Jeux vidéo

« Le jeu vidéo commence à être reconnu »

Le jeu vidéo est un art qui se distingue par sa composante d’interactivité, affirment les gamers, mais l’avis ne fait pas l’unanimité hors du monde du jeu vidéo. Qui a raison ?

Dans Subaeria, un jeu rogue-like, le bleu et le jaune reviennent régulièrement. Ce sont les couleurs des deux corporations malfaisantes que le joueur doit affronter. Pas facile de les agencer au reste de la palette pour faire des niveaux distinctifs, jolis et fonctionnels.

« Regardez l’orange du plancher de cette pièce, dans l’environnement Community. Il est trop orange. Il écrase les autres couleurs », lance l’artiste de niveau Loïc Lorriaux à ses collègues de l’équipe artistique.

Ils sont réunis dans les bureaux d’Illogika, le développeur de Subaeria installé sur le Plateau, pour passer en revue l’évolution des aspects artistiques du jeu, comme chaque semaine.

« Il faudra désaturer l’orange ou trouver une autre solution », dit le directeur artistique Martin Garnier.

On se croirait presque dans le studio d’un peintre. Presque, parce qu’entre deux discussions sur la meilleure façon de rendre les couleurs et l’éclairage, les quatre artistes parlent de « glitch », de « goo » et de « glow ».

C’est que ces réunions servent aussi à vérifier si l’habillage artistique des niveaux, qui comprend les accessoires et les surfaces, fonctionne bien.

« Un jeu, c’est interactif, explique l’artiste de niveau Laurence Greffe-Corriveau. On doit aider le joueur, lui donner des indices en attirant son œil avec les couleurs et la lumière. On doit s’assurer qu’il puisse s’orienter. »

EN QUÊTE DE RECONNAISSANCE

C’est bien beau, tout ça, mais est-ce de l’art ?

Oui, répondent les gamers, même si l’avis ne fait pas l’unanimité hors du monde du jeu vidéo.

« Encore aujourd’hui, on retrouve le préjugé typique à l’effet que le jeu vidéo est un divertissement d’adolescent boutonneux antisocial », constate Dominic Arsenault, professeur adjoint au département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal.

Roger Ebert, le fameux critique de cinéma américain, a enflammé la communauté vidéoludique à plusieurs reprises en affirmant que le jeu vidéo n’était pas un art.

Le débat tourne en partie autour des différents définitions de l’art ; Wikipédia en recense à elle seule une demi-douzaine.

Pour contourner le problème, plusieurs experts se fient donc aux institutions culturelles comme les musées, collections et gouvernements. Si ces institutions disent que c’est de l’art, c’est donc de l’art.

« Dans ce cas, force est de constater que le jeu vidéo commence à être reconnu comme un art », dit Dominic Arsenault.

De nombreux musées ont tenu des expositions liées aux jeux vidéo. En 2006, le ministre de la Culture français a remis les insignes de chevalier des Arts et des Lettres à trois concepteurs de jeu.

« Au Québec, il y a de belles initiatives », dit Dominic Arsenault.

Des bibliothèques de Montréal ont, par exemple, commencé à tenir des jeux vidéo. La boutique La Planque, à Québec, se consacre aux jeux rétro, aux classiques et à leur préservation.

Il y a même un orchestre montréalais, l’Orchestre de jeux vidéo (OJV), qui se consacre entièrement à la musique vidéoludique.

« On existe depuis sept ans. Le 27 février, on tiendra un concert sur la thématique RPG. On a déjà joué sur le thème de Zelda, du NES et du SNES », raconte Alexandre Choinière, président de l’OJV.

Bien que la musique et le visuel soient des composantes artistiques des jeux vidéo, l’interactivité est ce qui les distingue réellement des autres formes d’art, explique Alexandre Choinière. Un peu comme les angles de caméra différencient le cinéma du théâtre.

« Le jeu vidéo n’est pas un cinéma latent ou interactif, affirme Dominic Arsenault. Les jeux mobiles ou sur Facebook, par exemple, n’ont rien à voir avec les films. »

Un exemple de jeu aux mérites artistiques reconnus ?

« Journey, dit Dominic Arsenault. Le visuel est beau, mais la vraie essence de l’expérience artistique de ce jeu, c’est de réaliser que les solutions ne durent pas. C’est l’éternel recommencement. »

Tranquillement, le jeu vidéo établit donc sa légitimité culturelle, explique l’universitaire, mais il reste encore du chemin à faire avant d’atteindre le statut du cinéma.

« Dans les médias, on interviewe les réalisateurs de film, rarement les producteurs. En jeu vidéo, on parle surtout d’emplois aux producteurs. On parle rarement des aspects créatifs avec le concepteur du jeu ou le directeur créatif. »

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