Un concept méconnu
Malgré une définition relativement simple, plusieurs entreprises nient encore la présence de harcèlement psychologique entre leurs murs, estime Sylvio Côté, conseiller en ressources humaines et en relations industrielles agréé. « En général, au Québec, on ne veut pas admettre ou on ne veut pas voir qu’il y a du harcèlement psychologique. On le nie parce qu’on ne le connaît pas », indique-t-il.
Selon lui, de vieux préjugés – il ne s’agit que de « jokes » ou d’un « manque de savoir-vivre », les victimes sont des « personnes trop sensibles » – collent au harcèlement psychologique. « On voit ça comme une bête noire, on n’en fait pas, on n’en voit pas », ajoute M. Côté, qui intervient lui-même auprès d’entreprises. Si certains employeurs sont « très sensibles » à la question, d’autres refusent « d’admettre qu’un comportement X est du harcèlement » et n’agiront pas pour le faire cesser.
« L’employeur a l’obligation d’intervenir lorsqu’il y a connaissance de harcèlement », rappelle-t-il. Cette tendance à nier la présence de comportements abusifs, tant chez l’employeur que chez le harceleur, inquiète d’ailleurs Angelo Soares, professeur titulaire au département d’organisation et ressources humaines de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal.
« Qu’il y ait intention ou pas, les dégâts sont faits, dit-il. Ce qui est troublant […], c’est que dans le futur [le harceleur] risque de continuer de le faire. C’est ça, le côté plus dangereux. »
Une loi pas assez sévère
Pour M. Soares, la modification de la loi en 2004 n’a pas eu l’effet escompté sur les entreprises pour enrayer le harcèlement psychologique de leur environnement. « À mon avis, les sentences et les décisions qui ont été données sont trop légères », dit le professeur, qui mène depuis 1994 des études sur le sujet.
« Si je compare au Brésil, qui n’a pas de loi, mais où le ministère public va donner des amendes de millions de dollars, là, les entreprises bougent. »
— Angelo Soares
Pour l’heure, au Québec, les indemnités ou amendes payées par des entreprises dans des affaires de harcèlement psychologique se calculent en dizaines de milliers de dollars, évalue M. Soares.
Sylvio Côté n’est pas entièrement du même avis. « On n’est pas dans des centaines de milliers de dollars en général, mais ça pourrait arriver. Je dis toujours que ce qui est le plus mauvais, c’est d’arriver dans une décision à la cour qui sera contre l’employeur parce que ça fera jurisprudence. Est-ce qu’une entreprise veut être un mauvais employeur ou être perçue comme tel ? Non. »
Un processus difficile
« Tout joue contre une victime de harcèlement », n’hésite pas à dire M. Soares. Même avec un recours maintenant légal pour protéger les travailleurs, « obtenir justice » n’est pas une mince affaire, selon le professeur. « Les procédures sont longues, c’est difficile, [les plaignants] sont souvent malades. Les gens vont finalement se dire que ça ne va rien donner », poursuit-il.
Le chercheur croit aussi que le débat entourant l’application de la Loi sur les normes du travail depuis 2004 a fait de l’ombre « aux personnes qui vivent avec le problème ». « On a oublié la souffrance de ces gens-là, les problèmes de santé mentale qui en découlent. Des gens qui vivent du harcèlement psychologique peuvent aller jusqu’à s’enlever la vie. Ce n’est pas léger. »
Le conseiller Sylvio Côté reconnaît aussi que le processus « n’est pas facile » et que le délai pourrait être plus bref. Selon lui, une plainte qui aboutit devant le Tribunal administratif du travail peut prendre « facilement un an ou deux » à être tranchée. « C’est certain qu’au bout d’un an, un an et demi, je suis complètement démolie si je suis réellement une victime », avance-t-il.
M. Côté soutient néanmoins que la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) et les syndicats, dans le cas de salariés, sont aujourd’hui « accessibles » et « attentifs » aux cas de harcèlement psychologique.
La prévention, la solution
Une loi « avec plus de mordant » inciterait davantage les entreprises à faire de la prévention en milieu de travail, croit M. Soares. « On peut avoir une politique pour avoir une bonne conscience [mais ça peut] être une lettre morte dans une étagère. Ce n’est pas de la prévention, il faut de réels mécanismes en place », assure-t-il.
Les litiges qui trouvent leur issue lors d’un processus de médiation, avant d’en arriver devant les tribunaux, auraient souvent pu être évités si l’employeur avait fait plus de prévention, soutient M. Soares. « Quand on arrive au tribunal, on a échoué dans nos procédures d’intervention », tranche le professeur, qui réitère que la loi n’a pas eu d’« effets de prévention » pour les entreprises.
Pour M. Côté, une meilleure sensibilisation permettrait également de mieux faire comprendre aux employeurs que « quand on est à l’intérieur d’une organisation, même si on veut agir de façon neutre et impartiale, on a souvent des préjugés, et il faut souvent demander l’opinion d’une personne plus neutre ».
Une personne qui se croit victime de harcèlement psychologique peut s’adresser à la CNESST.