Éducation

L’école du futur

Entrer dans une forêt de bouleaux, puis emprunter un pont couvert pour aboutir à New York. Sortir de la bibliothèque de Harry Potter par la glissoire menant au gymnase. Lire en se balançant dans une bulle de plexiglas suspendue au plafond ou blotti sur des coussins au coin du feu. Cuisiner sous la supervision d’un grand chef. Cultiver des légumes dans la serre et les vendre au magasin général. Visiter un musée parisien grâce à la réalité virtuelle. À la prochaine rentrée, les élèves de l’école Au Millénaire, à La Baie, pourront faire tout ça pendant leurs journées de classe.

Et en trois langues, puisqu’il s’agit d’un projet trilingue.

À voir tout ce qui s’y prépare, on croirait que c’est ça, le Lab-école du ministre de l’Éducation. C’est plutôt un projet maison réalisé à la vitesse de l’éclair, à prix raisonnable, par la commission scolaire. « Quand on l’a présenté au Ministère, en février, on s’est fait répondre qu’on était trop vite par rapport à ce qui s’en venait… », raconte la directrice de la CSRS, Chantal Cyr.

Le ministre Sébastien Proulx a confié à trois vedettes le mandat de « concevoir un nouveau milieu de vie qui donne le goût aux enfants d’apprendre », tout en faisant la promotion de « saines habitudes de vie (alimentation, activité physique, développement durable et communautaire, etc.) », a-t-on appris dans le dernier budget provincial. Le sportif Pierre Lavoie, le chef Ricardo Larrivée et l’architecte Pierre Thibault ont reçu un budget de 5 millions sur cinq ans pour accomplir cette mission.

« Pour trouver des idées, on n’est pas allés en Scandinavie ou ailleurs », poursuit-elle, faisant allusion aux intentions du trio à la tête du Lab-école d’aller chercher l’inspiration ailleurs dans le monde pour améliorer l’école québécoise.

« On a simplement surfé sur l'internet. Ce ne sont pas les belles écoles dans d’autres pays qui nous ont inspirés, mais les bureaux colorés d’entreprises comme Facebook, Apple, Google. »

— Chantal Cyr, directrice de la CSRS

En plus d’en mettre plein la vue, les aménagements tiennent compte des dernières recherches en pédagogie, en prévoyant par exemple différents coins lecture.

Deux autres particularités de la nouvelle école : l’utilisation des nouvelles technologies (iPad pour chaque élève, télés interactives, lunettes de réalité virtuelle) et l’initiation à l’entrepreneuriat (culture en serre et vente des produits au magasin général).

Coût du projet pour la CSRS : environ 375 000 $, pour réaménager un bâtiment utilisé jusque-là pour l’éducation des adultes. « Réaménager des locaux, quand la bâtisse est en bon état, coûte 250 000 $ en moyenne, explique la directrice. On a ajouté seulement 125 000 $ pour les rendre plus attrayants. »

Le projet a démarré rapidement : décision en décembre, début de la construction en janvier. C’est parce qu’elle a ses propres employés de la construction que la commission scolaire a pu agir vite. « Les rénovations et presque tout le mobilier ont été faits par nos équipes, qui trouvent plein de trucs pour que ça coûte moins cher. » Et les belles tables en tranches d’arbres ? « Elles coûtent 565 $ en quincaillerie et remplacent quatre bureaux », répond Mme Cyr.

Une subvention de 200 000 $ du ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) a permis l’achat des outils technologiques, ce qui porte le total des frais à 575 000 $.

Des critiques ont toutefois souligné que cet argent aurait pu permettre l’embauche d’orthopédagogues pour les enfants qui en ont besoin, ou des rénovations dans d’autres écoles décrépites.

Les 165 places disponibles ont été attribuées par tirage au sort parmi les 500 demandes reçues. « On a mis de côté l’aspect performance. Il faut arrêter de réserver les projets les plus stimulants aux meilleurs élèves », dit Chantal Cyr.

Des centaines de petits Lab-école

Des initiatives comme Au Millénaire, il en existe des centaines dans les écoles du Québec, qui accomplissent exactement le but que s’est fixé le Lab-école, sans financement du ministère. Des enseignants et directeurs d’écoles font des pieds et des mains pour trouver des fonds pour leurs projets et doivent parfois se battre contre le système pour les réaliser.

Pourquoi le Ministère ne les encourage-t-il pas ? se demande Karine Lévesque. L’enseignante en adaptation scolaire à l’école Louis-Joseph-Papineau, dans le quartier Saint-Michel à Montréal, a aménagé un grand jardin sur le terrain de l’école il y a deux ans. Le plus difficile ne fut pas de désherber et de labourer le terrain, mais de convaincre la commission scolaire d’accepter son projet, de solliciter l’aide d’organismes du quartier et de trouver du financement à gauche et à droite, ce qui lui a pris un temps fou.

« Des idées, on en a. Le problème, c’est qu’on n’a pas de moyens ! »

— Karine Lévesque, enseignante en adaptation scolaire à l’école Louis-Joseph-Papineau

« Je n’ai rien contre ces trois personnes qui veulent changer l’école, mais nous aussi, on essaie de la changer, de l’intérieur. »

Pourtant, le jardin cadre parfaitement avec le programme d’adaptation scolaire, voué à la préparation au marché du travail des jeunes ayant une déficience légère, note-t-elle.

« On sait que les enfants apprennent mieux dans de belles écoles lumineuses, mais on enseigne dans des classes sans fenêtres, avec de vieux pupitres gribouillés et des chaises fendues, dénonce l’enseignante. Un collègue a de l’eau qui coule dans sa classe quand il pleut. Alors il a mis une plante sous la fuite, en disant que c’est pour ajouter de la verdure. On part de loin ! »

À bas les coins lecture

Yves Nadon, enseignant à Sherbrooke pendant 27 ans et maintenant consultant en éducation, avait trouvé une excellente façon de favoriser la lecture dans sa classe : l’aménagement d’une mezzanine avec des coins agréables où s’isoler avec un livre. Le père d’un élève, entrepreneur en construction, avait construit la structure bénévolement et M. Nadon y avait investi 1000 $ de sa poche.

Son initiative a fait des petits dans une douzaine de locaux au cours des 10 dernières années, surtout à l’école Notre-Dame-du-Rosaire, grâce à la participation financière des parents. Des parents se sont cotisés pour la construction de mezzanines dans les classes de leurs enfants.

Mais l’année dernière, toutes les structures ont été démolies, pour des raisons de conformité au Code du bâtiment. « Le plus drôle, pour les vieilles écoles, c’est qu’ils vont sûrement venir à la conclusion qu’une mezzanine serait tellement extraordinairrrrrrrre ! Et que des livres dans les étagères, c’est tellement cute et appétissant ! », a réagi Yves Nadon sur son blogue, à l’annonce du Lab-école.

En même temps, le consultant déplore que la réflexion qui s’amorce semble porter sur le contenant, en ignorant le contenu. Et qu’elle ait été entreprise sans qu’on tienne compte des enseignants. « Ceux qui sont en classe tous les jours avec les élèves connaissent les problèmes et ont des idées pour les régler », fait-il remarquer.

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