Chronique

Des « abus » à la garderie

Modulation, optimisation, fraudes, abus, amendes… En suivant le débat sur les changements que le gouvernement libéral veut apporter au programme de garderies, on oublie parfois que c’est d’enfants qu’il s’agit, et non d’une usine de jouets à rentabiliser ou d’un réseau de fraudeurs à démanteler.

On parle pourtant de choix de société fondamentaux qui concernent en tout premier lieu les enfants et leur famille. Des choix qui ont un impact sur le développement des enfants, sur leur bien-être, sur la conciliation travail-famille, sur l’égalité hommes-femmes…

Si on juge que ces enjeux sont cruciaux, tout projet de loi s’y rattachant ne devrait-il pas se pencher là-dessus, minimalement ?

La question a été soulevée cette semaine par le Conseil du statut de la femme, qui reproche avec raison au gouvernement Couillard de ne pas avoir pris la peine d’évaluer l’impact qu’une hausse des tarifs de garderie pourrait avoir sur les femmes. Le Conseil craint qu’une hausse n’incite des mères gagnant un salaire modeste à rester au foyer après leur congé parental.

Renoncer à sa vie professionnelle par choix pour élever ses enfants n’a rien d’illégitime. Mais dans une société qui, en dépit des avancées, demeure inégalitaire, on ne peut ignorer le fait que cela se fait le plus souvent au péril d’une autonomie pour laquelle les femmes se sont longtemps battues. Sachant que dans 70 % des couples, les femmes gagnent un revenu inférieur à celui de leur conjoint, ce sont surtout les mères qui risquent de sacrifier leur autonomie, souligne le Conseil du statut de la femme.

Comme mesure favorisant l’égalité hommes-femmes, on a déjà vu mieux.

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En plus d’avoir négligé d’évaluer l’impact d’une hausse de tarifs sur les femmes, le gouvernement libéral semble avoir oublié de s’intéresser aux conséquences pour les enfants de sa prétendue « optimisation » des services de garde.

On a appris avec un certain soulagement, la semaine dernière, que la ministre de la Famille renonçait à son intention absurde de mettre à l’amende des parents dont l’enfant occupe une place dite « fantôme » dans une garderie – une place que Québec subventionne à temps plein, même si l’enfant n’occupe la place qu’à temps partiel.

On ne peut qu’être d’accord avec l’idée de financer le système de garderie selon le taux d’occupation réel. Puiser 60 $ par jour dans les fonds publics pour un enfant qui n’en profite pas, c’est jeter de l’argent par les fenêtres. Mais à ce vrai problème, la ministre de la Famille Francine Charbonneau a trouvé une mauvaise solution. En traitant comme des fraudeurs les parents aux prises avec un système inflexible où la demande excède l’offre, elle ratait la cible.

Que la ministre Charbonneau ait abandonné l’idée de pénaliser les parents est une bonne chose. Mais dans un contexte où les sanctions sont maintenues pour les administrateurs de garderie, on peut se demander quel effet aura réellement cette volte-face.

Mettez-vous à la place d’une directrice de CPE. Vous avez une liste d’attente interminable et un nombre de places limité. Vous avez le choix entre une famille qui a besoin de la garderie cinq jours et qui permettra au CPE de toucher une subvention complète et une autre qui n’en demande que quatre – ce qui veut dire qu’il faudra trouver une autre famille qui n’a besoin que d’une journée pour bénéficier de la pleine subvention.

Que faites-vous ? Pour ne pas être pénalisé financièrement, vous avez tout intérêt à donner la priorité à l’enfant à temps plein. Et pour ne pas se retrouver au creux de la liste d’attente, les parents qui n’ont besoin que de quatre jours devront sans doute se résigner à envoyer leur enfant à la garderie cinq jours. Même chose pour les 40 % de travailleurs qui ont un horaire atypique, puisque rien dans le projet de loi n’oblige les garderies à offrir des places à temps partiel.

Bref, ce sera le temps plein obligatoire ou rien. Résultat : aucune économie pour l’État et des enfants obligés d’aller au CPE même les jours où ils pourraient rester à la maison. Il n’y aura plus de places « fantômes », c’est vrai. En revanche, on aura des petits d’un an ou deux ans contraints de fréquenter la garderie cinq jours sur cinq, au nom de « l’optimisation ».

Le ministère de la Famille ne précise pas à partir de combien de jours d’absence une place devient une place « fantôme ». Mais il souligne qu’une place subventionnée donne droit à 261 jours de garde (soit 52 semaines). La chasse aux places « fantômes » ne vise pas les absences pour cause de maladie ou de vacances, mais bien les « abus », précise-t-on. Un parent qui signerait un contrat pour cinq jours de garde alors qu’il n’en a besoin que de trois, par exemple. C’est le genre d’abus dont on parle ici.

Mais il y a une autre forme d’abus dont on ne parle pas, effet pervers de ce système inflexible. Pensez-y. Une année scolaire normale pour un enfant est de 180 jours. Au nom de quelle logique obligerait-on des petits du préscolaire à fréquenter la garderie toute l’année comme de bons petits soldats ? Est-ce vraiment la formule qui favorise le mieux leur épanouissement ? N’y a-t-il pas là quelque chose d’excessif ?

Vous avez dit « optimisation » ? Optimisation de l’absurde, oui.

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