Chronique

Où je tente une défense

de Luc Ferrandez…

Montréal au grand complet est parsemé de chantiers. Pas juste le Plateau Mont-Royal. Y a les chantiers prévus qui s’ajoutent aux chantiers pas prévus. Y a les rues fermées pour cause de braderie et celles qu’on ferme juste pour pouvoir mettre le mot « ludique » dans le communiqué de presse annonçant ladite fermeture. J’« haïs » le mot ludique.

C’est le chaos total, à Montréal. Mais d’après ce que je lis dans le Journal de Montréal, le chaos total, c’est surtout sur le Plateau Mont-Royal…

C’est plus vendeur de focaliser sur le Plateau Mont-Royal, j’imagine : parler du maire Luc Ferrandez, c’est payant, ça fait jaser, ça amène des clics – pourquoi pensez-vous que je chronique sur lui, je suis en déficits de clics, ce mois-ci ! –, ça fait rager les gens jusqu’à Amqui, parce que oui, même Amqui a une opinion sur le quartier le plus connu de la province.

Donc, dans ton journal, tu prends des déclarations faites par des artistes à propos du Plateau – dont une qui date de 2011 – et tu fais « répondre » le maire Ferrandez : BOUM !

Un restaurateur de l’avenue Laurier a un problème de terrasse. Une niaiserie : l’arrondissement a fait une erreur, ça finit en destruction de sa terrasse, mais le restaurateur est promptement dédommagé. Mais ça se retrouve dans La Presse. Et la perception, c’est que les imbroglios administratifs qui emmerdent les restaurateurs, ça n’arrive que dans le Plateau (c’est faux).

Permettez que je défende le maire Luc Ferrandez. Pas qu’il soit sans défaut, mais il est médiatiquement sans alliés. Des camarades commentateurs qui sont des parangons de nuance n’en ont plus, de nuance, quand il s’agit du maire. Et des artistes qui marchent pour la Terre tous les 22 avril se formalisent soudainement de voir un maire qui agit pour la planète en combattant le règne du char. Le changement, tsé, mais pas trop…

C’est formidable de parler du maire Ferrandez, mais il faudrait aussi écouter ce qu’il dit. Et ce qu’il dit depuis son élection en 2009, c’est qu’il y a trop de chars qui roulent à Montréal. Et qu’il faut agir pour juguler le trafic automobile, pas pour le laisser rugir encore plus.

Ce qu’il dit, c’est que permettre l’étalement urbain en laissant chaque kilomètre carré de terres arables du 450 se faire transformer en mer à condos et à bungalows (Québec permet ça), tout en faisant accroire au monde que Montréal-c’est-pas-loin-c’est-une-demi-heure-en-auto (le discours des promoteurs), c’est malhonnête et c’est con.

Ce qu’il dit, c’est que son quartier reçoit un tsunami de chars, en partie à cause de cet étalement urbain facilité par tout le monde depuis toujours : 500 000 voitures passent par le Plateau, chaque jour. Il dit que le parc automobile québécois ne cesse de grossir. De 2006 à 2013, vérification faite, une croissance annuelle de 45 000 voitures dans la grande région de Montréal.

Ce qu’il dit, Ferrandez, c’est qu’une rue typique de banlieue peut voir passer 200 voitures par jour, alors que dans son Plateau, c’est 1500 à 2000 par jour. Mais ce n’est qu’à 2000 voitures par jour et plus que son administration se penche sur des mesures d’apaisement de la circulation.

Je sais, je sais… Vous, vous lui dites qu’un seul arrondissement ne peut pas agir seul, qu’il ne peut pas changer le grand ordre des choses sans concertation, que ce n’est pas lui, Ferrandez, qui va empêcher les gens d’acheter des terrains à Mirabel tout en ayant un job à Montréal…

Et c’est vrai : il ne peut pas changer le grand ordre des choses.

Il a décidé de changer les choses à son échelle, dans son quartier, dans son petit coin du monde. C’est plus efficace qu’un statut Facebook contre le pétrole sale de l’Alberta, je trouve.

Je sais que les commerçants du Plateau souffrent, ces jours-ci, et qu’ils hurlent contre le maire Ferrandez. Mais le commerce au détail souffre en général. Parce que les loyers sont astronomiques, ce qui ouvre la voie aux grandes enseignes et exclut les petits commerçants. Parce que l’internet. Parce que le DIX30. Parce que l’économie. Il y a plein de facteurs.

Mais parmi ces facteurs, aucun n’est plus concret que ce grand barbu de maire qui se promène en vélo. Ferrandez, c’est un défouloir parfait, en chair et en os. Tu ne peux pas baisser ta vitre de char pour envoyer chier l’économie : tu peux le faire avec Ferrandez, quand tu le vois sur son bécyk-à-pédales.

Il a un million de défauts, je sais. Et vous êtes un million à les souligner, jusqu’à Amqui. Je ne les nie pas, ces défauts, il pourrait être moins rugueux, reculer un peu, des fois. Mais je veux juste dire que Ferrandez, réélu avec plus de 50 % des voix en 2013, fait tenir son engagement politique sur une idée : la ville appartient aux gens, pas aux chars.

Ça me plaît, cette idée-là. C’est en partie pourquoi j’ai décidé de revenir vivre dans ce coin agité du globe qu’est le Plateau Mont-Royal, l’été dernier.

Je dois aimer le chaos.

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