OPINION ÉTATS-UNIS

Le général peut-il sortir le président de son « trou » ?

« La Maison-Blanche est un vrai trou », aurait admis récemment à ses amis Donald Trump, ajoutant du même coup qu’« il n’y a pas de chaos à la Maison-Blanche ».

Cette dernière déclaration est apparue sur son compte Twitter le 31 juillet dernier, jour où son nouveau chef du bureau de la Maison-Blanche, le général John F. Kelly, entrait en fonction et où son flamboyant directeur des communications, Anthony « The Mooch » Scaramucci, se voyait montrer la porte de sortie après seulement 10 jours en poste.

Bien loin de l’image d’un président-PDG gérant habilement les affaires de la nation qu’il a véhiculée tout au long de la campagne électorale de 2016, Trump s’est avéré être un président tiraillé entre les allégations de collusion de son équipe de campagne avec la Russie, les querelles internes révélées par un flot incessant de fuites dans les médias et les conséquences de ses propres déclarations sur les réseaux sociaux.

Avec la nomination du général Kelly comme secrétaire général, Donald Trump cherche à combler un déficit de légitimité, de loyauté et d’appui criant à son égard et, surtout, à remettre de l’ordre dans les affaires d’une Maison-Blanche qui peine à accomplir quoi que soit sur le plan législatif.

Or, si le premier militaire depuis Alexander Haig (dans les derniers moments de la présidence de Nixon) à occuper les fonctions de chef du bureau de la Maison-Blanche souhaite remettre la présidence Trump sur les rails, c’est surtout le président lui-même qu’il devra tenter de discipliner.

Maison-Blanche à la dérive

Le passage de Kelly du département de Sécurité intérieure à la Maison-Blanche survient dans la foulée d’une cascade d’événements ayant mené aux départs successifs du porte-parole Sean Spicer et de l’ancien secrétaire général Reince Priebus.

Ces deux loyaux républicains étaient, aux dires de plusieurs observateurs, les deux derniers liens fragiles entre Trump et le leadership du Grand Old Party au Congrès, si l’on fait abstraction du vice-président Pence. Spicer et Priebus furent les victimes de l’étoile filante Scaramucci.

« The Mooch » est le deuxième membre de l’administration Trump à fracasser un record de brièveté en poste après le congédiement précipité du conseiller pour la Sécurité nationale Michael Flynn (24 jours en fonction). Le nom du procureur général Jeff Sessions pourrait prochainement s’ajouter à cette liste, puisque Trump a critiqué publiquement son travail à maintes reprises dans les dernières semaines.

Ce haut taux de roulement au sein de la Maison-Blanche de Trump est symptomatique d’une mauvaise gestion menée par un président impopulaire, empêtré dans un scandale liant potentiellement sa campagne avec la Russie, en guerre ouverte avec les grands médias américains et à couteaux tirés avec les législateurs républicains.

En politique intérieure, Trump a tourné la page sur les six premiers mois de sa présidence sans aucune victoire législative significative. Pire encore, il n’a toujours pas réussi à obtenir l’abrogation de la réforme de l’assurance maladie de Barack Obama d’un Congrès entièrement contrôlé par son propre parti politique.

En politique étrangère, le 45e président continue de mettre en péril l’ordre international libéral avec les balbutiements de sa doctrine « America First ». Sa présidence n’a même pas encore été testée par une crise internationale d’envergure. À cet égard, les essais à répétition de missiles balistiques intercontinentaux par la Corée du Nord sont peut-être annonciateurs de ce premier grand défi.

Dans ce contexte, le processus décisionnel décousu de Donald Trump et sa tendance à solliciter des avis de manière informelle auprès de proches tels que Steve Bannon et Jared Kushner inquiètent bien des Américains. C’est là où le général Kelly peut tirer son épingle du jeu.

Un général à la rescousse

Donald Trump s’attend à ce que John Kelly, un ancien Marine, impose une discipline militaire sur un personnel souvent incompétent, prompt aux fuites et déchiré entre factions. De plus, l’expérience acquise jadis par Kelly en tant qu’officier de liaison au Congrès pourrait permettre au président d’améliorer ses rapports avec les législateurs.

Pendant que Trump souhaite que le général Kelly dirige ses subordonnés et les contraigne à une loyauté totale à son égard, l’élite républicaine espère plutôt qu’il puisse ramener à l’ordre l’occupant du bureau Ovale. John Kelly aura en effet la lourde tâche d’encadrer un président aux habitudes de travail peu orthodoxes. Il devra tenter de convaincre Trump de prioriser ses objectifs politiques et de s’y consacrer pleinement, tout en cessant de publier constamment des déclarations incendiaires dans la twittosphère.

Kelly aura aussi pour mission de contrôler l’accès à Trump et d’imposer une structure décisionnelle au sein d’une Maison-Blanche où des personnages surréalistes comme Scaramucci pouvaient prétendre gouverner au nom du président. Surtout, le second chef du bureau de la Maison-Blanche de Trump devra le sauver de ses instincts autodestructeurs : sa tendance obsessive à camoufler la vérité et vouloir faire obstruction au processus judiciaire.

John Kelly réussira-t-il là où Reince Priebus a lamentablement échoué ? Le milliardaire de l’immobilier voue, il est vrai, une admiration sans borne à ses conseillers en uniforme qu’il appelle « ses généraux », ce qui pourrait faciliter le travail de Kelly.

S’il demeure dans les bonnes grâces du président, peut-être sera-t-il en mesure de permettre à ses collègues militaires, le secrétaire à la Défense James Mattis et le conseiller pour la Sécurité nationale H.R. McMaster, de bien conseiller Donald Trump et ainsi contribuer à formuler enfin des politiques sensées – par exemple résoudre l’épineux dossier du nucléaire nord-coréen.

Cependant, rien n’est moins sûr. Kelly pourrait échouer et c’est ironiquement un autre ancien Marine, le procureur spécial Robert Mueller responsable de l’enquête sur la Russie, qui pourrait décider du destin de cette présidence absolument hors du commun.

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