Éditorial Paul Journet

Aide médicale à mourir et maladie mentalE
La sagesse d’écouter

L’humilité et l’écoute du gouvernement caquiste l’honorent. Au lieu de s’entêter, la ministre de la Santé, Danielle McCann, a reconnu lundi que les choses avançaient trop vite pour l’aide médicale à mourir dans les cas de maladie mentale. Elle veut donc en suspendre l’application afin de prendre le temps nécessaire pour y réfléchir.

La semaine dernière, Québec a annoncé que les adultes souffrant d’une maladie mentale pourraient être admissibles à l’aide médicale à mourir dès le 12 mars.

Or, la ministre ne savait pas si le fédéral le permettrait. Et même si ce devait être le cas, deux autres problèmes auraient subsisté.

Cet échéancier aurait été trop serré pour bien consulter les citoyens et pour permettre aux médecins d’encadrer cette pratique.

Lundi, Mme McCann a corrigé le tir. À la consultation en ligne et au forum public déjà annoncés, elle ajoute une consultation non partisane avec les partis de l’opposition. Et surtout, à sa demande, le Collège des médecins recommandera de suspendre l’aide médicale à mourir dans les cas de maladie mentale.

Certes, cette recommandation ne constitue pas un ordre, mais il est difficile d’imaginer qu’un médecin prendra le risque d’être poursuivi.

De toute façon, il serait difficile d’appliquer la loi dès maintenant. En effet, le Collège des médecins n’a pas encore précisé comment en appliquer les critères aux patients souffrant d’une maladie mentale. Il reste à savoir comment vérifier si leur maladie est incurable, si les souffrances sont intolérables, si le déclin est irréversible et enfin si le consentement est libre et éclairé.

N’oublions pas que 18 mois s’étaient écoulés entre l’adoption et l’entrée en vigueur de la loi québécoise sur les soins de fin de vie. Ce délai était jugé nécessaire pour permettre aux médecins de décider comment en interpréter les critères.

Cette fois, ce pourrait être plus rapide, car la réflexion ne part pas de rien. Quelques rapports ont déjà été écrits sur le sujet, comme celui du Conseil des académies canadiennes. La réflexion est donc avancée, mais elle n’est pas terminée.

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À la décharge du gouvernement caquiste, le dossier n’est pas simple. Québec est pris avec l’échéancier hyper serré de la Cour.

En septembre dernier, la Cour supérieure a invalidé en partie les lois québécoise et fédérale sur l’aide médicale à mourir. Cet acte médical ne pouvait pas être refusé aux gens qui ne sont pas en fin de vie, statuait la juge Christine Baudouin.

Québec et Ottawa n’ont pas porté ce jugement en appel. L’échéance pour s’y conformer est le 12 mars.

Le gouvernement caquiste avait donc très peu de temps pour y réfléchir. Et à cause de la campagne électorale canadienne, il était difficile de se coordonner avec le fédéral.

Québec a demandé un éclairage à sa Commission sur les soins de fin de vie. La conclusion : le critère de fin de vie doit être éliminé. Et de facto, les gens souffrant de maladie mentale y seront admissibles s’ils correspondent aux autres critères.

Selon la logique de Québec, la question n’était pas de savoir s’il fallait élargir l’aide médicale à mourir. C’était plutôt l’inverse, soit de savoir s’il fallait en restreindre l’accès pour la refuser aux cas de maladie mentale.

Que cela soit un élargissement ou une restriction, reste qu’un choix politique se pose.

La réponse initiale des caquistes : la restriction serait discriminatoire.

Il est vrai que les tribunaux pourraient juger cette discrimination inconstitutionnelle. C’est probable, mais ce n’est pas une certitude.

Québec prend le risque d’être poursuivi par un demandeur souffrant d’une maladie mentale. Mais ce risque est inférieur à celui de procéder dans le désordre. 

Comme le répète le Collège des médecins, il n’y a pas d’urgence. Et on n’entend pas non plus l’Association des médecins psychiatres se plaindre du délai… Ce sont eux qui devront utiliser la loi, et de toute évidence, ils ne sont pas prêts à le faire.

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Depuis le début du dossier, les experts réfléchissent aux questions particulières qui se posent pour les mineurs « matures » (comme un jeune de 16 ans), les personnes qui ont rempli une déclaration anticipée avant de devenir inaptes (par exemple celles atteintes d’alzheimer), et enfin les patients souffrants d’un trouble de santé mentale.

Bien sûr, des préjugés existent malheureusement au sujet des maladies mentales. Mais cette réflexion ne s’appuie pas sur des préjugés. Elle résulte de questions scientifiques légitimes posées par des médecins. Par exemple, les experts consultés par le comité parlementaire mixte du fédéral étaient favorables tout en reconnaissant les défis particuliers que cela pose.

Le délai permettra à Québec de coordonner son approche avec celle d’Ottawa tout en dialoguant avec les citoyens inquiets et de vérifier s’il y a un consensus social.

On pourra y rappeler entre autres que seule une infime minorité des demandeurs souffrant d’une maladie mentale risquent de l’obtenir. Et qu’au préalable, il leur faudra être traités par un psychiatre afin de démontrer que leur maladie est incurable et que leur déclin est irréversible.

Québec poursuivra ainsi sa tradition d’aborder ce dossier avec à la fois courage et responsabilité.

Trop souvent, par orgueil ou dogmatisme, les gouvernements s’enfoncent dans leurs erreurs. Il est normal pour un gouvernement de commettre des maladresses. L’important, c’est de les reconnaître et de les corriger.

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