ALENA

Trump a-t-il bluffé ?

La rumeur s’est répandue mercredi et a déclenché une frénésie. Le président Donald Trump s’apprêtait à décréter la sortie des États-Unis de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Comme l’ont raconté les grands médias américains, ses conseillers Steve Bannon et Peter Navarro le poussaient dans cette direction.

Puis les appels sont venus de la Chambre de commerce, de membres du Congrès, de gens d’affaires. Le cabinet s’est mobilisé : le secrétaire au Commerce, Wilbur Ross, et, surtout, le secrétaire à l’Agriculture, Sonny Perdue.

M. Perdue « est même arrivé dans le bureau Ovale avec une carte des États-Unis illustrant les régions qui seraient le plus durement frappées, particulièrement en agriculture et dans le secteur manufacturier, soulignant que plusieurs de ces États et circonscriptions étaient des communautés en “pays Trump” qui avaient voté pour le président en novembre », relatait le Washington Post dans sa livraison d’hier.

Une carte qui ressemble peut-être à celle qui se trouve à la droite de ce texte, publiée par le ministère canadien des Affaires étrangères.

Est-ce le réveil des pro-ALENA ?

Finalement, le président Trump a renoncé à son décret, décision qu’il a attribuée sur Twitter à ses échanges téléphoniques en soirée avec le premier ministre Justin Trudeau et le président mexicain Enrique Peña Nieto.

Mais sa décision était prise avant, affirme le Washington Post.

C’est peut-être un indice encourageant pour les négociateurs commerciaux canadiens et mexicains, en dépit de la confusion sur les intentions américaines.

« Il y a une tendance chez ce président à changer d’avis sur des questions importantes », remarque Roland Paris, professeur à l’Université d’Ottawa et ex-conseiller principal du premier ministre Justin Trudeau sur les affaires étrangères et la défense.

« On doit être prudents pour interpréter les sorties du président Trump, dit-il. Il faut permettre au système politique américain de s’approprier les enjeux. »

Et c’est un peu ce qu’on a vu cette semaine, selon Stéphane Roussel, directeur du Centre interuniversitaire de recherche sur les relations internationales du Canada et du Québec (CIRRICQ), à l’École nationale d’administration publique.

« Le temps joue à l’avantage du Canada et du Mexique, dit M. Roussel. Les anti-ALENA ont déjà joué leur carte. Maintenant, c’est aux gens qui y sont favorables de se faire entendre. »

Le Canada doit-il être plus ferme ?

Plusieurs observateurs cette semaine ont néanmoins reproché au gouvernement Trudeau de ne pas se montrer assez ferme devant les attaques de M. Trump.

La première ministre de la Colombie-Britannique, Christy Clark, a appelé Ottawa à bloquer le charbon américain qui transite par le port de Vancouver vers les marchés asiatiques.

Selon Michèle Rioux, directrice du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM), à l’UQAM, de telles représailles ne seront pas nécessaires. 

« Même si on n’a pas de représailles, les États-Unis vont souffrir. Dans l’automobile, comme dans le reste, il y aura des pertes énormes. »

— Michèle Rioux

Elle poursuit : « Je pense que M. Trump, comme dans bien d’autres dossiers, quand il va s’apercevoir que c’est plus compliqué qu’il pensait, va reculer. »

En 2013, le Canada et les États-Unis étaient en conflit au sujet de l’étiquetage de la viande, rappelait cette semaine l’agence Reuters. Le Canada avait choisi soigneusement des représailles ciblées sur des douzaines de biens provenant de districts ou d’États liés à des membres influents du Congrès : du plastique du Kentucky, d’où vient Mitch McConnell, le leader de la majorité au Sénat, ou du carton du Wisconsin, l’État de Paul Ryan, leader de la majorité républicaine à la Chambre des représentants. « Il faut les frapper dans leur garde-manger, a affirmé à Reuters Gerry Ritz, qui était ministre canadien de l’Agriculture en 2013. On ne peut pas se coucher et se dire : “Attendons de voir ce qu’ils veulent.” »

Mais il est encore trop tôt pour jouer ce jeu, selon Roland Paris. « Je peux comprendre la tentation de répliquer, et on peut le faire pour les dossiers qui ont été mis sur la table, comme les produits laitiers et le bois d’œuvre, mais sinon, pour l’ALENA, le temps n’est pas venu. Il faut se garder des munitions. Et en attendant, il faut se préparer à plusieurs scénarios, tout en portant notre message sur le terrain aux États-Unis. Et c’est ce qu’on voit, avec les multiples voyages de ministres fédéraux, et de premiers ministres et ministres provinciaux. »

Le brouillon du décret sur le retrait des États-Unis divulgué

Le président américain aurait eu l’intention de transmettre au Canada et au Mexique un avis de cinq jours quant au retrait des États-Unis de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Le quotidien Financial Times a obtenu le brouillon d’un décret que Donald Trump comptait signer aujourd’hui, avant qu’il consente finalement à la renégociation du traité. Ce document accuse le Canada d’avoir « continué à exploiter les industries américaines du lait et du bois d’œuvre ». Il avance que depuis son entrée en vigueur, en 1993, l’ALENA a entraîné « un transfert massif de richesse », la perte de 700 000 emplois et un déficit commercial de plus de 1000 milliards US avec le Mexique.

— La Presse canadienne

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