Chronique

L’école Abou Debra

Quand mon plus vieux part le matin pour l’école, il est content. Il m’envoie la main avec un grand sourire en montant dans l’autobus.

C’est niaiseux, je sais, mais quand on a des gars, on est toujours un peu inquiet pour l’école. On nous dit en partant qu’il a une chance sur cinq de décrocher. Donc, quand notre gars aime l’école, quand il réussit bien à l’école, on pousse un grand soupir de soulagement. On croise les doigts pour que ça dure.

D’abord, mon grand n’est pas un élève, c’est un chevalier. Son enseignante, madame Marie-Ève, a métamorphosé sa classe en repaire médiéval, a construit un château avec les moyens du bord autour du coin de lecture. Il y a même un crapaud dans un aquarium, un vrai crapaud, le prince Roger. Les élèves en prennent grand soin.

C’est un détail, mais quand on écrit le nom de l’école sur Google, le premier lien qui sort, c’est « École St-Fidèle, sois le superhéros de ta réussite ». J’ai fait le test avec d’autres écoles, c’est le nom de la commission scolaire après le nom de l’école. Il y a des superhéros partout dans l’école, dessinés sur les murs, il y a de grandes capes dans le hall avant d’entrer dans le gymnase.

L’idée est fort simple, vous l’aurez compris, le succès découle de l’effort. J’aime beaucoup cette idée-là.

Au spectacle de fin d’année, même la directrice s’était déguisée en héroïne des temps modernes, avec sa cape mauve et son uniforme seyant. Super D a atterri sur la scène pour dire aux élèves combien elle était fière d’eux.

Les enseignants étaient là, un soir de semaine, en dehors de leur horaire de travail, des 32 heures pour lesquelles ils sont payés, même si on sait tous qu’ils en font plus que ça. Ils étaient là, malgré les négos. Certains portaient un chandail sur lequel il était inscrit « L’école à bout de bras », le message qu’ils veulent passer au gouvernement.

Mon grand et moi sommes allés dans une autre école, récemment. Il y a vu sur les murs une affiche avec ce même slogan.

— Maman, regarde, une autre école Abou Debra !

Il n’a pas fait le lien entre les négos et les affiches, et c’est tant mieux comme ça. Il n’a pas à faire les frais de chicanes d’adultes, ceux du gouvernement qui disent agir ainsi pour les générations futures, et ceux de l’école qui essaient de continuer à s’occuper de celle qui est devant eux.

Il y a 260 élèves à l’école Saint-Fidèle, une cinquantaine avec un plan d’intervention. C’est beaucoup. Ça veut dire qu’un élève sur cinq doit faire l’objet d’une attention particulière. Il peut y en avoir huit ou neuf dans une même classe.

L’école de mon grand est une école qui a la cote, mais pas celle que l’on souhaite, elle a la cote « défavorisée ». Sur une échelle de 1 à 10, 1 correspondant aux milieux les plus favorisés, Saint-Fidèle est à 8. Le calcul est établi en fonction des revenus des gens du quartier, ceux qui vivent au seuil de pauvreté ou en deçà.

C’est cette école-là que les enseignants, la directrice madame Danièle et les éducateurs du service de garde tiennent à bout de bras, en plus des intervenants qui viennent prêter main-forte.

Le quart du personnel habite dans le quartier.

Ils aiment leur école et ça paraît. Pour vous donner une idée, l’enseignante de mon grand a étudié à Saint-Fidèle, son père, sa mère, son frère, sa sœur et sa fille aussi.

Vendredi, deux enseignants dormiront à l’école avec leurs élèves, juste pour le « kick ». Ce n’est pas dans leur horaire normal.

Notre école de quartier n’a pas de programme spécialisé en anglais intensif, en sport ou en musique, on n’y enseigne pas selon la méthode Freinet ni Brundtland, on n’y fait pas de football ni de golf. C’est une école primaire toute simple où on s’en tient à l’essentiel, donner aux enfants le goût d’apprendre.

Et ça fonctionne.

Les parents s’impliquent, le comité est hyperactif, le gymnase est rempli à l’assemblée générale. Il y a une mère, Manon, qui organise tous les vendredis un comptoir vestimentaire, elle y vend les articles de 25 sous à cinq dollars. Elle a amassé 2000 $, ils serviront à financer des activités.

Même si elle doit réduire ses budgets, la direction arrive à trouver du financement en s’associant avec des organismes de la ville pour offrir, par exemple, de vrais cours de cuisine en 5e et en 6e année ou pour faire un jardin urbain. Il y a même des cours de philo, à partir de la maternelle.

Les lundis en fin de journée, au service de garde, mon grand a du Katag, un jeu de combat adapté aux enfants avec des épées en mousse. Vous savez ce qu’il me dit, le vendredi, quand je vais le chercher ? « J’ai hâte à lundi… »

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