De tout pour faire un monde

L’audace de ses convictions

Il faut un peu de tout et d’un peu de tous pour faire un monde. Chaque semaine, Pause va à la rencontre de ceux et celles qui composent cette mosaïque humaine.

Assise au soleil, l’air serein, une femme en tunique bleue mastique lentement son dîner en écoutant le silence. Son objectif est de prier sans cesse, dit-elle. Que tout – chaque moment, chaque action – puisse être prière.

France Lavigne est devenue religieuse à 34 ans en entrant dans la communauté des Sœurs de Jérusalem. Avant de revêtir l’habit religieux, elle aimait se couvrir de couleurs vives et orner ses cheveux d’une fleur assortie à ses vêtements. « Pas tant pour le paraître que parce que c’était joyeux. »

Mais tout choix implique un renoncement. « Même dans le mariage, il y a des concessions à faire. C’est un peu la même chose avec la vie religieuse. Je suis maintenant celle que je crois que Dieu a créée et je m’en approche en me dépouillant de ce qui peut être superficiel. »

L’appel

Sœur France a grandi dans une famille pratiquante. À 8 ans, alors que les autres enfants aspiraient à devenir dentistes ou astronautes, elle détonnait en rêvant d’être religieuse. Plus tard, à l’adolescence et dans la vingtaine, elle a toutefois remis en question sa foi, et s’est ainsi fondue parmi tous les autres qui ne croient plus vraiment.

La jeune femme est devenue psychothérapeute en santé mentale et s’est construit une petite vie tranquille. « J’aimais beaucoup aider les gens et voir les transformations qui s’opèrent en eux juste par nos rencontres. Ce travail me nourrissait. Mais quand j’ai renoué avec ma spiritualité, je n’avais pas d’espace pour en parler. Moi, je crois que ça va ensemble, le côté psychologique et spirituel. Je pense que c’est indissociable pour faire un. »

Quand elle a été prête à entrer dans la vie religieuse – un choix qui n’est pas un facile, précise-t-elle en pesant chacun de ses mots –, une paix intérieure s’est installée. « J’étais convaincue de ma décision. Il n’y avait plus de combat, plus de questionnements. Pour la première fois, j’ai arrêté de me questionner sur ma place dans la vie. Comme si je l’avais toujours cherchée. »

« Je savais que si je ne choisissais pas ça, je ne serais pas heureuse. »

— Sœur France Lavigne

Suivant son appel, qu’elle décrit comme une voix intérieure, une conviction profonde, sœur France a donc quitté Roxborough, sa ville natale, en Ontario, il y a trois mois, pour une vie de couvent dans la grande ville. La novice a décroché de la technologie. Renoncé à la vie en couple et à la vie de mère. Son quotidien est maintenant rythmé par les offices, les tâches communautaires à l’intérieur de la communauté et un travail dans le monde extérieur.

La grâce de Dieu aide à renoncer à tout le reste, constate-t-elle. Dieu, par exemple, a mis des désirs dans son cœur, mais pas celui très poussé d’avoir des enfants. Quant à la vie de couple, elle l’a connue, mais elle est longtemps restée célibataire. La solitude, loin de lui peser, a toujours été nécessaire à son bien-être. « Aujourd’hui, je suis encore moins seule que si j’étais célibataire. Parce qu’il y a la présence de Dieu en moi, et la communauté. »

Un murmure dans le silence

Sa nouvelle demeure est située à quelques pas du métro Mont-Royal : une enclave de tranquillité au sein d’un quartier branché. Autour s’affaire une foule hétéroclite dans laquelle se côtoient les professionnels, les étudiants, les artistes et les mendiants. Parmi eux, quelques femmes et hommes vêtus d’une tunique se distinguent comme d’autres par leur excentricité. Ils sont autant de lampions vibrant discrètement dans la ville.

« C’est ce monde qu’on amène dans nos prières. On prie pour eux, avec eux. Je pense que le monde a besoin de ce contraste, d’une oasis de paix, d’un lieu de silence dans la turbulence. » Sa mission, commune aux autres frères et sœurs, est d’être présente, songe-t-elle. Comme autant de petites lueurs qui rappellent au monde que Dieu est là, au centre de tout, qu’il est paix, bonté, amour, espoir.

« L’église est ouverte entre 6 h et 21 h. Osez entrer ! Et vous verrez… » Vous verrez, ajoute-t-elle, que dans le bruit, on n’arrive pas toujours à l’entendre, mais il y a un murmure. Et ce murmure, c’est peut-être celui de Dieu.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.