chronique

Le RVER, ce mal-aimé

Tic, tac, tic, tac. La date butoir du nouveau régime volontaire d’épargne-retraite (RVER) arrive dans deux mois. Mais je vous prédis dès maintenant que des milliers d’entreprises ne seront pas prêtes… ou qu’elles vont régler tout ça à la dernière seconde, entre la dinde et les atocas.

En effet, à partir du 1er janvier prochain, toutes les entreprises ayant 20 employés ou plus devront offrir un RVER si elles n’ont pas déjà une forme ou une autre de régime de retraite avec des prélèvements directement sur le salaire.

Les plus petites entreprises devront se conformer plus tard. Au total, on estime que 90 000 entreprises embauchant près de 2 millions d’employés seront visées. Sur le lot, environ 15 000 doivent faire le saut d’ici deux mois.

Mais on est encore loin du compte, car seulement 3125 entreprises couvrant près de 22 000 employés avaient mis en place un RVER en date du 30 septembre dernier, m’a indiqué Retrait Québec.

« Il reste énormément d’entreprises qui ont besoin de se “grouiller” pour adhérer à un régime. »

— Robert Tellier, vice-président, Solutions assurance et retraite collectives, de Manuvie.

Toutefois, les statistiques sur les RVER ne donnent qu’une partie de l’équation, car certaines entreprises ont mis en place un autre type de régime pour se conformer aux règles. Les institutions financières ont d’ailleurs remarqué une hausse marquée des REER collectifs combinés à un régime de participation différé aux bénéfices (RPDB).

« Malgré tout, est-ce que ça correspond au nombre d’entreprises qui devraient avoir mis en place un régime ? La réponse est non », affirme sans détour David Charbonneau, vice-président, Épargne-retraite collective, de Desjardins.

Ça va être beau à la veille de Noël quand tous les lambineux vont se réveiller en même temps !

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Remarquez, la police du RVER ne sera pas trop sévère avec les retardataires.

C’est la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) qui aura le mandat de surveiller l’application du RVER.

Même si elle peut théoriquement imposer des sanctions de 500 $ à 10 000 $ aux entreprises fautives, elle ne se transformera pas en « machine à contraventions ». La CNESST tentera d’abord de sensibiliser et d’encourager les entreprises à se conformer aux règles.

De plus, la Commission ne fera pas de vérification proactive. Elle s’en remettra essentiellement aux employés pour dénoncer les employeurs qui n’offrent pas de RVER.

C’est pour le moins paradoxal, car le principal attrait du RVER est le principe de l’inscription automatique. En inscrivant de facto les employés sans qu’ils aient à lever le petit doigt, le RVER doit permettre de lutter contre l’inertie qui fait que les travailleurs n’épargnent pas pour la retraite.

Mais s’il faut que les employés portent plainte contre leur employeur pour les forcer à mettre en place un RVER, on est très loin de l’inscription automatique !

Il me semble que Québec devrait trouver un mécanisme plus « automatique » – que ce soit par la déclaration de revenus ou un autre moyen – pour s’assurer que toutes les entreprises visées offrent bel et bien un régime de retraite.

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Si le décollage du RVER est si lent, c’est que l’industrie lui a réservé un accueil plutôt tiède.

Outre le principe de l’inscription automatique, l’un des principaux attraits du RVER résidait dans la faiblesse des frais de gestion (de 1,25 à 1,5 %). Mais comme les frais sont plus bas, les participants recevront moins de conseils, déplorent les intermédiaires qui sont aussi moins rémunérés pour la distribution de RVER que d’autres régimes de retraite.

Mais le plus grand problème du RVER est de nature fiscale. « En cotisant au RVER, les travailleurs à faibles revenus vont se faire enlever leur supplément de revenu garanti (SRG) en tout ou en partie à la retraite », explique Martin Dupras, président de ConFor Financiers.

Mais il en va de même pour tous les régimes de retraite à impôts reportés : régime enregistré d’épargne-retraite (REER), régime de retraite traditionnel, Régie des rentes du Québec (RRQ)… C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Québec n’a pas voulu embarquer dans la bonification de la RRQ, à l’instar d’Ottawa pour le reste du Canada.

Mais il y a une exception : le compte d’épargne libre d’impôt (CELI) grâce auquel les épargnants peuvent retirer leurs billes sans impact fiscal.

Au lieu d’adopter le RVER, « certaines entreprises qui ont des ouvriers à faibles revenus seraient mieux de mettre en place un CELI collectif pour que les employés en aient plus pour leur argent », estime Daniel Laverdière, directeur principal chez Gestion privée 1859 Banque Nationale.

Les autres entreprises devraient opter pour un REER collectif plutôt qu’un RVER, considère Éric Brassard, conseiller en placement et CA chez Brassard Goulet Yargeau, services financiers intégrés.

Mais que l’on parle d’un REER ou d’un CELI collectif, il faut que l’employeur cotise lui aussi pour motiver ses troupes. Par exemple, il ajoutera 50 cents pour chaque dollar cotisé par l’employé. Autrement, l’expérience montre que très peu d’employés participent.

Et lorsque l’employeur décide de contribuer, ce qui est très bien, il est préférable qu’il mette ses propres cotisations dans un régime de participation différée aux bénéfices (RPDB) qui sera adossé au REER ou au CELI collectif. Cela lui évitera de payer les taxes sur la masse salariale (de 10 à 15 %) sur ses cotisations.

Compliqué, tout ça ? « C’est beaucoup plus simple qu’un RVER, assure M. Brassard. Pourquoi se casser la tête avec un régime supervisé par la Régie des rentes qui impose toutes sortes de contraintes ? »

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