Politique

Rien ne va plus dans Louis-Hébert

Le libéral Éric Tétrault a retiré hier sa candidature dans la circonscription de Louis-Hébert, à la suite d’une enquête de La Presse.

Quelques heures plus tôt, le candidat caquiste Normand Sauvageau avait lui aussi abandonné la course. Une situation qui ne s’est jamais vue en pleine campagne.

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Éric Tétrault se retire, le candidat de la CAQ aussi

Une tempête a traversé la campagne électorale dans Louis-Hébert, hier. Le libéral Éric Tétrault a été forcé de se retirer comme candidat à la suite d’une enquête de La Presse sur une affaire de harcèlement psychologique.

Ce revirement en suivait un autre : le candidat de la Coalition avenir Québec (CAQ), Normand Sauvageau, s’est également retiré de la course. Il avait eu lui aussi un comportement inacceptable dans un emploi précédent.

Pareille situation ne s’était jamais vue en pleine campagne. Les deux partis ont jusqu’au 16 septembre pour présenter une nouvelle candidature en vue de l’élection partielle du 2 octobre.

Dans l’organisation libérale, on reconnaît sans détour que la décision de la CAQ a pesé lourd dans la balance. Poursuivre la campagne aurait été intenable dans un tel contexte, selon elle.

Dans des entrevues accordées à plusieurs médias – mais pas à La Presse –, Éric Tétrault avait passé la journée à dire qu’il entendait rester « jusqu’au bout ». Il a jeté l’éponge en soirée. Il a expliqué sa décision à Radio-Canada : « J’ai parlé à mon fils de 7 ans vers 16 h 30 et j’ai vu que même à un si jeune âge, il encaissait. Ce n’est pas drôle pour lui, ni pour ma femme, ni pour mon autre jeune fils. Je me suis dit : on ne fera pas ça, on va régler ça maintenant. […] En ce qui me concerne, je suis prêt à me battre, mais il y a le poids sur la famille qui est dur à porter. »

Harcèlement psychologique

La Presse révélait hier que M. Tétrault avait harcelé psychologiquement deux femmes, en plus d’intimider et de menacer des employés lorsqu’il était directeur des affaires publiques chez ArcelorMittal, selon un rapport d’enquête commandé par la minière en 2014.

Mardi, il reconnaissait auprès de La Presse avoir fait l’objet d’une enquête, mais niait formellement avoir exercé du harcèlement psychologique. Il n’y avait « rien de fondé » dans ces allégations, selon lui. Il ne se souvenait pas des faits que lui avait présentés l’enquêteur au moment de son témoignage, car tout cela s’était produit il y a « tellement longtemps ».

Éric Tétrault a changé son discours après la parution de l’enquête de La Presse hier. Il a dit avoir eu un « comportement inacceptable ». « Je vois très bien que je ne suis pas blanc comme neige là-dedans », a-t-il affirmé. Mais tout au plus a-t-il reconnu avoir été « abrasif » et « carré » avec ses employés. Il a exprimé des regrets et présenté des excuses. En revanche, il a soutenu ne pas avoir eu, à ses yeux, une conduite inappropriée envers des femmes. Et il a refusé de qualifier son comportement de harcèlement psychologique, malgré les conclusions sans équivoque du rapport d’enquête.

« En 2017, en politique, on demande aux gens de n’avoir jamais rien fait dans leur vie. Alors j’ai bien vu que les gens acceptent plus ou moins ces choses-là aujourd’hui. Alors c’est une autre des raisons qui m’ont incité à me retirer. »

— Éric Tétrault, en soirée

Le premier ministre Philippe Couillard a refusé de commenter le retrait de son candidat. « Je pense que sa déclaration se suffit », s’est-il contenté de dire en sortant d’un cocktail privé avant la première du film Hochelaga, terre des âmes à la Place des Arts.

Quelques heures plus tôt, la Coalition avenir Québec évinçait son candidat. Normand Sauvageau avait tenu des propos inacceptables à l’endroit d’employés de la Banque Scotia, l’entreprise où il travaillait depuis 39 ans.

« Je ne pensais jamais que cela allait sortir », a déclaré M. Sauvageau à la garde rapprochée du chef François Legault. Il s’est confié aux dirigeants du parti après avoir reçu un appel d’un journaliste du Journal de Québec qui l’interrogeait sur les circonstances de son départ à la retraite, en 2016. Il semble qu’il ait été forcé de quitter son emploi en raison de ses abus de langage, a confié une source caquiste.

Les exemples étaient nombreux, confie-t-on. Furieux, il avait laissé un message incisif sur la boîte vocale d’une employée. Il avait aussi fait une blague inconvenante aux dépens d’un employé de la banque, d’origine française.

« On ne pouvait garder un candidat qui ne nous avait pas dit la vérité. On se serait retrouvés dans le rôle de l’arroseur arrosé », a soutenu une source caquiste. François Legault a publié un bref message sur Twitter : « À la CAQ, c’est tolérance zéro. J’ai agi dès que j’ai su. »

— Avec la collaboration de Fanny Lévesque, La Presse

Milieu de travail

Le Québec est-il outillé pour éliminer le harcèlement ?

En 2004, Québec incorporait à sa Loi sur les normes du travail des dispositions visant à bannir le harcèlement psychologique des milieux de travail. Chaque année depuis cinq ans, plus de 4000 Québécois se plaignent pourtant d’en être victimes. Le Québec a-t-il ce qu’il faut pour enrayer le problème ? Analyse.

Un concept méconnu

Malgré une définition relativement simple, plusieurs entreprises nient encore la présence de harcèlement psychologique entre leurs murs, estime Sylvio Côté, conseiller en ressources humaines et en relations industrielles agréé. « En général, au Québec, on ne veut pas admettre ou on ne veut pas voir qu’il y a du harcèlement psychologique. On le nie parce qu’on ne le connaît pas », indique-t-il.

Selon lui, de vieux préjugés – il ne s’agit que de « jokes » ou d’un « manque de savoir-vivre », les victimes sont des « personnes trop sensibles » – collent au harcèlement psychologique. « On voit ça comme une bête noire, on n’en fait pas, on n’en voit pas », ajoute M. Côté, qui intervient lui-même auprès d’entreprises. Si certains employeurs sont « très sensibles » à la question, d’autres refusent « d’admettre qu’un comportement X est du harcèlement » et n’agiront pas pour le faire cesser.

« L’employeur a l’obligation d’intervenir lorsqu’il y a connaissance de harcèlement », rappelle-t-il. Cette tendance à nier la présence de comportements abusifs, tant chez l’employeur que chez le harceleur, inquiète d’ailleurs Angelo Soares, professeur titulaire au département d’organisation et ressources humaines de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal.

« Qu’il y ait intention ou pas, les dégâts sont faits, dit-il. Ce qui est troublant […], c’est que dans le futur [le harceleur] risque de continuer de le faire. C’est ça, le côté plus dangereux. »

Une loi pas assez sévère

Pour M. Soares, la modification de la loi en 2004 n’a pas eu l’effet escompté sur les entreprises pour enrayer le harcèlement psychologique de leur environnement. « À mon avis, les sentences et les décisions qui ont été données sont trop légères », dit le professeur, qui mène depuis 1994 des études sur le sujet.

« Si je compare au Brésil, qui n’a pas de loi, mais où le ministère public va donner des amendes de millions de dollars, là, les entreprises bougent. »

— Angelo Soares

Pour l’heure, au Québec, les indemnités ou amendes payées par des entreprises dans des affaires de harcèlement psychologique se calculent en dizaines de milliers de dollars, évalue M. Soares.

Sylvio Côté n’est pas entièrement du même avis. « On n’est pas dans des centaines de milliers de dollars en général, mais ça pourrait arriver. Je dis toujours que ce qui est le plus mauvais, c’est d’arriver dans une décision à la cour qui sera contre l’employeur parce que ça fera jurisprudence. Est-ce qu’une entreprise veut être un mauvais employeur ou être perçue comme tel ? Non. »

Un processus difficile

« Tout joue contre une victime de harcèlement », n’hésite pas à dire M. Soares. Même avec un recours maintenant légal pour protéger les travailleurs, « obtenir justice » n’est pas une mince affaire, selon le professeur. « Les procédures sont longues, c’est difficile, [les plaignants] sont souvent malades. Les gens vont finalement se dire que ça ne va rien donner », poursuit-il.

Le chercheur croit aussi que le débat entourant l’application de la Loi sur les normes du travail depuis 2004 a fait de l’ombre « aux personnes qui vivent avec le problème ». « On a oublié la souffrance de ces gens-là, les problèmes de santé mentale qui en découlent. Des gens qui vivent du harcèlement psychologique peuvent aller jusqu’à s’enlever la vie. Ce n’est pas léger. »

Le conseiller Sylvio Côté reconnaît aussi que le processus « n’est pas facile » et que le délai pourrait être plus bref. Selon lui, une plainte qui aboutit devant le Tribunal administratif du travail peut prendre « facilement un an ou deux » à être tranchée. « C’est certain qu’au bout d’un an, un an et demi, je suis complètement démolie si je suis réellement une victime », avance-t-il.

M. Côté soutient néanmoins que la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) et les syndicats, dans le cas de salariés, sont aujourd’hui « accessibles » et « attentifs » aux cas de harcèlement psychologique.

La prévention, la solution

Une loi « avec plus de mordant » inciterait davantage les entreprises à faire de la prévention en milieu de travail, croit M. Soares. « On peut avoir une politique pour avoir une bonne conscience [mais ça peut] être une lettre morte dans une étagère. Ce n’est pas de la prévention, il faut de réels mécanismes en place », assure-t-il.

Les litiges qui trouvent leur issue lors d’un processus de médiation, avant d’en arriver devant les tribunaux, auraient souvent pu être évités si l’employeur avait fait plus de prévention, soutient M. Soares. « Quand on arrive au tribunal, on a échoué dans nos procédures d’intervention », tranche le professeur, qui réitère que la loi n’a pas eu d’« effets de prévention » pour les entreprises.

Pour M. Côté, une meilleure sensibilisation permettrait également de mieux faire comprendre aux employeurs que « quand on est à l’intérieur d’une organisation, même si on veut agir de façon neutre et impartiale, on a souvent des préjugés, et il faut souvent demander l’opinion d’une personne plus neutre ».

Une personne qui se croit victime de harcèlement psychologique peut s’adresser à la CNESST.

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