Le nénuphar et l’araignée

EXTRAIT

« Ce n’est pas la nature de l’insecte qui me dérange : la mouche est d’autant plus dégoûtante qu’on la trouve dans son assiette.

L’insecte ne me ressemble pas, je ne peux pas le contrôler (il est trop petit) ni communiquer avec lui. Son étrangeté est irréductible et l’incongruité de sa présence dans mon appartement me fait sursauter.

L’intrusion, par son caractère imprévisible et incongru, met en péril mon intimité, ma sécurité. La frayeur est proportionnelle à la promiscuité : si l’araignée arpente mon rideau de douche, ma nudité me rend vulnérable et c’est un Hitchock qui se joue dans ma salle de bains. »

Entrevue

La mécanique de la peur

Peur des araignées, de l’abandon, de mourir, de souffrir… Claire Legendre, angoissée chronique, en parle dans Le nénuphar et l’araignée, essai très intime dans lequel la plupart des lecteurs se reconnaîtront. Nous avons décortiqué avec elle l’année de création de ce livre fin, intelligent et légèrement tordu, année pendant laquelle ses peurs les plus profondes se sont heurtées à la réalité.

SE METTRE À NU

Le nénuphar et l’araignée est le 10e livre de Claire Legendre. Lorsque l’éditeur Jean-Marie Jot a proposé à l’auteure française installée à Montréal depuis deux ans de participer à cette collection des Allusifs sur les peurs, elle s’est dit : « C’est merveilleux, j’ai plein de matière pour travailler ! Ça va enfin me servir à quelque chose d’avoir peur… » Celle qui a écrit son premier roman, Viande, à 19 ans sait qu’elle devra maintenant assumer cette mise à nu toute sa vie. « Les gens qui vont le lire sauront TOUT ça ! En même temps, une fois que c’est dans un livre, ce n’est plus tout à fait moi non plus... »

RIEN À PERDRE

« Je n’avais jamais fait l’expérience du roman complètement autobiographique, sans filtre. Maintenant, je sais de quoi je parle ! », dit cette prof de création littéraire à l’Université de Montréal, qui s’intéresse justement au « pacte autobiographique ». « J’ai toujours pensé qu’on écrivait ce genre de livre quand on n’avait plus rien à perdre. J’ai justement l’impression d’avoir traversé un moment comme ça. »

En effet, pendant toute la rédaction du livre, Claire Legendre a vécu avec la menace d’un « papillon » – un nodule au poumon – qu’on venait de lui détecter et dont on ne savait pas la nature exacte. « Je sais que mon histoire est banale, mais quand ça t’arrive à toi… Le livre a servi à donner du sens à cette année. » Est-ce qu’elle recommencerait ? « Oui. Peut-être que j’ai de nouveaux trucs à perdre… »

AUTODÉRISION

Même si Le nénuphar et l’araignée est moins ironique que son précédent roman, Vérité et amour, il y a une bonne part d’humour dans ce livre. « Mais c’est une question de politesse !, s’exclame l’auteure, qui dit ne se lamenter qu’avec sa mère. Quand tu écris un livre, tu t’offres aux autres, alors il faut qu’ils aient un intérêt à aller te chercher ! S’ils se disent : “Ah ! non, elle, elle a fait chier la dernière fois”, ils ne reviendront pas. Il y a un truc de séduction aussi là-dedans, non ? »

ABANDON

La peur de l’abandon a un grand impact sur la vie de Claire Legendre, et elle en parle abondamment dans son livre. « Mais j’ai essayé d’éviter le côté psychanalytique. Je ne sais pas pourquoi ni d’où ça vient. Il n’y a pas de trauma derrière. » Elle en a plutôt démonté le mécanisme, qu’elle explique ainsi : « J’ai quelque chose qui me rend heureux, donc je vais cesser d’être heureux parce que j’ai peur de le perdre, et du fait même, eh bien, je l’ai perdu. »

PHOBIES

Claire Legendre l’admet : sa peur des araignées est irrationnelle – comme toutes les phobies d’ailleurs. « L’araignée, elle ne va rien me faire, je le sais ! Mais j’ai un vrai réflexe panique quand j’en vois une. » Réflexe qu’elle associe à la peur de l’intrusion, du rival amoureux, de l’étranger absolu. « On pense qu’on est seul, et tout à coup, on se rend compte qu’il y avait un étranger dans la chambre… »

PEUR DE MOURIR

« On sait tous qu’on va mourir, mais il y a des moments où c’est plus frappant que d’autres. » L’épisode du papillon l’a fait arrêter de fumer après 22 ans, et lui a fait perdre en culpabilité. « Je trouve apaisant de savoir que même si on fait tout ce qu’on peut pour ne pas mourir trop rapidement, le cancer est d’abord une question de malchance. Je ne dis pas qu’on s’en fout, mais on n’y peut rien, et ça permet d’accepter qu’on n’a pas de prise sur les choses. »

COBAYE

Après une année à voir la maladie en face, a-t-elle encore peur de la mort ? « Oui, mais je n’y pense plus tous les jours. Et je sais un tout petit peu mieux identifier ce qui est de l’ordre du fantasme et ce qui est de l’ordre d’un vrai symptôme. Mais je ne me fais pas d’illusions : mes mécanismes de peur sont bien aiguisés ! » Il va sans dire, Claire Legendre se connaît bien. « Oui. Le truc, quand tu écris, c’est que tu as toujours l’impression d’être ton propre cobaye. Mon but dans ce livre n’était pas de raconter ma vie, mais d’essayer de comprendre comment fonctionne le cerveau. Et comme je n’ai que le mien à ma disposition… »

RELATIVISER

Même si elle a l’impression qu’elle a réussi à comprendre les mécanismes de la peur, Claire Legendre n’est pas guérie pour autant. « Sinon ce serait trop facile… » Affronter une peur réelle et légitime lui a tout de même permis de relativiser les autres. « Je peux dire maintenant que les peurs irrationnelles sont plus confortables que les réelles. »

HONTE

Claire Legendre n’a pas « tout mis » dans son livre, mais elle assume ce qui y est. « Je l’ai fait honnêtement, c’est la moindre des choses. » Reconnaître ses peurs, c’est un peu baisser sa garde, ajoute-t-elle, mais c’est aussi une manière de dire qu’il n’y a pas de honte à avoir peur. Même si elle « va bien maintenant » et qu’elle estime que ceux qui disent n’avoir peur de rien sont dans le déni, elle finit par avouer qu’elle est plus angoissée que la moyenne. « On n’est pas tous égaux là-dedans, il y a des gens qui sont plus sereins que d’autres. Globalement, je dirais que ce n’est pas le qualificatif que me définit le mieux ! »

Le nénuphar et l’araignée

Claire Legendre

Les Allusifs, 100 pages

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