KEIRIN

Une Ferrari dans une zone de 50

RIO DE JANEIRO — Hugo Barrette plissait les yeux et regardait au loin. Il tentait de trouver un sens à cette défaite. Pour l’heure, il n’y avait que déception. Il n’était pas midi et ses Jeux étaient finis.

On a beau être un rescapé, les regrets ne sont pas moins vifs sur le coup. « C’était clair que je pouvais gagner », a assuré Barrette quelques minutes après son élimination dans la première vague du repêchage du keirin, hier, à Rio de Janeiro.

Le pistard des Îles-de-la-Madeleine a terminé deuxième, battu de 38 millièmes par le petit Malaisien Azizulhasni Awang, dit le Pocket Rocket. Seul le premier de chaque vague accédait aux demi-finales.

Barrette n’avait pas de regrets : Awang a bien manœuvré et il a ensuite gagné la médaille de bronze en finale. Sa chance, il l’a ratée en première ronde. Le Canadien s’était parfaitement positionné derrière le Colombien Puerta. Mais quand le lièvre à vélomoteur s’est tassé et que le futur champion olympique Jason Kenny a donné son coup de reins, il n’a pas réagi sur-le-champ. Puerta a ralenti et le Québécois s’est fait emboîter.

« Celle-là, je l’ai ratée. C’est comme si j’ai été surpris. C’était tellement facile. J’ai attendu une fraction de seconde de trop et je n’y ai jamais vraiment été. »

— Hugo Barrette

Ses jambes, qu’il sentait si fortes depuis son arrivée au Brésil, il n’a jamais vraiment pu les exploiter. Comme s’il conduisait une Ferrari dans une zone de 50 km/h.

« C’est ça, le keirin, a dit Barrette en souriant. C’est ça qui fait sa beauté, mais ce qui peut être aussi un peu frustrant comme coureur individuel. »

Au fond, Barrette aurait aimé courir le sprint individuel, où le facteur chance est moins déterminant. Mais il n’a jamais pu se qualifier. En octobre, il a subi un affreux accident en Colombie. Il a failli y laisser sa vie. Lui-même a parlé d’un miracle.

Avec le temps qui pressait, il a dû consacrer toutes ses énergies au keirin, où ses succès passés étaient plus nombreux. Deux mois et demi après être sorti de l’hôpital, il a terminé deuxième à une Coupe du monde à Hong Kong, décrochant ainsi son billet pour Rio.

« Passer de presque mort sur le bord de la piste à 13e aux Olympiques en huit mois, il y a de quoi être fier, a dit Barrette. Et ça, je ne l’oublie pas. »

« AINSI VA LE KEIRIN »

Très déçu pour son coureur, de qui il est encore plus proche depuis l’accident, l’entraîneur Erin Hartwell a voulu mettre les choses en perspective.

« Les gens doivent comprendre que de toutes les épreuves d’un championnat, en particulier aux Jeux olympiques, il n’y a rien de plus dur que de se qualifier en première ronde du keirin, a affirmé l’Américain. C’est comme du NASCAR : tu as 27 coureurs et chacun d’entre eux pourrait gagner. Je lève mon chapeau à Hugo. Il est dans une forme incroyable en ce moment. Il a fait un effort courageux. Mais ainsi va le keirin. »

Barrette a continué à parler pendant de longues minutes. De l’avenir du sprint masculin au pays, qu’il voit grandiose, de l’entraînement, sa grande passion, et de sa volonté de se rendre jusqu’aux JO de Tokyo en 2020.

Mais là, dans la cuvette surchauffée du vélodrome, l’athlète de 25 ans avait simplement envie d’un peu de repos. « Ça fait trois ans que je n’ai pas arrêté, il faut que je souffle un peu. Présentement, j’ai juste le goût d’aller voir mes parents, à qui je n’ai pas parlé jusqu’à maintenant, et profiter de mon moment. Les Olympiques, ç’a été une longue aventure. Ça ne se termine pas comme j’avais envisagé, mais je me suis toujours battu, toujours fait mon chemin dans le vélo. Je vais refaire mon chemin et finir par y arriver. Je vais finir par être le meilleur. »

Barrette n’a pas joué sa carte, croit Curt Harnett

Curt Harnett se tient dans les gradins depuis le début des JO de Rio. Mais au cyclisme sur piste, le sport où il s’est fait connaître, le chef de mission de l’équipe canadienne a fait une entorse à sa règle et a suivi les épreuves au cœur de l’aire de jeu.

Le triple médaillé olympique avait sa petite idée sur ce qui est arrivé à Hugo Barrette au keirin. « Il s’est laissé un peu trop absorber par le moment en première ronde », a-t-il analysé peu avant la finale en début de soirée. « Au keirin, tu dois vraiment suivre totalement ton plan. Parfois, quand tu ne le fais pas, il te reste à jouer avec les cartes que les autres ont laissées derrière. »

Harnett estime que le Madelinot qui s’entraîne en Ontario tirera les leçons de cet épisode carioca. « C’est le genre de chose qui te rend plus fort. Je m’attendrais à le voir revenir plus mature, plus combatif, plus confiant. C’est dur de réussir à ce niveau de compétition. »

La dernière soirée en cyclisme sur piste s’est terminée par un autre triomphe des Britanniques (11 podiums), qui avaient d’ailleurs largement monopolisé les gradins. Laura Trott a remporté son deuxième titre olympique à l’omnium, après l’or à la poursuite par équipes. Après deux faux départs, dont un qu’il avait lui-même commis en partie, Jason Kenny a gagné la finale du keirin, sa sixième médaille d’or olympique, ce qui lui permet d’égaler son compatriote Chris Hoy. Kenny a reçu le baiser ému de sa compagne Laura Trott. À deux, le couple (royal) compte 10 titres olympiques.

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