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Une pilule pour les  cœurs brisés

Oubliez la crème glacée, les couvertures de polar et les comédies romantiques : les cœurs en miettes pourraient bientôt être recollés à l’aide d’une poignée de comprimés et d’un traitement inusité, s’il n’en tenait qu’à un psychologue montréalais.

Alain Brunet, aussi professeur à McGill, a acquis une notoriété certaine avec une méthode pour traiter le trouble de stress post-traumatique notamment utilisée auprès des victimes de l’attentat du Bataclan.

Après une étude clinique réussie, il l’élargit maintenant aux ruptures amoureuses particulièrement difficiles.

« C’est une thérapie qui diminue la force d’un souvenir émotionnel », a-t-il expliqué en entrevue à La Presse. La technique n’est pas destinée aux « vulgaires peines d’amour », mais aux ruptures si douloureuses qu’elles en deviennent incapacitantes.

La technique consiste à ressasser à quelques reprises les souvenirs douloureux sous l’effet du propranolol, médicament à l’origine utilisé contre l’hypertension, qui bloque certaines réactions du cerveau. La « pilule de l’oubli », comme l’ont surnommée les médias français. Au fil des séances, la douleur associée à la rupture perd en intensité, conclut l’étude menée sous la supervision du psychologue auprès de 60 patients.

Aux critiques qui soulèveraient des réserves éthiques quant à la consommation d’un médicament pour traiter les peines d’amour, M. Brunet a sa réponse toute prête : « Quand j’ai un patient qui vient me voir, qu’il a un diagnostic et qu’il souffre, si j’ai quelque chose dans ma boîte à outils pour le soigner, quelle question supplémentaire ai-je à me poser ? » Le vrai problème éthique, à son avis, c’est « la surconsommation et la surprescription des antidépresseurs ».

Rupture brutale

La Française Anne Lantoine pensait être arrivée à Montréal en éclaireuse, en 2016, en vue du déménagement de sa petite famille au Québec. Mais quelques mois après son arrivée, un courriel a traversé l’Atlantique : son mari des 25 dernières années – père de ses trois enfants – rompait brutalement.

« Le choc que j’ai eu a vraiment affecté mon état de santé », a-t-elle expliqué à La Presse, hier, en entrevue. 

« J’avais des cauchemars violents, du type de ceux qui vous font vous réveiller en sursaut, et des crises d’anxiété pour un rien. »

— Anne Lantoine

« Chaque fois que je voyais que j’avais un courriel, je me tapais une crise d’angoisse majeure », a-t-elle continué. Diagnostic : trouble de l’adaptation.

L’année suivante, Mme Lantoine a intégré l’étude clinique menée par Michelle Lonergan, étudiante d’Alain Brunet, dans le cadre de son doctorat. La chercheuse a présenté et défendu les résultats de son étude la semaine dernière, à l’Université McGill.

Au programme : quelques rencontres de 25 minutes où 30 patients ayant subi des « trahisons amoureuses » devaient lire à voix haute un récit relatant le cœur de la rupture vécue, après avoir pris une dose de propranolol. Le médicament interfère avec le processus chimique du cerveau lorsqu’il envoie le souvenir vers la mémoire à long terme. Le médicament bloque les hormones de stress et atténue le côté émotif du souvenir. Avec le temps, le souvenir de l’événement lui-même est toujours bien vivant, mais les émotions qui y sont associées ont perdu de leur acuité. « Petit à petit, de semaine en semaine, le souvenir devient moins émotionnel », a expliqué M. Brunet.

« Après avoir reçu de quatre à six semaines de traitement, les scores ont diminué de 30 points en moyenne » sur une échelle qui sert à calculer les symptômes du stress, a indiqué Mme Lonergan. « C’est à peu près 60 % d’amélioration des symptômes », contre des symptômes d’une intensité inchangée pour les 30 patients qui servaient de groupe témoin.

« Le pire événement de leur vie »

Anne Lantoine dit faire partie des patients qui ont vu leur état s’améliorer significativement dans la foulée du traitement. Elle affirme mieux dormir et ne plus avoir de crises de panique liées à sa rupture.

En plus des 30 cœurs brisés traités dans le cadre de l’étude clinique, Alain Brunet indique qu’il en voit une dizaine d’autres depuis l’ouverture de sa propre clinique, en décembre dernier.

Il continue aussi à soigner des patients qui vivent un trouble de stress post-traumatique avec la même méthode. Pour recevoir un tel diagnostic, un patient doit avoir subi un événement traumatique qui aurait pu mettre une vie en danger. Si ce n’est pas le cas, bien que les symptômes puissent être semblables, on parle plutôt d’un trouble de l’adaptation.

« Quand vous êtes avec quelqu’un depuis des années, qu’il part au dépanneur et qu’il ne revient jamais, c’est une tragédie pour les gens à qui c’est arrivé », a expliqué Alain Brunet, faisant le parallèle avec ses autres patients. « Ils vont vous le décrire comme le pire événement de leur vie. »

« Ce que les recherches de mon étudiante doctorale Michelle Lonergan ont montré, c’est que non seulement c’était aussi efficace [qu’avec les patients souffrant de trouble de stress post-traumatique], mais que ce l’était encore plus », a-t-il continué.

— Avec Gabrielle Duchaine, La Presse

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