Condamnation criminelle

SNC bénéficierait quand même de la manne fédérale

La question vaut des milliards. SNC-Lavalin serait-elle exclue de tout contrat public canadien si elle était condamnée ? Et le cas échéant, y joue-t-elle sa survie ?

Une entreprise reconnue coupable au criminel, rappelons-le, devient inadmissible aux contrats fédéraux pendant 10 ans, conformément à l’actuel régime d’intégrité du gouvernement fédéral. Fini les contrats comme celui du pont Champlain pour SNC-Lavalin, par exemple.

Cette suspension serait douloureuse, dans une période où le fédéral dépense des milliards pour les infrastructures canadiennes. Le Réseau express métropolitain (REM) de la Caisse de dépôt, le prolongement de la ligne bleue du métro, à Montréal, ou encore les projets de troisième lien et de tramway, à Québec, comptent tous sur ces fonds fédéraux.

Or, en fouillant, j’ai appris que ces fonds fédéraux n’étaient PAS assujettis au régime d’intégrité administré par Travaux publics Canada. Et qu’il n’y aurait donc pas de suspension de 10 ans dans ces cas.

Essentiellement, faut-il rappeler, le gouvernement fédéral a débloqué une enveloppe en 2017 qui débouchera sur des projets d’infrastructures de 180 milliards d’ici 2027, financée environ au tiers par le fédéral. Il s’agit d’une véritable manne pour les firmes de génie et de construction. Dans le cas de SNC, les infrastructures représentent le quart de son volume d’affaires, et ces revenus sont tirés essentiellement de projets au Canada.

L’argent du fédéral sera consacré aux projets de transports en commun, aux infrastructures vertes et aux projets culturels, récréatifs ou locaux, entre autres. Il transitera par deux voies, soit par des transferts aux gouvernements provinciaux (33 milliards), soit par des investissements de la Banque de l’infrastructure du Canada (35 milliards), sa nouvelle société d’État.

Or, concernant le premier volet de 33 milliards, il faut savoir que la politique de suspension « ne s’applique pas […] aux accords intergouvernementaux et intragouvernementaux et aux paiements de transfert », est-il écrit spécifiquement dans la politique d’inadmissibilité et de suspension, dont ce passage date de plusieurs années.

Ainsi, ces sommes directement versées aux provinces ne seront pas conditionnelles à l’embauche de fournisseurs exempts d’antécédents criminels, par exemple.

L’automne dernier, le fédéral a signé des ententes bilatérales avec les dix provinces et les trois territoires dans le cadre du plan Investir dans le Canada. Ces ententes ont donné lieu à des engagements fermes du fédéral de paiements de transferts d’ici 2027.

Sur les 33 milliards, le Québec touchera 7,5 milliards (dont 5,2 milliards pour les transports en commun) et l’Ontario, 10,4 milliards. C’est avec cet argent que Québec compte notamment financer la ligne bleue, en partie.

Banque de l’infrastructure

Quant à l’autre moitié de la manne fédérale, venant de la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC), les fonds ne sont pas davantage soumis au régime d’intégrité, nous confirme la Banque. « La Banque, en tant que nouvelle société d’État, ne figure pas parmi la liste des institutions fédérales qui appliquent le Régime d’intégrité. »

Rappelons que c’est par le truchement de la BIC que le fédéral a investi dans le projet de REM de la Caisse de dépôt, à Montréal.

Enfin, autre élément important, qui concerne tous les autres contrats fédéraux, à l’exclusion de la manne dont je viens de parler : la politique d’intégrité est en cours de révision. Actuellement, la suspension est automatiquement de 10 ans. La politique révisée parlera plutôt « d’une période POUVANT ATTEINDRE 10 ans, en fonction de divers facteurs ».

« La période d’inadmissibilité serait déterminée en fonction d’une évaluation des faits et des circonstances propres à chaque cas. On pourrait tenir compte de facteurs tels que le rôle du fournisseur dans la commission de l’infraction, les gains réalisés par le fournisseur à la suite de l’infraction, la divulgation volontaire d’actes répréhensibles et le comportement antérieur du fournisseur », est-il écrit dans l’ébauche de politique révisée, en ligne depuis l’automne 2018. Son adoption est imminente.

En somme, SNC-Lavalin ne sera pas privée de la manne fédérale, et pour les autres contrats fédéraux dont elle serait privée, la suspension pourrait durer beaucoup moins que 10 ans.

Certes, les gouvernements provinciaux pourraient, par eux-mêmes, fermer la porte aux fournisseurs qui ont des antécédents criminels. C’est le cas au Québec, dont les dossiers sont gérés par l’Autorité des marchés publics (AMP) et où la suspension est de cinq ans.

Néanmoins, la suspension n’est pas automatique au Québec. Et en 2014, après analyse du ménage qu’a fait SNC, l’Autorité a donné à l’entreprise son certificat de probité, l’exemptant de ce fait d’une suspension de cinq ans.

La firme de génie-conseil pourrait tout de même souffrir d’une condamnation au criminel, puisqu’elle devrait alors l’indiquer dans ses réponses aux appels d’offres internationaux, avec les impacts que cela comporte. De plus, certaines entreprises, comme Shell, ont pour politiquer de ne pas accorder de contrats à des firmes ayant des antécédents criminels.

Il reste que ces nouveaux éléments concernant les mécanismes de distribution de la manne fédérale allègent de beaucoup les impacts au Canada d’une condamnation.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.