OPINION ÉNERGIES RENOUVELABLES

Le temps presse pour une initiative mondiale

La ratification par le Parlement hier de l’accord de Paris sur le climat est porteuse d’espoir dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Toutefois, la plupart des climatologues s’entendent pour dire que les cibles modestes fixées à Paris sont tout à fait insuffisantes pour enrayer l’augmentation des gaz à effet de serre et encore moins pour décarboniser l’économie mondiale. On prévoit que la demande mondiale croissante en énergie, entraînée par la croissance démographique et la hausse du niveau de vie, va doubler d’ici 2050. Conséquemment, le monde doit relever un double défi : réduire considérablement les émissions de carbone, tout en doublant l’approvisionnement énergétique.

Il faut maintenant une initiative énergétique mondiale intégrée réunissant les meilleurs scientifiques, ingénieurs et innovateurs du monde qui collaboreront à la mise au point de formes d’énergie renouvelable rentables et robustes destinées à la fois aux pays développés et en développement.

Pour réaliser cet objectif, un groupe de douze scientifiques provenant de huit pays, dont nous faisons partie, a signé cette semaine un commentaire dans la revue scientifique Nature demandant aux gouvernements nationaux, au secteur privé et à la communauté philanthropique de collaborer pour formuler d’un commun accord un ensemble de Grands défis en matière d’énergies renouvelables. 

Une telle initiative permettrait de coordonner et d’accélérer la recherche et l’innovation nécessaires pour effectuer la transition vers une économie mondiale décarbonisée.

Nous croyons que cette approche axée sur de grands défis est l’ingrédient nécessaire qui alliera le génie humain et la puissance de la science pour exploiter suffisamment d’énergie propre et renouvelable afin d’éliminer nos émissions de carbone.

La formule que nous proposons, qui s’articule autour de grands défis, serait similaire à d’autres initiatives qui se sont révélées efficaces. Les Grands défis en santé mondiale, une initiative de 200 millions US menée par la Fondation Bill et Melinda Gates, avec la participation du Wellcome Trust, des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) et de la Fondation des NIH, visait à résoudre des problèmes de santé qui ont été négligés et qui touchent le monde en développement d’une manière disproportionnée.

Notre proposition s’appuierait sur des progrès récents sur le plan de la coopération internationale en matière de changements climatiques. La rencontre à Paris a vu l’annonce de deux initiatives visant à accroître le financement public destiné à la recherche et à l’innovation dans le domaine des énergies renouvelables : la Mission Innovation et la Breakthrough Energy Coalition. La Mission Innovation réunit 20 pays, incluant le Canada, qui se sont engagés à doubler leurs investissements dans le secteur des énergies renouvelables et à collaborer pour accélérer le développement d’énergies renouvelables robustes. La Breakthrough Energy Coalition est une initiative menée par Bill Gates réunissant un groupe d’investisseurs du secteur privé qui ont promis d’investir 2 milliards US au profit d’idées novatrices issues de la recherche financée par le secteur public dans le domaine de la capture et du stockage de l’énergie renouvelable.

La portée et l’ambition de ces nouveaux grands défis doivent permettre l’atteinte ou le dépassement des objectifs et des cibles fixés à Paris. Et ces défis devraient comporter des stratégies à court terme visant à améliorer l’efficacité énergétique et à réduire les émissions de carbone. Ils doivent encourager une science visionnaire et des technologies transformatrices en vue de l’exploitation et de la transmission d’énergie issue de sources sécuritaires, abordables et renouvelables. Vu la nature intermittente des énergies solaire et éolienne, les grands défis doivent aussi mener à de nouvelles méthodes de stockage de l’énergie. En outre, les grands défis doivent mettre de l’avant des approches novatrices pour résoudre les enjeux stratégiques et économiques associés à l’adoption de nouvelles technologies applicables à l’énergie verte.

Notre expérience à l’Institut canadien de recherches avancées a démontré que la communauté scientifique mondiale est impatiente de collaborer pour relever les défis que posent les énergies renouvelables. 

En 2014, nous avons lancé le programme Énergie solaire bioinspirée qui réunit des scientifiques et des ingénieurs d’une demi-douzaine de pays et de domaines. Ils se rencontrent régulièrement pour parler de leurs progrès, discuter des meilleures approches, poser des questions sur leurs travaux respectifs et lancer des collaborations.

Le changement climatique est un défi mondial qui requiert une solution mondiale. Les dépenses publiques destinées à la recherche sur les énergies renouvelables sont insuffisantes et trop fragmentées pour atteindre même les objectifs modestes fixés à la conférence de Paris sur le climat en décembre dernier et encore moins pour décarboniser l’économie mondiale. Selon des données de l’Agence internationale de l’énergie, les investissements dans le domaine totalisent environ 6,5 milliards US par année, ou moins de 2 % de toutes les dépenses publiques en recherche et développement.

Le changement climatique est actuellement le plus important et le plus complexe des défis. Ne rien faire, ou faire trop peu, menace notre survie même sur Terre. Le moment est venu pour les politiciens et les décideurs du monde entier de faire preuve du même leadership visionnaire à l’égard des énergies renouvelables que ce dont ils ont fait preuve pour relever d’autres défis. Le moment est venu de lancer une initiative énergétique mondiale, encadrée par un ensemble convenu de Grands défis en matière d’énergies renouvelables, qui rallie les gens autour d’un but commun et qui exhorte les gouvernements, les scientifiques, les chercheurs, les fondations et le secteur privé, peu importe le pays, à travailler ensemble pour résoudre l’un des problèmes les plus urgents de la planète.

— Alan Bernstein est président et chef de la direction de l’Institut canadien de recherches avancées (ICRA). Richard Cogdell, membre de la Royal Society, est conseiller au sein du programme Énergie solaire bioinspirée de l’ICRA et titulaire de la chaire de botanique Hooker à l’Université de Glasgow. Alán Aspuru-Guzik est boursier principal au sein du programme Énergie solaire bioinspirée et professeur de chimie et de biologie chimique à l’Université Harvard.)

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