Une greffe de foie pour le petit Jérôme

Par un gris soir d’hiver, le Dr Michel Lallier arrive au CHU Sainte-Justine. D’un pas rapide, le chirurgien entre au bloc opératoire. Dans une salle, un poupon d’à peine 7 mois, que nous appellerons Jérôme, l’attend.

Le petit souffre d’un dysfonctionnement du foie depuis la naissance, ce qui lui cause d’importants problèmes de coagulation. La moindre coupure peut lui être fatale. Son seul salut : obtenir un nouveau foie.

Sur la liste d’attente de dons d’organes depuis des semaines, le bébé a été admis aux soins intensifs, tant sa situation est précaire. À la dernière minute, un donneur décédé et compatible s’est présenté sur la liste d’attente. « C’était vraiment inattendu », commente le Dr Lallier.

Chirurgien pédiatrique, le Dr Lallier est l’un des trois seuls spécialistes du Québec qui effectuent des greffes chez les enfants. Il est aussi le seul à pratiquer des « réductions hépatiques in vivo ». Il peut ainsi prélever le foie d’un donneur adulte ou plus âgé et réduire l’organe afin de l’implanter sur des patients plus petits, voire des bébés. C’est ce qu’il fera ce soir sur Jérôme.

LE FOIE

Un peu plus tôt dans la journée, le Dr Lallier s’était rendu dans un centre hospitalier afin de prélever le foie d’un donneur décédé. Aucune information précise sur ce cas ne peut être divulguée. La Presse a toutefois pu accompagner le Dr Lallier lors de la procédure. Pour presque toutes les greffes qu’il pratique, le Dr Lallier procède à la fois au prélèvement de l’organe et à son implantation. « Chaque journée de greffe est assez longue. Mais vraiment intéressante », témoigne-t-il.

À l’extérieur de la salle où aura lieu le prélèvement, des glacières de Transplant-Québec attendent les précieux organes.

Juste à côté, dans la salle d’opération, une équipe d’environ 15 personnes prépare le corps du donneur pour l’intervention. L’atmosphère est solennelle. Une infirmière replace délicatement les cheveux du donneur.

À ce moment, le Dr Lallier entre dans la pièce et entreprend de résumer l’histoire du donneur. « Maintenant, avant de commencer, j’aimerais qu’on tienne une minute de silence pour remercier cette personne du geste extraordinaire qu’elle fait », dit le chirurgien, imposant du coup le calme chez son équipe.

LE PRÉLÈVEMENT

Après ce moment de recueillement, tous se remettent en branle.

D’un geste assuré, le Dr Lallier empoigne son bistouri et ses autres instruments et expose le thorax du donneur. Puis, il procède à l’extraction du foie. La portion gauche de l’organe, plus petite, sera utilisée pour la greffe sur Jérôme. Elle devra tout de même être significativement réduite pour pouvoir être implantée dans l’abdomen du poupon.

Patiemment, le Dr Lallier et ses collègues coupent une partie du foie en prenant garde de bien sécuriser tous les vaisseaux. Seul organe humain qui se régénère seul, le foie pourra, même coupé, fonctionner parfaitement dans le corps de Jérôme.

Trois heures après le début de l’opération, une partie du foie du donneur est détachée et déposée dans une solution de préservation dans la glace.

Le Dr Lallier procède ensuite à l’extraction des reins, qui sauveront d’autres patients. Cette portion de son travail terminée, le Dr Lallier cède sa place aux autres équipes venues prélever d’autres organes du donneur et part avec le foie. « Le prélèvement est très mécanique. Mais il ne faut jamais oublier le geste que ces donneurs et leur famille font », dit-il.

L’IMPRÉVU

Plus de trois heures et demie après le début de la greffe, les anesthésistes, la Dre Marie-Andrée Girard et la Dre Chantal Crochetière, s’inquiètent : la pression du patient est basse. Le Dr Lallier craint qu’un saignement non détectable n’en soit responsable. Il cherche une fuite, sans succès. Une radiologiste est appelée afin de faire le point sur la situation.

La Dre Julie Déry fait son entrée avec sa machine à échographie. Dans la salle d’opération maintenant plongée dans le noir, le Dr Lallier et ses collègues fixent attentivement l’écran. L’examen ne révèle finalement rien d’anormal. Le Dr Lallier pousse un soupir de soulagement. Des médicaments sont donnés au bébé dont la pression remonte.

Le Dr Lallier et le Dr Borsuk se retrouvent dans le corridor et discutent quelques minutes, visiblement ravis de la conclusion de cette greffe qui a été un succès.

Il est environ 7 h du matin. Le Dr Lallier est réveillé depuis 24 heures. Mais son travail n’est pas terminé. Il se rend aux soins intensifs où il discute du cas de Jérôme avec le médecin de garde. Le chirurgien annonce que le poupon arrivera aux soins intensifs en matinée.

Le Dr Lallier appelle la famille pour l’inviter à venir le rencontrer. Il procède ensuite à la rédaction du dossier. Muni de crayons de couleur, il résume graphiquement la greffe.

Vers 7 h 30, le Dr Lallier rencontre la famille de Jérôme, qui est extrêmement soulagée de savoir que l’opération s’est bien déroulée. Déjà, les tests révèlent que le sang du petit coagule mieux. Le Dr Lallier explique que les 72 premières heures seront les plus critiques. Puis, il quitte la famille.

LA SUITE

Le Dr Lallier semble à peine fatigué.

Heureusement, car une autre greffe l’attend. L’opération prendra en tout huit heures. Puis en soirée, soit près de 36 heures après son réveil, il participera à une répétition de claquettes, son passe-temps préféré.

À 52 ans, père de quatre enfants, dont deux jeunes garçons, n’est-il pas fatigué ? « Pourquoi ? demande-t-il, comme surpris par la question. Non. Je dors quand il le faut, je suis réveillé quand il le faut. J’adore ce que je fais. »

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