Chronique

Vouloir devenir snowbird (ou pas)

Quand la météo joue au yo-yo comme présentement, redoux le matin suivi d’un froid sibérien, les mots Pompano et Winnebago sonnent tout à coup comme de la musique à mes oreilles de gringo.

Devenir un snowbird ? Yes, sir ! On signe où pour l’aller simple en Floride ? J’adore la mer bleutée, les palmiers verdoyants et les apéros sirotés après une belle journée à la plage, je pourrais facilement en faire une deuxième carrière.

Mais après avoir visionné le documentaire Le prix du paradis, que Canal D relaie ce dimanche à 21 h, mon goût de soleil tout inclus s’est envolé comme un restant de classe après six Bud Light Lime.

Le cinéaste Guillaume Sylvestre nous y fait découvrir « l’élite québécoise » qui se réfugie, six mois par année, dans le parc de véhicules récréatifs le plus luxueux d’Amérique du Nord, l’Aztec Resort, propriété de l’homme d’affaires Jean-Guy Sylvain.

Si Elvis Gratton avait été millionnaire, il aurait assurément acheté un terrain de 300 000 $ à M. Sylvain, un ancien associé de Raymond Malenfant. Il n’aurait pas détonné dans ce décor kitsch à mi-chemin entre le parc aquatique Calypso et un camping sur le bord de la 20.

Les riches retraités qui convergent à l’Aztec dans leur VR valant le prix d’une McMaison de banlieue ont fait fortune dans l’acier, le plastique, les ordures ou la construction. Je n’ai aucun problème avec la réussite professionnelle. Tant mieux, d’autant que plusieurs d’entre eux sont partis de rien et maintenant, ils sont ici, pour paraphraser le rappeur Drake.

Ne sachant ni lire ni écrire, le promoteur Jean-Guy Sylvain, qui exploite l’hôtel Le Concorde à Québec, en a bavé et sué avant de pouvoir vivre confortablement. Respect.

La façon dont l’Aztec Resort est sorti de terre reflète cependant une mentalité profondément détestable. Ici, dans cette enclave hyper pauvre de Fort Lauderdale, l’argent achète tout, fuck le reste, comme les lois et le savoir-vivre.

À la caméra, le patron Jean-Guy Sylvain se fait une fierté de dire qu’il a rasé illégalement tous les arbres de son terrain et qu’il a lui-même, à coups de pelle mécanique, élargi tous « les canals » de style vénitien sans demander les permis requis. Bah, c’est quoi, 400 000 $ d’amendes quand on a allongé 18 millions pour cet espace de la grandeur du Vatican ? Belle mentalité de parvenu.

Les résidants de l’Aztec, à 80 % Québécois francophones, vivent dans un luxe ostentatoire, où les Lamborghini blanches sont stationnées devant d’immenses cuisines d’été d’inspiration tiki, toutes construites par des Mexicains.

« Il n’y a pas de classes sociales ici », affirme – sans rigoler – la présidente du club social de l’Aztec Resort. Cette même dame de Québec confiera que ce n’est pas comme à Montréal, où elle entend parler « islamique » dans les rues. Édifiant.

Ces villégiateurs friqués, mais pas nécessairement éduqués, désolé, devraient sortir plus souvent de leur enclos à motorisés, ni plus ni moins qu’une ancienne « swompe » asséchée à plusieurs kilomètres de l’océan. Mais quand ils s’aventurent à l’extérieur de l’Aztec, ils ont peur des locaux, donc ils montent les vitres et verrouillent les portières de leurs rutilantes voitures.

Oui, mais on fait vivre le Total Wine et le Home Depot, se défendent-ils. Et on vide les magasins, ajoutent-ils. Grand bien vous fasse. Un des rares anglophones de la place se balade dans un bruyant véhicule frappé d’une plaque d’immatriculation ontarienne BCUZ IKN. Because I can. Parce que je peux. L’Aztec, c’est exactement ça.

En même temps, un bel esprit de communauté englobe ce lieu. Les résidants prennent soin les uns des autres. Certains sont rigolos et attachants. D’autres, carrément imbuvables. Ils ont l’air heureux dans leurs activités hebdomadaires : mardi baseball, jeudi 5 à 7 et dimanche La voix. Ils jouent aux poches ou à la pétanque comme partout dans le Sunshine State.

Jamais le réalisateur Guillaume Sylvestre ne juge les sujets de son film, dont la narration est assurée par Denys Arcand. Il nous laisse faire ce travail nous-mêmes, ce qui devient très facile quand un distingué membre de cette élite confie : « I drink to this, I drink to that. I don’t know what I drink, but I drink en tabarnak. »

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