télévision

Le viol subi par la détenue Jeanne Biron dans le dernier épisode d’Unité 9 a suscité de vives réactions. La scène controversée pourrait par ailleurs contrevenir au code du CRTC.

Chronique

Le réalisme choquant d’Unité 9

Le viol collectif subi par la détenue Jeanne Biron dans le dernier épisode d’Unité 9 a été pénible à regarder. C’était d’une violence inouïe, d’une cruauté innommable.

L’actrice Ève Landry a été magistrale dans ces scènes horribles qui ont dû la remuer autant émotivement que physiquement. Toute la détresse et la peur de son personnage se lisaient dans un simple regard.

Ce qui a choqué tant de téléspectateurs, c’est que a) on ne s’attendait pas à ce que l’intrigue sombre dans autant de violence aussi rapidement et b) rarement voit-on un viol dépeint de façon aussi réaliste à la télévision. Ces interminables secondes passées sur le divan du sous-sol nous hanteront longtemps.

Très souvent, on nous montre l’« avant » et l’« après » de l’agression, mais rarement le « pendant ». Oui, c’était bouleversant, révoltant, humiliant. Et vous savez quoi ? Plusieurs femmes ont vécu le même calvaire que Jeanne Biron. C’est une réalité que l’on préférerait ne jamais voir. Reste que ça existe.

Depuis le début de l’automne, nous assistons à une vague de dénonciations d’inconduites sexuelles qui se traduisent par des mots, des mots-clics (#MoiAussi), des descriptions des actes, des récits écrits.

Mardi soir, 1 357 000 téléspectateurs ont vu un viol dans sa forme la plus sauvage et ont ressenti des émotions intenses devant ces images à la limite du supportable. C’est un électrochoc parfois nécessaire pour comprendre la gravité d’un geste.

Radio-Canada a pris les précautions nécessaires, je trouve, dans cette affaire. L’épisode était frappé d’un avertissement « destiné aux 16 ans et plus ». De plus, les moments cruciaux ont été adoucis, me dit-on, et l’épisode a été revu et annoté plusieurs fois par la direction de la SRC pour s’assurer que rien de gratuit n’aboutisse en ondes.

Effectivement, le viol de Jeanne, aussi terrible soit-il, s’inscrit dans sa trajectoire de prisonnière. Cette arme sexuelle a été utilisée contre elle pour l’effrayer, la contrôler et lui faire comprendre qu’elle ne pourrait pas refuser le travail de mule à Lietteville. C’est effroyable. Mais le milieu carcéral n’est pas réputé pour employer des méthodes douces.

Pauvre Jeanne. Elle est prise dans un engrenage épouvantable. « Tu nous appartiens astheure », lui a même rappelé la dangereuse Shandy (Catherine-Anne Toupin) à la fin de cet épisode marquant.

Le thème du viol est revenu dans plusieurs téléséries québécoises cette semaine. Dans Les Simone, hier soir, nous avons été témoins de l’agression sexuelle de Maxim (Anne-Élisabeth Bossé) par son professeur et mentor (Normand Daneau).

Clairement, Maxim a repoussé les avances de son prof, lui disant non plusieurs fois. Devant son insistance et son état d’ébriété avancé, Maxim, prise au piège, a préféré faire la planche et attendre que ce « mauvais moment » passe. 

Cette situation en teintes de gris, qui évoquait les témoignages de certaines victimes présumées de Gilbert Rozon, a été amenée avec beaucoup de délicatesse.

À l’autre bout du spectre, Marie-Ève Renaud (Isabel Richel) a aussi été violée dans le téléroman O’ de TVA. Dans ce cas-ci, la femme d’affaires a été droguée au GHB et ne se souvient d’aucun détail. L’épisode d’O’ de mardi, le dernier avant les Fêtes, a d’ailleurs révélé l’identité du maniaque. Il s’agirait du nouveau vice-président au développement d’Agua, Olivier Tardif (Guillaume Champoux), qui a pourtant l’air doux comme un agneau dans ses nouvelles fréquentations avec Mégane (Marie-Pier Labrecque).

Pour revenir à Unité 9, l’arrivée de la première détenue autochtone, Eyota Standing Bear, incarnée par la poétesse innue Natasha Kanapé Fontaine, a également causé une grosse onde de choc. Son corps couvert de blessures, son état général pitoyable et ses tatouages « fuck door » près des orifices nous indiquent que la vie d’Eyota n’a pas été de tout repos.

Il sera très intéressant de suivre l’évolution de cette femme autochtone maltraitée, toxicomane et multipoquée. Parce que, oui, comme le viol, ce phénomène existe et il ne faut pas fermer les yeux pour rester volontairement dans l’ignorance.

Le retour de Nostradumas

Eh oui, Nostradumas avait vu clair dans le jeu des auteurs de L’heure bleue à TVA, Anne Boyer et Michel d’Astous. Comme prédit, c’est Xavier (Rémi Goulet), le fils d’Hubert (Jean-François Pichette), qui a frappé et tué le petit Guillaume Boudrias avec son camion.

La finale de L’heure bleue d’avant Noël contenait aussi une révélation à propos de Clara (Alice Morel-Michaud) : elle est enceinte. S’il apprend cette info, son papa Bernard (Benoît Gouin) va carrément exploser.

Pour ce qui est de Mémoires vives, oui, la fin ouverte laisse présager que le petit Matisse – devenu policier, 15 ans plus tard – poursuivra l’œuvre dégueulasse de son faux père Bobby Lambert-Prescott (Yan Rompré), qui lui a enseigné des choses malsaines dans sa jeunesse. Une conclusion tordue, à l’image des cinq saisons du téléroman.

Et avez-vous reconnu la nouvelle copine de Ludovic (Laurent Lucas), assise dans la décapotable ? C’était l’auteure de Mémoires vives, Chantal Cadieux, qui s’est écrit un petit « caméo » !

Unité 9

Une scène de viol qui fait réagir

À quelques plaintes près, le trip à trois et les deux scènes de masturbation dans Trop, à 19 h 30 à Radio-Canada, ça passe. Jeanne qui est violée par deux motards dans Unité 9 ? Ça crée beaucoup plus de remous, tout en contrevenant aux règles des télédiffuseurs en matière de violence chapeautées par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).

L’épisode de cette semaine d’Unité 9 a été ponctué d’avertissements aux téléspectateurs qui ont été prévenus qu’il s’agissait d’une émission pour 16 ans et plus et qu’ils allaient voir un épisode « particulièrement difficile ».

De fait, on y voit Jeanne (interprétée par Ève Landry), menacée par une arme, se faire violer par deux motards, à tour de rôle. On voit les deux colosses défaire leur ceinture, puis Jeanne être secouée par leurs brutaux mouvements de hanches.

Contraire au code du CRTC

Dans les réseaux sociaux, des internautes ont salué la performance d’Ève Landry et l’audace de l’auteure Danielle Trottier de montrer crûment ce qui arrive trop souvent dans la vraie vie.

Mais ils ont été extrêmement nombreux, aussi, à dire que Radio-Canada avait dépassé les bornes.

« C’est trop pour moi ce soir, désolée, vous me perdez. […] Je me sens agressée dans mon salon », a écrit hier une internaute.

« Ça m’a carrément fait revivre les agressions dont j’ai été victime. J’arrête pas de pleurer. J’aurais jamais dû regarder »

— Commentaire sur la page Facebook de l’émission

Sur la seule page Facebook d’Unité 9 de Radio-Canada, plus de 900 commentaires ont été envoyés.

Sur le site internet du CRTC, il est précisé que les télédiffuseurs suivent des codes « qui indiquent que la diffusion de scènes de violence n’est permise qu’à compter de 21 h. Les émissions diffusées avant cette heure ne peuvent pas comporter de scènes de violence visant un public adulte ».

« Oui, le code du CRTC est clair, répond sans détour Marc Pichette, premier directeur aux relations publiques et à la promotion de Radio-Canada. Avant 21 h, on ne peut pas mettre de scène de violence. Mais tout dépend du thème : Unité 9, ça parle d’un milieu dur. »

Ne faudrait-il pas envisager alors de diffuser Unité 9 à 21 h, histoire de respecter le code du CRTC ? À cela, M. Pichette répond qu’il s’agit d’une seule scène, que les avertissements étaient nombreux et que si les téléspectateurs ont été confrontés à une scène dérangeante, « ils en comprendront en janvier les raisons » qui ont trait à la trame narrative.

Au CRTC, hier, on ne signalait pas de plainte pour l’épisode de mardi.

Des téléspectateurs indignés

En après-midi hier, 33 personnes avaient cependant téléphoné à Radio-Canada pour exprimer leur indignation. C’est nettement plus qu’à lhabitude, dit M. Pichette, mais beaucoup moins qu’à l’époque des Bougon, donne-t-il comme exemple.

De nos jours, c’est surtout sur les réseaux sociaux que ça se passe. L’actrice Ève Landry a décidé de se débrancher de tout ça en pleine diffusion de l’épisode, mardi soir. C’était trop pour elle.

« Je voyais bien qu’il y avait beaucoup de commentaires de gens qui trouvaient cela trop difficile, trop violent, et ça me donnait le goût de répondre à chacun, mais ce n’est pas possible. »

— Ève Landry

Pour sa part, elle trouve que la scène était tout à fait nécessaire. « C’est cru, c’est violent, mais ça fait réfléchir, et je pense que c’est la responsabilité première des artistes de faire réfléchir sur des enjeux de société. La télévision ne doit pas servir qu’à divertir. »

Mais bien sûr, elle savait que ça ne passerait pas comme une lettre à la poste. « Entre nous, sur le plateau, on se disait que la dinde allait passer de travers cette année et qu’à Noël, on allait nous parler que de cela. »

On lui soumet qu’à TVA, dans le téléroman O’, le personnage incarné par Isabel Richer, victime de la drogue du viol avec tout ce qui s’ensuit, était autrement moins explicite. « Mais moi, quand je vois des publicités nous indiquant de ne pas texter au volant, ça m’interpelle beaucoup plus si je vois la petite fille qui est décédée que si je ne vois à l’écran qu’une mère qui est triste. »

En entrevue téléphonique, avec à ses côtés deux responsables de la promotion de Radio-Canada, Danielle Trottier, auteure d’Unité 9, explique la forte réaction des téléspectateurs par « leur attachement au personnage ».

Elle signale qu’ils ont aussi été nombreux à se manifester lors de la tentative de suicide de Marie Lamontagne. « Pour moi, le sujet [de l’épisode de mardi], ce n’était pas la violence », mais « les survivantes d’agressions », un thème qui sera développé au retour des Fêtes.

S’il y avait violence, il n’y en avait pas plus « qu’aux nouvelles de 18 h », ajoute Mme Trottier, précisant par ailleurs qu’il n’y avait pas de nudité dans la scène, mais plutôt le visage d’Ève Landry, filmé en gros plan.

Ce qui passe… ou pas

Pierre Barrette, professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) qui se spécialise notamment dans l’analyse de la télévision, juge que « les gens semblent avoir beaucoup ressenti l’épisode comme une provocation ».

Cela étant dit, les auteurs, les réalisateurs et les producteurs « ont toujours le doigt dans le vent. Ils cherchent à repousser les limites, à voir jusqu’où ils peuvent aller, et Unité 9 est beaucoup de cette eau-là ».

M. Barrette fait référence aux nombreuses scènes de douche, « évoquant une sexualité plus marginale, la sexualité entre femmes en prison ».

« Mais au Québec, la sexualité, ça passe mieux que la violence, alors que c’est tout le contraire aux États-Unis. » 

— Pierre Barrette, professeur à l’École des médias de l’UQAM

Le professeur fait remarquer que le contexte actuel de dénonciation d’agresseurs ajoute sans doute aux réactions épidermiques de certains téléspectateurs.

Vérification faite à Radio-Canada, les scènes de trip à trois et de masturbation dans l’émission Trop ont suscité une douzaine de commentaires négatifs. Ce qui a surtout dérangé, précise M. Pichette, ce n’est pas tant la sexualité que la consommation d’ecstasy.

Impact sur les victimes

Bien que la page Facebook d’Unité 9 invite les gens à contacter les centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) en cas de besoin après visionnement de l’épisode de mardi, Marie-Christine Michaud, porte-parole de l’organisme, explique qu’elle ne peut pas se prononcer sur le bien-fondé de cette scène de viol. 

« Notre mission est d’aider les gens, pas d’émettre notre opinion sur le contenu d’émissions. Ce que je peux cependant dire de façon générale, c’est que lorsque des scènes de violence sont diffusées, elles peuvent entraîner des reviviscences pour des victimes, avec des conséquences physiques possibles comme des troubles du sommeil ou des maux de tête. »

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