Opinion

Quand Trump divertit les goélands

Le président américain lance des bouts de pain aux journalistes afin de les éloigner de ses scandales

Quand on fait un pique-nique dans un parc ou sur le bord de l’eau, il arrive que les goélands nous harcèlent. Ils s’avancent, nous observent, sautent sans avertir et tentent de se servir dans notre sac à lunch. Ils nous narguent pour trouver de quoi se mettre dans le bec, un peu comme le font les journalistes avec le président Trump.

Il faut alors trouver une façon de les éloigner pour retrouver l’homéostasie familiale. Certains utilisent parfois la technique qui consiste à lancer très loin un objet pour éloigner les oiseaux mangeurs de fastfood et les observer s’entredéchirer loin de leur repas.

C’est exactement ce que fait le président Trump avec la presse. De temps en temps, pour avoir la paix et dévier l’attention ailleurs que sur ses tribulations, il se lève tôt le matin et lance un faux morceau de pain aux goélands qui épient ses moindres gestes. Ces derniers se ruent alors sur la nouvelle et en font largement la promotion, tout en le critiquant de diffuser ces faussetés baptisées poétiquement « faits alternatifs ».

Faut-il rappeler ici que bien des journalistes qui critiquent vigoureusement les coups de gueule à 140 caractères de Trump sont des abonnés de son compte Twitter ? Couvrir ou ne pas couvrir ? Telle est le grand et délicat dilemme de la presse avec les déclarations douteuses du président américain.

Quand un voleur lance un os très loin de la maison qu’il veut piller pour éloigner le molosse qui garde la porte, il utilise la même vieille technique que Trump applique à la toile avec plus de finesse.

Comme quoi l’intelligence artificielle qui habite les nouvelles technologies se nourrit probablement de notre naïveté naturelle collective.

Rien à perdre

Le président Trump n’est pas l’inventeur de cette façon de faire. On a beaucoup parlé ces derniers jours de KPMG et de ses stratagèmes d’évasion fiscale. Les gens qui prennent le risque de leur confier leur argent utilisent la même stratégie. Puisque je ne peux aller en prison pour ce délit, se disent-ils, ça vaut la peine. Si je me fais prendre, je vais négocier dans la pénombre les impôts et les pénalités, mais comme les chances que tout ça passe incognito sont bien réelles, ça vaut le risque. Et même si on me demande un jour de payer, ma petite magouille m’aura quand même rapporté plus que ce que je donnerai ultérieurement aux impôts.

C’est exactement ce que fait Trump en affirmant sans aucune preuve qu’Obama l’a fait espionner à la tour Trump. Pendant que les goélands se ruent sur cette affirmation croustillante et très probablement fausse, ils cessent temporairement de l’emmerder sur le dossier russe et les autres squelettes plus préoccupants enfouis dans son placard. Après tout, Trump a passé des années à dire que le président Obama est un musulman qui avait probablement un agenda secret, et ce, sans aucune conséquence. Il n’a payé aucun prix politique pour ce honteux mensonge.

Quand les réprimandes futures sont moins fâcheuses que les bénéfices immédiats, tout est permis aujourd’hui dans une certaine politique et une certaine façon de faire des affaires.

Des crapules de l’industrie pharmaceutique utilisent aussi cette douteuse façon de procéder. Ici, le stratagème consiste à mettre sur le marché un médicament dont on se garde précieusement de dévoiler certains des effets secondaires qui pourraient en compromettre la commercialisation. Ces initiés savent alors que le médicament va leur rapporter un magot suffisamment important pour pouvoir faire face à la musique en cas de pépins judiciaires.

La quête du pouvoir

De nos jours, quand la politique et l’argent se pointent le nez, les valeurs et les devoirs envers toute la collectivité s’évanouissent souvent dans la nature. La quête du pouvoir est devenue pour certains l’art de surveiller les sondages, comme une télé privée surveille les cotes d’écoute. S’occuper de sa base électorale avant de penser à la collectivité, la nation ou le pays est devenu la norme chez les politiciens clientélistes dont Trump incarne l’archétype. 

Les tweets du président américain qui font sursauter la planète sont aussi des salutations matinales destinées à ses partisans. Peut-être donc qu’on devrait de temps en temps laisser ceux à qui il parle répondre au lieu de les relayer pendant 24 h dans les chaînes d’information en continu.

Ceci dit, l’image du goéland sert ici davantage à présenter de façon métaphorique les techniques de Trump qu’à critiquer le vrai travail journalistique, qui est hautement essentiel dans une démocratie.

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