baylala à La Presse) respectent-ils les « critères de Montréal » ? Oui, sauf pour l’âge de la donneuse, dit le Dr Baylala. « Nous recommandons une donneuse avant l’âge de la ménopause, pour augmenter les chances que l’utérus fonctionne. » Les deux seules patientes du Dr Brännstrom qui n’ont pas eu de bébé avaient en effet des donneuses de plus de 60 ans. « On peut réveiller un utérus, mais ça fonctionne moins bien plus on s’éloigne de la ménopause, dit le spécialiste de Göteborg. Nous utilisons maintenant un âge limite de 55 ans pour les donneuses. » Le Dr Baylala a récemment fait un sondage auprès d’obstétriciens-gynécologues canadiens qui montrait qu’à peine la moitié d’entre eux accepterait de procéder à une greffe d’utérus et que 60 % d’entre eux estimaient que cette opération contrevenait à l’éthique médicale.

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