Chronique

L’Ouest est de mauvaise humeur. Très.

L’Ouest n’est pas de bonne humeur politique et deux coupables ont été identifiés : le Québec en général et Justin Trudeau en particulier.

Anecdote : la semaine dernière, une avocate installée en Alberta m’appelle, tout indignée. Elle vient d’apercevoir dans un aéroport de l’Ouest un employé des chemins de fer avec un kangourou arborant l’image suivante : une corde de pendu accrochée à une branche d’arbre. Et au-dessus, ce message : « Come West Trudeau ».

Si ce ne sont pas des menaces de mort, ce n’en est pas loin, même si c’est fait sous le couvert de l’humour viril western. Ces t-shirts, cotons ouatés et autres casquettes sont vendus sur un site qui remporte un certain succès.

Anecdotique, disais-je, mais c’est la version crue du discours politique conservateur dominant, de Calgary à Winnipeg, en passant par Regina.

Le ressentiment se nourrit à plusieurs sources, mais deux principalement : des paiements records de péréquation au Québec, qui dégage des surplus budgétaires records ; et l’opposition officielle du Québec à la construction de l’oléoduc Énergie Est pour transporter le pétrole albertain jusqu’aux raffineries d’Irving au Nouveau-Brunswick.

En Alberta, en particulier, cela est vu comme une forme d’hypocrisie fiscale terminale : le Québec « profite » de la richesse produite en partie par le pétrole albertain, mais refuse qu’il soit transporté librement pour atteindre son plein potentiel économique.

À cela on peut répliquer que bien d’autres hors Québec se sont opposés au pipeline, que ce sont les règles fédérales qui ont rendu le projet difficile et qu’Ottawa avait le pouvoir d’imposer le pipeline, mais ne l’a jamais fait. Si bien que le secteur privé a fait une croix sur le projet.

Qu’importe : pour bien des gens dans l’Ouest, c’est la faute du Québec.

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En Chambre cette semaine au Manitoba, le premier ministre conservateur Brian Pallister était tout énervé parce que François Legault avait présenté une liste de demandes au gouvernement fédéral. On les connaît : nouvelle entente sur l’immigration, plus de fonds pour gérer l’arrivée de migrants, financement du métro, une seule déclaration de revenus…

On pensera ce qu’on voudra de ces demandes, il n’y a là rien que la tradition politique canadienne, où le Québec, mais les autres provinces aussi, réclame des fonds ou des actions du gouvernement fédéral.

En décembre, le soir du party de Noël du Parti libéral du Canada, des gens du NPD albertain ont projeté des images sur le mur de l’édifice où avait lieu la fête. On y expliquait l’importance économique du pétrole albertain, pour presser le gouvernement de faire avancer les projets de pipeline. Mais cela, bien sûr, n’est qu’une technique de com légitime.

Le gouvernement Trudeau est tout de même allé jusqu’à acheter un projet de pipeline (Trans Mountain) de l’Alberta jusqu’à la côte pacifique de la Colombie-Britannique. Justement, vous dira-t-on : quand le Québec proteste, il n’y a pas de pipeline, mais quand c’est la Colombie-Britannique, le projet a lieu quand même ! C’est encore là caricatural, vu qu’une portion importante de la Colombie-Britannique soutient ce projet.

N’empêche : encore une fois, cette impression persiste de deux poids, deux mesures, de favoritisme envers le Québec…

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On n’a pas tellement idée au Québec du sentiment de colère qui monte en ce moment dans l’Ouest. Il y a en toile de fond des luttes politiques locales, comme les élections provinciales en Alberta ce printemps. Et évidemment les élections fédérales du mois d’octobre. Une sorte de coalition conservatrice se forme contre Justin Trudeau. Mais en même temps, le chef du Parti conservateur fédéral Andrew Scheer essaie aussi de séduire le Québec en promettant plus d’autonomie et, peut-être, pourquoi pas, même une déclaration de revenus unique au Québec !

Il aimerait bien convaincre le Québec d’accepter le passage de l’oléoduc Énergie Est, mais n’ose pas dire qu’il utiliserait les pouvoirs fédéraux pour l’imposer. C’est une sorte de position mitoyenne que Maxime Bernier a déjà commencé à attaquer sur son flanc droit : oui, si le secteur privé est encore intéressé, il pourrait décréter le tracé de ce pipeline partout au pays. Sur l’immigration aussi, Scheer essaie de s’approcher de François Legault, sans offenser le reste du pays.

Mais dans le climat politique actuel, chaque tentative de séduction du Québec risque d’irriter sa base conservatrice dans l’Ouest. Ce ne sera pas une mince tâche de faire campagne contre Justin Trudeau et de séduire le Québec en même temps…

Quelle que soit la configuration politique du Canada de 2020, il n’est pas trop hasardeux de prédire aussi que le Canada se prépare pour une crise constitutionnelle comme on n’en a pas connu depuis longtemps.

Sauf que cette fois, elle viendra d’une révolte de l’Ouest, et pas de la menace souverainiste du Québec.

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