tragédie de Lac-Mégantic, cinq ans plus tard

Cinq ans plus tard

Dans la nuit du 5 au 6 juillet 2013, un train chargé de pétrole fonçait sur le centre-ville de Lac-Mégantic, chamboulant à jamais la vie des résidants. Quelques heures plus tard, le pilote d’hélicoptère Éric Quirion et le photographe aérien Yves Tremblay avaient survolé les lieux de la tragédie. Nous y sommes retournés avec eux. Un dossier de Suzanne Colpron

Dans la nuit du 5 au 6 juillet 2013, un train chargé de pétrole fonçait sur le centre-ville de Lac-Mégantic, chamboulant à jamais la vie des résidants de cette municipalité des Cantons-de-l’Est. Cinq ans plus tard, La Presse a survolé les lieux avec le pilote d’hélicoptère Éric Quirion et le photographe aérien Yves Tremblay.

Un dossier de Suzanne Colpron

tragédie de lac-mégantic

« Ça sent la mort »

Yves Tremblay est photographe aérien. Éric Quirion pilote des hélicoptères. À 6 h, le matin du 6 juillet 2013, Éric a reçu un appel d’Yves : « Il faut aller à Lac-Mégantic, là. » Une heure plus tard, ils étaient les premiers à survoler le site de la catastrophe ferroviaire qui a fait 47 morts.

« On aurait dit une ville bombardée », se rappelle Éric Quirion, 47 ans. « Ma conjointe est venue en backup. On avait deux photographes, Yves et elle. Mais je n’ai jamais regardé les photos. Je n’étais pas capable. Eille, 47 personnes ! Là, tu les vois, la boucane, l’odeur… On avait le kérosène dans le nez. C’était épouvantable. Moi, j’ai dit : “ça sent la mort, c’est épouvantable.” »

Depuis, Yves Tremblay et Éric Quirion sont retournés à Lac-Mégantic en hélicoptère chaque année. Le 12 juin, journée marquée par de fortes rafales, nous les y avons accompagnés.

Le deuil

« J’ai vécu toutes les étapes du deuil », raconte Yves Tremblay, 56 ans. « Je ne le savais pas, mais quand j’ai survolé le site le matin de l’accident, ça explosait encore, c’était la stupéfaction. Après, j’y suis retourné en après-midi, c’était la colère. Le lendemain, c’était la peine. J’en ai parlé à des amis qui avaient perdu des proches, et ce sont les étapes du deuil. »

Le 12 juin, Yves Tremblay avait prévu retourner à Lac-Mégantic pour prendre une photo du site incendié, cinq ans après. La même photo, sous le même angle, qu’il avait prise en 2017 et les années précédentes, pour montrer le chemin parcouru depuis la tragédie.

« C’est comme le jeu des sept erreurs, explique-t-il. J’aime comparer les lieux. »

Partis de l’aéroport de Victoriaville, nous avons survolé Norbertville, Chesterville, des kilomètres de forêts de sapins, de grandes érablières, des lacs et des montagnes. Yves Tremblay avait pris des arrangements avec Annick Roy, propriétaire de la ferme maraîchère Roy, à Nantes, village situé à 12 kilomètres à l’ouest de Lac-Mégantic, pour atterrir sur ses terres.

Le champ de fraises

C’est à Nantes que le train meurtrier, composé de 72 wagons-citernes remplis de pétrole brut et de cinq locomotives, était stationné, le soir du 5 juillet 2013, avant de dévaler la pente de 1,2 % vers Lac-Mégantic et de foncer sur le centre-ville. Le seul occupant du convoi, Tom Harding, employé par la Montreal, Maine & Atlantic Railway, avait fini son quart de travail et était parti pour la nuit.

Nous avons survolé la ferme à 800 pieds dans les airs, avant de nous poser à côté du champ de fraises. Annick, 36 ans, nous attendait avec ses trois enfants, son père et un couple d’amis. Le père de sa fille Fanny, Jean-Guy Veilleux, est mort dans l’accident du train, à 32 ans.

« On va leur donner un tour d’hélico », nous avait prévenu Yves Tremblay. « Fanny avait 12 ans quand son père est mort. J’ai hâte de la revoir. »

Gaétan Roy, le père d’Annick, avait permis à Yves Tremblay et à Éric Quirion de se poser sur sa ferme il y a cinq ans. Yves voulait les remercier.

« Je suis retourné à Mégantic un mois après l’incendie, relate-t-il. Mais dans un contexte un peu spécial. Mon épouse et moi, on voulait prendre des vacances, mais au lieu d’aller à Old Orchard, aux États-Unis, on s’est dit : “on va aller passer deux semaines à Mégantic dans un camping, on va aller encourager l’économie locale.” » On est allés au cinéma, à l’épicerie… Il y a beaucoup de monde, dans les Cantons-de-l’Est, qui l’ont fait, pour aider Mégantic. Il y avait un sticker sur les autos :  “Supportons Mégantic”. »

Changer d’air

Annick Roy, elle, a préféré quitter la municipalité après le déraillement du train. « Il fallait que je change d’air, dit-elle. C’était lourd, Mégantic. Chaque fois qu’on sortait, on passait en face du centre-ville détruit. Ça nous a vraiment fait du bien de partir. »

Elle est revenue, il y a un an, pour prendre la relève de son père à la ferme, dont elle est devenue propriétaire. Stéphane Fortin, 48 ans, un grand ami de son ex-conjoint mort, lui rend visite régulièrement.

Jusqu’à récemment, Stéphane allait encore se recueillir sur la tombe de son copain Jean-Guy toutes les deux semaines. « Là, j’essaie d’espacer, confie-t-il. Quand ça a pété, j’étais avec mon gars. On était en train de cogner chez eux, on le cherchait. Il habitait drette à côté du Musi-Café.

« Moi, j’ai su pas mal tout de suite qu’il était mort parce que sa mère, c’était tout pour lui. Il serait passé au travers du feu pour aller voir sa mère. Sa mère, elle, l’attendait encore, mais il fallait qu’elle évacue. Moi, j’ai dit que s’il n’est pas là, il y a de quoi. Elle a été forte, sa mère. En dedans d’elle, elle devait le savoir. »

Plus jamais pareil

Aujourd’hui, la vie a repris son cours, même s’il reste des séquelles et que le centre-ville a perdu tout son charme.

« Il n’y a plus grand vie là, dit Stéphane Fortin. Ce n’est plus pareil comme avant. Ce ne sera plus jamais pareil. On est loin un peu, nous autres, à Nantes, c’est bon pour le moral. Mais on pense encore à ceux qu’on a perdus. »

« C’est facile de juger quand on n’a pas à prendre les décisions, ajoute Annick. La rue commerciale est correcte, mais ce n’est plus comme avant. Le côté ancien, historique, a disparu. C’est froid. Je suis chanceuse, je n’ai pas d’affaire à y aller souvent. »

Yves Tremblay abonde dans son sens.

« Je trouve que ça a été reconstruit trop rapidement, dit-il. Du haut des airs, on dirait un mini DIX30 qui n’a rien à voir avec l’ancien centre-ville. C’est comme si on avait construit une Place Laurier dans le Vieux-Québec. Ça n’a pas de commune mesure. En même temps, il fallait qu’ils se revirent de bord vite. Ça prenait une pharmacie, un bureau de poste… »

En attendant, l’herbe a recommencé à pousser sur les terrains décontaminés de l’ancien centre-ville. Et la voie ferrée qui traverse la ville sera déplacée. La construction de la voie de contournement pourrait être achevée d'ici 2022. Un projet qui ne fait pas l'unanimité, mais qui redonne néanmoins espoir à bien des Méganticois.

Mégantic vu du ciel

Yves Tremblay prend des photos du haut des airs depuis des années. Il en a fait sa spécialité, son gagne-pain. Ses clients sont surtout de riches propriétaires qui désirent des photos de leurs maison ou de leur entreprise. Mais le 6 juillet 2013, c’est Radio-Canada qui l’a sorti du lit pour lui demander de survoler Mégantic en feu. Depuis, il y retourne chaque année. Ses photos, que nous vous présentons, témoignent de l’évolution des lieux de 2013 à aujourd’hui.

Le fil des événements

Voici les moments clés de la catastrophe annoncée de Lac-Mégantic.

5 et 6 juillet 2013

À 23 h 25 le 5 juillet, un train de 72 wagons transportant du pétrole brut est laissé sans surveillance à Nantes, à 12 km de Lac-Mégantic. Entre minuit et 1 h, le train dévale la pente vers Lac-Mégantic. La première explosion, suivie de plusieurs autres, survient à 1 h 15. Plus de 30 immeubles sont détruits et le centre-ville, inondé de pétrole, est en feu. Les autorités évacuent environ 2000 personnes à cause de la fumée toxique. Le brasier est maîtrisé à 14 h.

23 juillet 2013

Transports Canada émet de nouvelles directives de sécurité : au moins deux membres d’équipage doivent travailler sur des trains transportant des marchandises dangereuses, et aucune locomotive attachée à un ou plusieurs wagons-citernes chargés transportant des matières dangereuses ne peut être laissée sans surveillance sur une voie ferrée.

27 juillet 2013

Lac-Mégantic organise une cérémonie commémorative pour les 47 victimes, en présence de la mairesse Colette Roy-Laroche, du premier ministre Stephen Harper et de la première ministre Pauline Marois.

7 août 2013

La MMA et sa filiale canadienne se placent sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers.

21 novembre 2013

Ottawa et Québec règlent la facture de 190 millions pour décontaminer les terrains souillés de la municipalité.

18 décembre 2013

Le service ferroviaire reprend dans des conditions de sécurité plus strictes.

25 mars 2014

Le Canadien National indique qu’il se débarrassera de ses 183 wagons-citernes DOT-111. Selon l’ex-président Claude Mongeau, la conception de ce wagon-citerne était « l’un des principaux problèmes systémiques » liés à l’accident ferroviaire.

12 mai 2014

Des accusations de négligence criminelle ayant causé la mort sont déposées contre la société MMA, le chauffeur Thomas Harding (à droite), le contrôleur de la circulation Richard Labrie (à gauche) et le directeur des opérations ferroviaires Jean Demaître (au centre). Ils sont passibles d’une peine d’emprisonnement à perpétuité.

17 mai 2014

La Presse révèle que la catastrophe de Lac-Mégantic coûtera presque un demi-milliard de fonds publics.

19 août 2014

Dans son rapport d’enquête final, le Bureau de la sécurité des transports conclut que la faible culture de sécurité qui régnait à la MMA et les lacunes dans la surveillance exercée par Transports Canada sont parmi les facteurs qui ont contribué à la tragédie de Lac-Mégantic.

15 décembre 2014

Lieu tristement célèbre où de nombreuses personnes ont perdu la vie le 6 juillet 2013, le Musi-Café rouvre ses portes au public. Il a été reconstruit rue Papineau, au cœur du nouveau quartier commercial.

1er novembre 2016

Le ministre fédéral des Transports, Marc Garneau, annonce que les wagons-citernes DOT-111 ne sont plus autorisés à transporter du pétrole brut sur les chemins de fer au pays.

19 janvier 2018

Après neuf jours de délibérations, un jury acquitte Thomas Harding, Richard Labrie et Jean Demaître, les trois anciens employés de MMA accusés de négligence criminelle ayant causé la mort.

5 février 2018

Les poursuites pénales fédérales connaissent leur dénouement : le conducteur de la locomotive Thomas Harding (sur la photo) est condamné à six mois de prison avec sursis, et la société MMA Canada doit payer une amende de 1 million pour avoir déversé du pétrole dans le lac Mégantic et la rivière Chaudière.

3 avril 2018

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales fait savoir qu’il n’y aura pas de procès criminel contre la MMA relativement à la tragédie ferroviaire de Lac-Mégantic. Cela met fin à toutes les procédures criminelles intentées après le déraillement du train.

11 mai 2018

Les premiers ministres Justin Trudeau et Philippe Couillard confirment qu’ils se sont entendus sur le financement de la voie de contournement ferroviaire réclamée depuis le déraillement du train, en 2013. Si tout se déroule comme prévu, cette voie sera inaugurée en 2022. Elle fera 12,8 kilomètres et coûtera 133 millions.

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