Livre Les écoles qu’il nous faut

EXTRAIT Le réveil collectif

Plus que jamais, le milieu de l’éducation est mûr pour un changement salutaire qui permettrait de transgresser les limites de l’école traditionnelle.

Nombre de professeurs, de directeurs, d’intervenants de commissions scolaires, d’architectes, de psychologues sur le terrain – et j’en passe – tentent tant bien que mal de faire progresser l’apprentissage de nos jeunes non seulement dans son contenu, mais aussi en repensant son milieu, son environnement immédiat. Sans compter les think tanks comme le collectif Repenser l’école, l’Institut du Québec et le Réseau des écoles démocratiques, qui essaient de bousculer les statu quo de la machine éducative en renouvelant le modèle avec divers influenceurs des milieux du design, de l’éducation, des affaires et de l’économie sociale.

Cette mouvance génère inévitablement une pression politique que tous les partis confondus ne peuvent plus ignorer.

À forcer d’insister et d’observer d’autres réseaux d’éducation publics sur la planète, le gouvernement provincial commence enfin à tendre l’oreille et à démontrer davantage d’intérêt pour des aménagements scolaires créatifs et durables.

Une somme de 2,5 millions de dollars a notamment été réservée à un projet de recherche de l’Université Laval visant à soutenir l’innovation de l’architecture scolaire à l’aide de données scientifiques, particulièrement pour optimiser le potentiel du parc immobilier existant. Une plateforme web baptisée Schola a été mise sur pied à ce propos afin d’encourager le partage d’outils d’accompagnement pour la rénovation des écoles québécoises.

Le Lab-école

Un « Lab-école » a aussi vu le jour afin de définir et de produire un plan d’action pour revoir le modèle scolaire québécois. Ayant à sa tête trois leaders de leur domaine professionnel respectif, soit l’architecte Pierre Thibault, l’animateur Ricardo et le sportif Pierre Lavoie, ce comité de réflexion profite d’un budget de trois millions de dollars répartis sur cinq ans. L’initiative comprend une tournée auprès de la population scolaire, des missions à l’étranger pour analyser les meilleures pratiques à l’échelle internationale, ainsi que le financement de projets-pilotes ayant pour objectif de tester de nouveaux concepts d’école sur notre territoire. Bien que plusieurs intervenants aient dénoncé l’initiative sous prétexte que les trois visages du Lab-école ne possèdent pas de réelle expérience sur le terrain de l’éducation, leur statut de vedette a au moins permis une chose : remettre en question des enjeux cruciaux liés à la réussite éducative, dont l’environnement bâti, qui ne parvenaient guère à obtenir un intérêt sur la place publique jusqu’à aujourd’hui.

Cela dit, quel avenir réserve-t-on à ce Lab-école ? Devra-t-on se frotter à la résistance interne de l’appareil gouvernemental ? Le conservatisme d’une partie du milieu de l’éducation aura-t-il le dessus sur notre capacité à innover ? Et surtout, les moyens financiers suivront-ils ces prochaines années pour moderniser l’ensemble du réseau public au-delà des projets-pilotes sélectionnés par le Lab ?

Ce qui est sûr, c’est qu’il existe actuellement un momentum permettant d’espérer une métamorphose stratégique et créative de notre parc immobilier. Il faudra cependant afficher plus de sagesse et de prévoyance que par le passé, en tirant des leçons de la période que nous vivons actuellement.

Une planification rigoureuse de l’urbanisation, autant de la part du gouvernement du Québec que des municipalités, est cruciale. Si l’on désire que nos écoles redeviennent de véritables milieux de vie implantés au cœur des communautés, on ne peut plus tolérer des institutions surpeuplées qui forcent la disparition d’une pléiade de services et de locaux éducatifs. Autrement, même les meilleurs procédés et les plus belles écoles du monde perdront de leur attrait et de leur efficacité. Densifier les villes en édifiant des condos et en développant de nouveaux quartiers résidentiels, c’est bien. Mais si la planification des infrastructures municipales, dont les écoles, ne suit pas, les familles auront bien raison de rager contre le système, et les maux de tête des dirigeants des commissions scolaires se multiplieront. Un meilleur dialogue doit s’établir entre les responsables scolaires et les municipalités.

« [Il] faut planifier différemment, a reconnu le ministre de l’Éducation Sébastien Proulx lors d’une entrevue radiophonique en décembre 2017. […] Les villes au Québec doivent [arrêter] de penser qu’une école, c’est un terrain comme les autres. Vous savez, quand vous ouvrez un nouveau quartier, on vous demande de l’espace pour faire des parcs, on vous demande des espaces pour faire des routes. Des fois, on pense y installer 1000, 2000, 3000, 6000 familles. On oublie qu’il doit y avoir une école primaire et une école secondaire. Ça fait partie des enjeux qu’on a au quotidien. »

Parc immobilier

De plus, les engagements politiques doivent tenir compte de la réalité sur le terrain. Par exemple, le fait de promettre la maternelle à quatre ans, c’est une chose. Mais le parc immobilier peut-il absorber ces nouvelles cohortes d’enfants sans hypothéquer les locaux essentiels à la vie pédagogique (bibliothèque, espaces les spécialistes, salle des professeurs…) ?

Une meilleure culture d’entretien des édifices publics doit également advenir. Ce n’est peut-être pas très rentable sur le plan politique, mais ce sera nettement bénéfique pour les futures générations. À terme, une bâtisse mal entretenue coûtera assurément plus cher à la société, surtout si on la laisse se dégrader sous prétexte que son entretien n’est pas prioritaire, et que d’autres investissements doivent être avantagés.

« Le ministère [de l’Éducation] injecte actuellement beaucoup d’argent pour réparer les écoles avec d’importants projets de remplacement de toitures, de fenêtres, de murs de maçonnerie, explique Jérôme Dionne, directeur des ressources matérielles à la Commission scolaire Sir-Wilfrid-Laurier, dans la région de Lanaudière. Mais si on avait suffisamment d’argent pour les entretenir au fil du temps et pour effectuer des petits travaux comme réparer des joints, du coulis dans les briques, etc., on n’aurait pas besoin d’investir aussi massivement dans les rénovations majeures. On pourrait tirer notre épingle du jeu avec des interventions ponctuelles et modestes. Nos écoles vieillissent mal. Elles sont belles sur le coup, mais elles ne le sont pas longtemps. L’entretien des bâtiments est sous-financé et c’est ce qui a créé l’immense indice de vétusté que l’on connaît actuellement. Et on répare, on essaie de vaincre la maladie, mais on ne s’attaque pas au sous-financement chronique ! Les belles annonces ministérielles pour les agrandissements et les constructions, c’est bien. Mais il faut penser plus loin que ça ! »

De même, il est de plus en plus indispensable de développer des stratégies de design qui assureront la flexibilité nécessaire à l’évolution organique des milieux d’apprentissage, et ce, en fonction du renouvellement des besoins pédagogiques, technologiques et démographiques des prochaines décennies. Murs amovibles, mobilier léger et adaptable à diverses clientèles, partage de ressources… Les immeubles « caméléons » permettront de diminuer à long terme les incessants coûts de modernisation du parc immobilier. On vient à peine de se remettre de la plus récente réforme de l’éducation que l’on doit déjà commencer à placer nos pions pour la suivante.

D’autres réformes vont inévitablement être instaurées… peut-être même plus rapidement qu’on ne le pense. Serons-nous prêts à rebondir avec notre architecture scolaire ? Quelle sera notre résilience devant ces futurs défis ?

Fait certain, si on désire améliorer nos méthodes et augmenter le potentiel d’attractivité de nos écoles, l’ouverture à de nouvelles possibilités pour encourager la réussite éducative devient essentielle. Parce que comme le disait Albert Einstein, « c’est une pure folie de faire sans arrêt la même chose et d’espérer un résultat différent ».

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