Chronique

Un vieux prof dénonce l’inefficacité des universités

Pierre Tremblay est prof à l’UQAM depuis 28 ans et membre de plusieurs comités. Il dresse un constat sévère : les universités peuvent être clairement plus productives.

« Vous mettez le doigt pile sur le bobo. Les professeurs d’université au Québec n’enseignent pas assez. Et il faut s’interroger sur la pertinence de certains travaux de recherche », dit-il.

Pierre Tremblay n’est pas né de la dernière pluie. Il représente les professeurs à l’Assemblée des gouverneurs de l’Université du Québec. Il est également membre du comité qui attribue des postes de prof à l’UQAM, entre autres. Et il fut vice-président du Syndicat des professeurs de l’UQAM au début des années 2000.

L’homme de 68 ans réagit à ma chronique de samedi intitulée « Les universités sont-elles inefficaces ? ». J’y faisais référence à une étude selon laquelle les universités québécoises disposeraient globalement de plus de fonds que leurs concurrentes ontariennes. L’écart de financement Québec-Ontario s’expliquerait notamment par la plus faible charge de travail des professeurs, en moyenne.

En principe, les professeurs doivent donner quatre cours par année, soit deux cours par session (six heures par semaine). Le reste de leur travail est consacré à la préparation des cours, aux suivis avec les étudiants, à la recherche et aux services à la collectivité, entre autres.

Or, dans les faits, les profs ne donneraient pas plus de 3,25 cours par an, comparativement à 3,4 en Ontario*. À l’UQAM, la moyenne est à 2,8 cours, mais elle oscillerait entre 2,4 et 2,7 en sciences politiques, constate M. Tremblay.

Cette faible moyenne s’explique par les nombreux dégrèvements accordés aux professeurs pour se consacrer à d’autres tâches, par exemple directeurs de programme, superviseurs d’étudiants de 2e cycle (maîtrise) ou responsables de chaires de recherche.

« Il faut absolument faire quelque chose. Les profs n’ont pas de mauvaise volonté, mais c’est la dérive des années. Il faut dresser un portait clair des dégrèvements et identifier les abus », dit Pierre Tremblay, qui dispense ses quatre cours par année malgré ses nombreuses autres tâches.

La situation n’est pas propre à l’UQAM, croit-il, mais à l’ensemble des universités francophones. 

« Nous avons suffisamment d’espace pour que chaque professeur donne un cours de plus. »

— Pierre Tremblay, prof à l’UQAM depuis 28 ans

Autre questionnement : la recherche. « Je me pose toujours la question pour chaque recherche : est-ce pertinent ? Le problème, c’est qu’on a peu de critères. C’est le flou artistique », dit M. Tremblay, selon qui les recherches dans le vaste champ des sciences politiques et sociales sont difficiles à évaluer.

Parfois, les recherches sont « très, très intimistes, avec seulement une centaine de lecteurs », dit le professeur, qui rappelle que les profs sont maîtres de leur temps.

Il se défend de prôner la marchandisation du savoir, c’est-à-dire de vouloir favoriser les sujets de recherche en fonction des impératifs du marché. « Il faut plutôt se demander si les nouvelles recherches font avancer la science et le savoir-faire », dit-il.

Pierre Tremblay n’est pas le seul à s’interroger. Le titulaire d’un doctorat en histoire Frédéric Bastien est encore plus critique. En tant que professeur de cégep, il dispense quatre cours par session, comparativement à deux pour les universitaires, et il dit avoir tout de même du temps pour faire de la recherche… non subventionnée.

« Les universités ne crèvent pas de faim. Il y a trop de dégrèvements au détriment de l’enseignement », dit l’auteur de l’ouvrage sur le rapatriement de la Constitution La bataille de Londres, qui s’est vendu à des milliers d’exemplaires.

L’historien s’interroge, par exemple, sur l’opportunité d’accorder une subvention de 128 000 $ pour une recherche intitulée « La masculinité dans les collèges classiques du Québec de 1840 à 1960 ». « Ce genre de livres est publié, mais n’est pratiquement pas lu. Et on peut multiplier les exemples semblables », dit-il.

L’ex-vice-recteur de l’administration de l’UQAM, Alain Dufour, est tout aussi catégorique. Selon lui, le sous-financement apparent des universités s’explique par le manque de productivité des professeurs, les conventions collectives rigides et le trop grand nombre de campus qui offrent les mêmes formations, entre autres. 

« Les profs qui donnent des cours de base, comme comptabilité 101, peuvent en faire plus. »

— Alain Dufour, ex-vice-recteur de l’administration de l’UQAM

Dans le cas de l’UQAM, Alain Dufour croit que la grande proportion de professeurs en congé sabbatique contribue à abaisser à 2,8 le nombre de cours par professeur. À l’UQAM, 11 % du corps professoral peut prendre ce congé de ressourcement de 12 mois chaque année, contre 6 % ailleurs. Autre élément propre à l’UQAM : l’établissement n’offre que trois plages horaires de cours par jour contre quatre ailleurs (les cours débutent généralement à 9 h 30 plutôt que 8 h 30), ce qui oblige l’UQAM à louer plus de locaux.

Selon lui, les universités syndiquées auraient avantage à mieux différencier les salaires des profs des différentes facultés en fonction du marché, ce qui donnerait plus de souplesse aux universités pour attirer des candidats prestigieux ou retenir les candidats de secteurs en demande (informatique, finance, etc.).

À l’heure où l’on fait des coupes jusqu’à l’aide sociale aux schizophrènes, n’y a-t-il pas lieu de trouver une façon d’optimiser les fonds mis à la disposition des universités ?

*En Ontario, ces chiffres viennent de la COQES (2012) et pour le Québec, d’un sondage mené auprès des professeurs par le Conseil supérieur de l’éducation (2003).

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