Sextos, vidéos et vie privée

Début avril, le gestionnaire d’un site de pornovengeance américain a été condamné à 18 ans de prison. Peu après, un Montréalais a été condamné à verser 32 000 $ à une femme filmée à son insu au lit avec lui. Deux avocats font le point sur le privé et le public, le consentement et les recours possibles.

VICTIMES DES DEUX SEXES

L’avocat Daniel Romano précise d’emblée qu’il ne possède pas de données pour affirmer que de plus en plus de gens se retrouvent nus contre leur gré sur l’internet. Or, au cabinet où il pratique, il y a « de plus en plus de demandes pour agir dans des situations semblables ». Les hommes seraient presque aussi nombreux que les femmes à faire appel aux services d’un avocat. Dans certains cas, les images intimes ont déjà été mises en ligne ou partagées et la victime veut les faire retirer de la circulation. Dans d’autres, il s’agit de prévenir le coup, que la personne en possession du matériel délicat ait menacé de le diffuser ou non.

« EXTRÊME SIMPLICITÉ »

Kevin Bollaert, l’homme derrière le site Ugotposted.com, condamné à 18 ans de prison en Californie, opérait sur deux plans : d’une main, il incitait les hommes à publier des photos intimes de leur ex, et de l’autre, il proposait aux ex en question de retirer les photos en échange de quelques centaines de dollars (par l’entremise de son site Changemyreputation.com, dont il faisait la publicité sur Ugotposted.com). Le cas du Montréalais est plus simple : il a filmé ses ébats secrètement et a conservé la vidéo, qui a été vue par la suite, sur une clé USB.

« Sur le plan juridique, ces situations sont d’une extrême simplicité », fait valoir Vincent Gautrais, professeur de droit à l’Université de Montréal. Chercher à extorquer des fonds en exerçant des pressions sur une personne, c’est de l’ordre du Code criminel. Filmer quelqu’un sans son consentement, même sans diffuser les images sur l’internet, c’est « évidemment » de l’ordre du Code civil, selon lui.

CONSENTEMENT

L’analyse du consentement est « déterminante » dans les cas de diffusion d’images intimes. « Dès qu’il y a consentement, l’atteinte à la vie privée est beaucoup plus compliquée à prouver, observe Me Gautrais. Il y a quand même un débat juridique qui soulève la question de savoir si on peut consentir à tout. Le consentement pourrait être jugé insuffisant du fait de l’extrême intimité des informations mises en ligne. »

L’an dernier, en Allemagne, une cour a forcé un homme à effacer des images intimes de son ancienne compagne, même si celle-ci était consentante au moment où les photos ont été prises. Une telle décision est peu probable au Canada, estiment les avocats interrogés par La Presse.

« J’ai toute confiance qu’on puisse obtenir que les photos ne soient pas publiées, mais pour les effacer, c’est à voir », dit Me Romano. « L’Allemagne est peut-être le pays du monde où la vie privée est le mieux protégée, dit Me Gautrais. Mon intuition est que, au Canada, du moment où un consentement libre et éclairé a été donné, on ne pourrait pas invoquer la vie privée [pour forcer la destruction des images]. »

RÉAGIR VITE

Dans les cas de diffusion d’images intimes, le temps de réaction est capital. « Une fois que c’est rendu sur l’internet, il est difficile d’effacer les images, dit Me Romano. Il faut avoir beaucoup de chance et agir rapidement pour éviter que ça se répande. Si c’est déjà sur l’internet, il faut agir agressivement avant même d’entamer des procédures. »

Les victimes peuvent s’adresser au site qui héberge les images litigieuses. « Certains répondent avec plus de diligence que d’autres », remarque Me Gautrais. Les sites dont le commerce repose sur ce genre d’images vont parfois demander un ordre de la cour. Ce qui peut être long à obtenir.

« La police a parfois la capacité de retrouver les personnes qui ont mis en ligne ces contenus-là », ajoute le professeur. Me Romano constate toutefois que les autorités ne savent pas toujours comment gérer ce genre de cas. « Beaucoup de gens nous appellent parce qu’ils n’ont eu aucun résultat quand ils ont appelé la police », expose-t-il.

LE CAS DES MINEURS

« Aussitôt qu’il y a des mineurs, les autorités réagissent vite », estime Me Romano. Toute image à caractère sexuel représentant une personne mineure est considérée comme de la pornographie infantile. En clair : une adolescente de 17 ans qui se prend elle-même en photo, nue, et la transmet à son petit ami peut théoriquement être accusée de production et de diffusion de pornographie infantile. Les jeunes victimes de chantage ou de diffusion d’images intimes peuvent aller sur le site aidezmoisvp.ca.

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