ÉDITORIAL VISITE DE JUSTIN TRUDEAU DANS UNE MOSQUÉE

Trop, c’est comme pas assez

Le pluralisme angélique a ses limites, comme l’a démontré lundi le premier ministre Trudeau lors d’une visite dans une mosquée d’Ottawa. Même si ce n’était pas son intention, le politicien féministe a maladroitement cautionné la ségrégation des sexes.

Avant d’aller plus loin, il faut recadrer le problème. La xénophobie existe bel et bien et la pire chose à faire, c’est de l’instrumentaliser comme l’ont fait la conservatrice Kellie Leitch et la Coalition avenir Québec avec leur test des valeurs.

Pour combattre la discrimination, il faut créer des ponts avec les communautés marginalisées. Voilà pourquoi Pauline Marois avait souligné la fin du ramadan en 2013. C’est ce qu’a aussi voulu faire Justin Trudeau cette semaine pour la fête du Sacrifice. Lors de sa visite à l’Ottawa Muslim Association, il était accompagné par trois députées, dont la ministre de l’Environnement Catherine McKenna, qui était dans sa propre circonscription d’Ottawa-Centre. Ces élues n’ont pas pu entrer par la porte principale, en plus de devoir revêtir le voile. Et à l’intérieur, les femmes étaient reléguées dans le fond au deuxième étage.

Dans sa courte allocution, M. Trudeau a malgré tout souligné les mérites de la diversité. La scène préoccupe pour deux raisons : son ambiguïté et sa relative mollesse.

D’abord, l’ambiguïté. La laïcité implique que l’État reste neutre par rapport aux religions. Un chef de gouvernement ne doit donc pas se prononcer sur ce qu’est le « vrai » ou le « bon » islam, catholicisme ou judaïsme. Il est donc normal que M. Trudeau n’ait pas utilisé la tribune pour s’immiscer dans les pratiques d’un culte.

Le problème n’est donc pas l’absence de critique. C’est plutôt le contraire. En cherchant à promouvoir sans réserve la diversité, le premier ministre a cautionné malgré lui la ségrégation des sexes.

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L’autre problème est celui de la contradiction entre la mollesse de ses propos lundi et la fermeté de ceux qu’il répète à l’international.

Bien sûr, M. Trudeau n’est pas hypocrite. Il a prêché par l’exemple en constituant le premier Conseil des ministres paritaire, et en annonçant une nouvelle politique d’aide internationale ciblée pour les femmes.

Lors de son récent séjour à Shanghai, il a même apostrophé la table d’honneur du Conseil Canada-Chine en lançant : « Messieurs, nous sommes en 2016 : davantage de femmes devraient prendre place à cette table ». Or, lundi, non seulement les femmes n’étaient pas à table, elles n’étaient pas sur le même étage. Alors pourquoi cette caution ? « La chose respectueuse est de comprendre que ce n’est peut-être pas votre pratique, mais que c’est la leur », a répondu Patty Hajdu, la ministre libérale de la Condition féminine.

On en conclut qu’un principe universel peut être écorché au nom de la liberté de religion. Cela ne concerne pas que l’islam. Tous les monothéismes briment à différents égards les femmes et les gais – par exemple, le Vatican juge encore l’homosexualité « intrinsèquement désordonnée ».

Cela ne concerne pas non plus que le multiculturalisme canadien. Par exemple, la Charte québécoise des droits et libertés (article 20) permet à l’Église catholique de refuser les femmes prêtres sans être poursuivie pour discrimination.

Une véritable réflexion est nécessaire pour chercher comment reconnaître des groupes particuliers sans renier nos principes.

Dans le cas de la fête du Sacrifice, des solutions pratiques s’offraient à M. Trudeau, comme rencontrer ces leaders à un autre endroit ou encore visiter une mosquée qui ne sépare pas ainsi les sexes.

M. Trudeau a raison de dénoncer les pyromanes de l’identité. Mais avec sa maladroite promotion de la diversité, il en a mis un peu trop.

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