Sans filtre

« On a laissé tomber les gens de manière extrême »

Nevio Pizzolitto
Impact défenseur central

Dans leurs propres mots, des athlètes d’ici reviennent sur des moments charnières de leur carrière ou lèvent le voile sur des aspects méconnus de celle-ci. Bonne lecture !

Il y a 10 ans, le 5 mars 2009, l’Impact vivait l’un des moments les plus cruels du sport québécois sur le terrain de Santos Laguna, au Mexique. À quelques minutes d’une place en demi-finales de la Ligue des champions, le onze montréalais, alors pensionnaire de la USL, a plutôt subi une douloureuse élimination en encaissant deux buts durant les arrêts de jeu. Nevio Pizzolitto, défenseur central et capitaine cette journée-là, se remémore la folie du match aller, l’inquiétude avant le duel retour et, finalement, les dernières minutes d’un match qui a marqué l’histoire.

Il n’y a pas un mot, mais plutôt des sanglots dans le vestiaire. Je pleure, et quelques joueurs aussi. L’ambiance est lourde, parce qu’il s’agit peut-être du moment le plus triste dans notre carrière de joueur professionnel. Je ne pense pas seulement au fait que nous avons raté notre qualification pour les demi-finales. J’ai aussi une pensée pour les partisans et tous les acteurs du soccer canadien.

Le lendemain, à notre retour à Montréal, on a d’ailleurs vu à quel point on avait été suivis. Tellement de gens ont regardé ce match même s’il avait commencé tard. On aurait aimé les rendre heureux, mais on les a plutôt laissé tomber de manière extrême. À cause de la fatigue et d’un manque d’expérience, on a encaissé ces deux buts dans le temps additionnel.

Ça s’était pourtant bien passé jusque-là. Je me revois encore au match aller avec plus de 55 000 spectateurs au Stade olympique. On était très nerveux, mais très excités en même temps de savoir qu’on aurait un stade plein pour nous soutenir. Ça nous avait donné un peu plus de motivation pour croire que, peut-être, on pourrait réussir à battre un adversaire donné largement favori.

Je me rappelle le deuxième but sur lequel je frappe un long coup franc en direction de Roberto Brown. Il bat son défenseur et combine pour Eddy [Sebrango] qui, comme toujours, est là au bon endroit au bon moment. À 2-0 au match aller, personne ne se dit que c’est gagné. On est juste un peu surpris du résultat, surtout qu’on n’a pas joué notre meilleur match.

On arrive à Torreón le dimanche alors que le match a lieu le mercredi. On sent rapidement l’ambiance dans la ville, mais on ne sort pas beaucoup de l’hôtel, à part pour les entraînements. On ne fait pas de visite et on ne parle pas avec les gens. On reste tous ensemble.

Avant le match, on n’est pas tant nerveux qu’inquiets. On sait que Santos Laguna va être plus fort qu’au match aller. En plus, il y a le soutien des partisans locaux. Cinq ou six joueurs de l’équipe ont déjà connu ce genre d’ambiance, en Amérique centrale ou dans les Caraïbes, avec leur sélection nationale respective. Nous, on est en mesure de savoir ce qui nous attend, mais la moitié de l’équipe est inexpérimentée à ce chapitre. Par exemple, Adam [Braz], qui se blesse avant le match, est remplacé par Kevin Sakuda. C’est justement l’un des gars qui n’avait pas vécu ce type d’expérience. Ça n’a pas aidé.

Dès les premiers instants de l’échauffement, on sent que ça va être difficile ce soir-là. Quand je fais le coin toss, au début du match, avec le gardien de but adverse, il me semble trop confiant. Je me souviens qu’il me dit : « Bienvenue dans notre ville maintenant. » C’est resté dans ma tête.

Santos Laguna marque le premier but, mais on égalise et on prend l’avantage. À 2-1 à la mi-temps, on est encore plus surpris que lors du premier match. On sait que, sur les terrains adverses, c’est énorme de marquer deux buts comme ça. Dans les vestiaires, on pense peut-être que c’était trop facile. John [Limniatis] essaie de nous calmer en nous disant que ce n’est pas fini. En tant qu’ancien joueur international, il sait que des moments difficiles peuvent encore arriver. Mais peu importe le discours, c’est dur pour un joueur de bien le comprendre s’il n’a jamais vécu cette expérience et s’il n’est pas préparé à passer à travers.

D’ailleurs, on n’est pas sortis avec la même mentalité. Certains pensaient déjà que c’était gagné et que c’était ridicule de croire qu’ils marqueraient quatre buts contre nous. C’est pourtant ça, le soccer. Les problèmes arrivent quand tu te mets à croire que c’est trop facile.

En face, on a rapidement vu qu’ils avaient changé de vitesse en deuxième demie. En plus, on était dans notre saison morte alors qu’eux avaient déjà commencé leur année depuis quelques matchs. L’adrénaline nous a poussés en première demie, mais on a baissé de niveau après la pause. La préparation de janvier et février a été bonne, mais tu ne peux pas être dans ta forme de saison aussi rapidement. Ça prend cinq ou six matchs pour que tu trouves réellement ton rythme.

On est encore qualifiés au début du temps additionnel même si on perd 3-2. On est quand même inquiets parce qu’on sait que tout peut changer avec un autre but. À cause du bruit, je ne peux pas bien communiquer avec mon défenseur latéral gauche. Ça aurait peut-être aidé si on avait pu se parler et bien rester en bloc. Mais, à ce moment-là, on avait trop de trous et, en face, il y avait de bons joueurs pour les exploiter.

Ils marquent le quatrième but à la 91e minute et on sent qu’on est dans le pétrin. Il aurait fallu être un peu plus rusés et plus intelligents dans des moments critiques. Il aurait peut-être fallu chercher le ballon dans le filet et le garder un peu. S’ils l’avaient voulu aussi, ça aurait déclenché une petite bagarre et ça aurait ralenti les choses. Là, ils marquent ce quatrième but, ils courent pour le remettre au centre et ils inscrivent le but décisif tout de suite après. Notre inexpérience à ce moment-là et notre fatigue nous ont coûté la qualification.

Quand tu regardes l’alignement de Santos Laguna et le budget par rapport à nous, cela aurait été une anomalie de gagner. Ils avaient au moins trois joueurs qui faisaient plus de 1 million par année. Leur qualité est simplement ressortie au bon moment.

Le retour à Montréal, avec une escale à Dallas, a été pénible. On n’a pas trop parlé. C’est comme si on était tous en train de réfléchir pendant le voyage. D’habitude, on est en groupe, on joue aux cartes et on fait des blagues. Mais cette journée-là, c’était très silencieux. Il a tout de même fallu tourner la page et digérer cette défaite même si on commençait notre saison un mois plus tard. La saison a mal commencé, mais on a su montrer du caractère par la suite. Marc Dos Santos a remplacé John et on gagné le championnat à l’automne. On avait tellement une bonne équipe.

Dix ans plus tard, je me dis qu’on a peut-être commencé quelque chose. On a montré que le soccer canadien et nord-américain rattrapait un peu son retard. La MLS s’est aussi peut-être dit que Montréal pourrait être un marché très intéressant. Et quand le club a atteint la finale de la Ligue des champions, en 2015, certains acteurs de 2009 comme Mauro [Biello] ou Nick [De Santis] étaient encore là. Ils savaient que le club pourrait battre un adversaire du même genre en poussant un peu.

Avec le recul, on peut se dire qu’on a longtemps tenu tête à une équipe mexicaine malgré un budget nettement inférieur. Mais, au quotidien, je ne pense plus à ce match. C’est mieux comme ça.

— Propos recueillis par Pascal Milano, La Presse

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