Environnement

Des abeilles qui réchauffent les orchidées

Apiculteur en Montérégie, Raymond Lussier est aussi un orchidophile réputé qui a remporté de nombreux prix. Sa serre compte des milliers d’orchidées, et le système de chauffage qu’il a mis au point est renversant. La chaleur provient de ses millions d’abeilles.

700 ruches chauffantes

Raymond Lussier, retraité de 64 ans, élève des abeilles depuis des décennies. D’abord un loisir, l’apiculture est devenue une entreprise qui compte aujourd’hui 700 ruches, un travail considérable partagé avec son fils, aujourd’hui apiculteur à temps plein. Mais M. Lussier a une autre passion : les orchidées. Inventif, l’apiculteur-orchidophile a réalisé que ses précieuses abeilles pouvaient lui être utiles même en hiver. Aussi a-t-il conçu avec des techniciens un système sophistiqué permettant de récupérer la chaleur émise par ses 700 ruches pour chauffer sa serre.

Des abeilles utiles en hiver

L’abeille est un insecte tropical dont la température corporelle se maintient autour de 30 °C. Pour assurer la survie des colonies, l’apiculteur doit nourrir ses abeilles avec une solution sucrée qu’elles consommeront tout l’hiver. Paradoxalement, l’entrepôt adjacent à la serre où sont placées les ruches doit demeurer à 4 °C pour garder les abeilles regroupées et éviter qu’elles ne sortent de leur quartier d’hiver, ce qui leur serait fatal. L’insecte meurt si la température descend sous 10 °C. Agglomérées les unes aux autres, les abeilles se relaient sans cesse du centre jusqu’à l’extérieur de l’essaim, où la température est plus fraîche.

Un système de réfrigération… qui réchauffe

Le système de réfrigération de M. Lussier agit à la manière d’une thermopompe ou d’un frigo. La chaleur produite par les ruches est soutirée de l’entrepôt pour être utilisée au besoin par la serre d’orchidées et deux autres pièces adjacentes. Un chauffage d’appoint est activé pour les orchidées seulement en cas de froid intense. « La serre est maintenue à 14 °C la nuit et à 24 °C le jour, explique-t-il. À ma connaissance, ce système qui utilise la chaleur des abeilles est unique. Il n’est pas breveté. Les orchidées et les abeilles, c’est avant tout une grande satisfaction. »

La piqûre des orchidées

Professionnel de la santé dans un laboratoire d’hématologie à Saint-Jean-sur-Richelieu, Raymond Lussier a commencé à élever des abeilles en 1977. « C’était un loisir qui me reposait d’un travail exigeant. Les abeilles demandent toujours 100 % de ta concentration. Tu ne dois rien brusquer, faire des gestes lents et calculés. Sinon, tu vas te faire piquer. » Puis dans les années 90, ce fut la piqûre des orchidées, une passion qui a pris de l’ampleur au fil des ans. Aujourd’hui, il cultive plus de 11 000 orchidées, dont 8000 « bébés » qui doivent attendre de 7 à 10 ans pour fleurir.

Des ruches voyageuses

Les ruches de M. Lussier sortent de leur entrepôt hivernal ces jours-ci. Sur une population automnale d’environ 12 000 par colonie, les pertes normales ne devraient pas dépasser 3000 individus. Les abeilles seront nourries une fois de plus en attendant l’apparition des premières fleurs. Puis, elles se mettront à voyager à travers le Québec pour faire leur travail de pollinisatrices. D’abord les vergers, puis les bleuetières et les champs de canneberges. Elles reviendront en Montérégie en juillet afin de terminer leur saison dans les champs de melons ou de concombres. En apiculture québécoise, près de la moitié des revenus est générée par la pollinisation.

Le plaisir du partage

Si M. Lussier et son fils tirent bien leur épingle du jeu avec leurs abeilles, dont le miel se vend au marché Jean-Talon, l’entreprise a aussi connu des déboires. En 2003, aucune de ses 200 colonies n’a passé l’hiver en raison de maladies. Il a fallu repartir à zéro. Quant aux fleurs, l’orchidophile ne vise pas la rentabilité. « Je vends certains spécimens tout simplement pour partager le plaisir d’avoir obtenu une nouvelle variété intéressante. Mais quand il faut attendre 10 ans pour obtenir une première fleur qui ne correspondra peut-être pas à vos attentes, vous ne faites pas ça pour l’argent », fait-il valoir.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.