Gourmand Manger local

SE nourrir à même la forêt

C’est là que les autochtones et les premiers colons s’approvisionnaient pour se nourrir et se soigner. Pendant longtemps, la forêt a été notre ressource première, mais ce garde-manger sauvage a été mis de côté avec l’arrivée de l’agriculture industrielle et de la mondialisation. Avec eux, un savoir-faire ancestral a sombré peu à peu dans l’oubli. Mais alors que s’effectue un retour marqué vers le local, la forêt et la cueillette sauvage retrouvent leur attrait. Regard sur un phénomène qui est beaucoup plus qu’une mode.

En ce mercredi du début de juin, il fait un soleil éclatant. Dans le stationnement du parc national des Îles-de-Boucherville, nous retrouvons Macha Imbault. Chef nomade avec son entreprise Macha’s cuisine, elle adore faire de la cueillette en forêt et même dans les ruelles de Montréal. Au festival Beside, qui s’est déroulé le week-end dernier au même endroit, elle a donné son nouvel atelier sur l’alimentation en forêt.

En nous promenant une heure dans les sentiers du parc, nous avons identifié une dizaine de plantes comestibles très communes : des tendres feuilles et pousses parfaites pour garnir les salades (feuilles de plantain et de pissenlit, pois sauvages, oxalide), des fleurs délicieusement sucrées (vesce jargeau, fleurs de trèfle) et d’autres feuillages à faire infuser, comme les feuilles de framboisiers et de jeunes feuilles de tilleul.

Un monde de découvertes

C’est lorsqu’elle a vécu dans la région de Kamouraska, il y a quatre ans, que Macha Imbault a acquis son intérêt et ses connaissances sur la cueillette sauvage et la transformation, en travaillant avec Claudie Gagné, pionnière de la cueillette de plantes sauvages des battures au Québec, avec son entreprise Les Jardins de la mer.

Cette expérience lui a ouvert les portes d’un nouveau monde de merveilles à déguster. Depuis, chaque promenade en forêt est une occasion de s’approvisionner à même ce garde-manger en plein air. « C’est désormais impossible pour moi de me promener en forêt sans m’arrêter aux deux pas ! », s’exclame celle pour qui la cueillette sauvage est d’abord et avant tout une façon de « reconnecter avec la nature ».

Elle n’est pas la seule à ressentir ce besoin de renouer avec la forêt, dont la cueillette sauvage est la porte d’entrée. À preuve, le nouveau et magnifique livre Forêt, signé par Gérald Le Gal et Ariane Paré-Le Gal, est actuellement au quatrième rang du palmarès de Renaud-Bray, un exploit en soi pour ce guide d’identification réinventé, agrémenté d’illustrations (Bess Callard), de photos (Xavier Girard Lachaîne) et de recettes.

L’ampleur du succès a surpris le duo père-fille, qui a travaillé près de quatre ans à la réalisation de cet ouvrage, véritable bible à la fois pratique et poétique permettant d’identifier, de cueillir et de cuisiner les plantes de nos forêts. Une façon pour Ariane, qui a repris l’entreprise fondée il y a 25 ans par Gérald, Gourmet sauvage, d’assurer un legs des vastes connaissances de son père, mais aussi d’entamer une « conversation » avec les gens.

« On se rend compte que l’ouvrage vient toucher des gens de toutes les générations. On s’adresse aussi à des foodies, à ceux qui vivent à la campagne, mais aussi en ville et qui ont envie de rêver à un peu de forêt dans leur salon. »

Réhabiliter le sauvage

Ariane constate que les gens ont un intérêt accru pour la cueillette sauvage. Le mouvement, qui a pris naissance avec l’engouement autour des champignons sauvages et des têtes de violon, s’étend désormais à la forêt entière.

« Le sauvage a longtemps été vu comme la nourriture des pauvres, mais il commence à prendre de la valeur aux yeux des gens. Cela devient beaucoup plus normal d’aller faire sa propre cueillette », dit celle qui compte une liste d’attente de 800 personnes pour les ateliers qu’offrira Gourmet sauvage sur les champignons… en 2020.

Un enthousiasme que ressent également Hugues Sansregret, biologiste et directeur des opérations à la Forêt Montmorency, la forêt de recherche et d’enseignement de l’Université Laval. On y a lancé en 2014 « De la forêt à l’assiette », une activité alliant cueillette et cuisine, et qui se déroule à l’année – même l’hiver, autour du sapin !

« La culinarité en forêt a un fort potentiel attractif ; nos activités sont toujours complètes ! Les gens cueillent et, dans la même journée, apprennent à cuisiner les fruits de leur cueillette. Le niveau de satisfaction qu’ils en retirent est très élevé », affirme-t-il.

Manger la forêt

Alors que l’intérêt pour les produits et artisans locaux est plus grand que jamais, manger la forêt ne serait-il pas l’ultime geste locavore ? « Pour moi, c’est un complément évident. J’ai la forêt et mon potager, les deux sont nécessaires à mon alimentation », explique Ariane Paré-Le Gal.

Le plus étonnant, c’est que plusieurs plantes présentées dans l’ouvrage sont souvent considérées comme… des mauvaises herbes ! « Les mauvaises herbes des uns sont les trésors des autres », lance-t-elle, ajoutant qu’un gazon non traité peut accueillir jusqu’à une trentaine de plantes sauvages comestibles. « La cueillette, c’est accessible ! La majorité se fait en milieu ouvert : des champs en friche, des gazons… », soutient-elle.

Feuilles, fruits, fleurs, racines, arbres, épices, aromates, noix, graines, champignons… cuisiner avec un garde-manger sauvage ouvre en grand les portes de la créativité – et des papilles ! –, car le cueilleur-cuisinier doit travailler avec ce que la nature lui donne. L’idée de saisonnalité est alors poussée à son maximum.

« La forêt, c’est un laboratoire de goût encore plus vaste que notre jardin. Le sauvage nous permet d’explorer des terrains inconnus. »

— Ariane Paré-Le Gal

« La cuisine sauvage, c’est retrouver une liberté de choix. En épicerie, tout goûte pareil à l’année. Quand tu cueilles ce qu’il y a devant toi, en fonction du moment de l’année, tu vas de surprise en surprise. Cela fait renaître la créativité en cuisine », ajoute l’ancienne journaliste, qui a quitté la ville pour la campagne il y a quatre ans afin d’assurer la relève de Gourmet sauvage.

C’est en explorant la variété de saveurs et de textures, et en essayant divers procédés de transformation, que Gérald Le Gal a créé des produits aujourd’hui devenus presque cultes. Pensons notamment aux cœurs de quenouille marinés, aux câpres de boutons de marguerite ou à l’essence de mélilot, qui remplace avantageusement la vanille, aujourd’hui au menu des plus grands restaurants d’ici – et même, depuis peu, chez un glacier à New York !

Comme quoi notre gastronomie se définit et rayonne davantage en allant puiser dans ce qui définit plus que tout notre identité culinaire : notre territoire, ses forêts et son terroir.

Forêt

Ariane Paré-Le Gal et Gérald Le Gal

Éditions Cardinal

384 pages

44,95 $

Recette

Câpres de boutons de marguerite

INGRÉDIENTS

250 ml d’eau

250 ml de vinaigre de cidre

1 c. à soupe de sel de mer

2 tasses de boutons de marguerite

PRÉPARATION

1. Mélanger l’eau, le vinaigre et le sel et porter à ébullition. Réduire le feu au minimum.

2. Dans un autre chaudron, blanchir les boutons de marguerite pendant 30 secondes dans l’eau bouillante.

3. Empoter les boutons, verser la saumure chaude et fermer le couvercle.

Cette préparation se conservera environ deux mois au réfrigérateur. Pour avoir des conserves stables en étagère, couvrir les pots d’eau et les faire bouillir pendant 12 minutes après l’empotage.

Selon la loi sur les parcs, il est strictement interdit de faire de la cueillette dans les parcs nationaux et les contrevenants sont susceptibles de recevoir une amende.

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