Alimentation

Le sucre, cet éléphant dans notre assiette

La canne à sucre est la plante produite en plus grande quantité dans le monde. Le sucre est partout, pas cher, si bien qu’on le consomme en excès. La Presse a joint Catherine Lefebvre, auteure de l’essai Sucre, vérités et conséquences (en librairie le 16 mars), pour parler de cette douceur amère, qui rend la population et la planète malades.

Vous écrivez « le sucre est devenu l’éléphant dans l’assiette ». Que voulez-vous dire ?

D’un point de vue scientifique, ça fait des années qu’on sait que la surconsommation de sucre est dommageable. Évidemment, le lobby du sucre joue très, très fort pour masquer ça, donc on n’en parle pas. On joue à l’autruche. Consommer du sucre est quasi inévitable, considérant son omniprésence dans les aliments transformés. C’est vraiment difficile d’éviter le sucre. Même si on a de super intentions, plein d’aliments à connotation santé sont très sucrés.

En 1850, les Anglais consommaient seulement 11,5 kg de sucre par personne par an, contre 55 kg en 1950. Les grands-parents de nos grands-parents ne mangeaient donc pas du dessert tous les jours ?

Non, parce que c’était très cher, le sucre.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande de ne pas consommer plus de 12,5 c. à thé de sucres libres par jour, en visant idéalement 6 c. à thé par jour. Est-ce réaliste ?

J’ai noté le menu de Julie [voir le bouton à gauche de l’écran] pour voir si c’est réaliste. Ça démontre que la concentration des sucres se trouve dans les boissons sucrées. La quantité de sucre qu’on peut concentrer dans une boisson qu’on avale en quelques gorgées, c’est impressionnant. On serait incapable de manger ces cuillérées de sucre, ce serait dégueulasse. Mais sous forme liquide, ça s’avale tout seul. Je conseille donc aux gens de couper les boissons sucrées. Ça a un impact immense.

Les jus de fruits purs sont inclus dans les boissons sucrées ?

Oui. Les gens le savent, que le Coke, c’est sucré. Mais ils ne le réalisent pas pour les jus. Si on reprend l’exemple de Julie, si elle retire son jus d’orange le matin et son thé glacé le midi, sa consommation de sucre est correcte. C’est sûr qu’idéalement, elle prendrait aussi son yogourt nature, en ajoutant des fruits dedans, au lieu de manger un yogourt sucré.

À propos du sirop de glucose-fructose, qui a remplacé le sucre dans les boissons sucrées dans les années 90, vous écrivez : « C’est possiblement un des séismes qui a donné lieu au raz-de-marée de ravages qui nous rendent tant malades aujourd’hui ».

Oui. Le sirop de glucose-fructose a une proportion plus élevée en fructose (55 % fructose-45 % glucose) que le sucre (50 %-50 %). En anglais, ça s’appelle high fructose corn syrup.

Comme le fructose n’a pas besoin d’insuline pour être absorbé, il se rend directement au foie. Si on le consomme en excès, il s’accumule en glycogène comme réserve d’énergie, et éventuellement en gras. La conséquence, c’est que le foie devient gras, comme un foie gras de canard. Quand ce n’est pas causé par l’alcool, c’est causé par une surconsommation de sucre. On parle de foie gras non alcoolique.

La surconsommation de sucre est liée au diabète, au syndrome métabolique, aux maladies cardiovasculaires, à l’hypertension artérielle, au cancer, à l’alzheimer, etc. Pourtant, le Guide alimentaire canadien ne met pas en garde contre les problèmes de santé qui découlent d’une grande consommation de sucre. Ça vous étonne ?

Ça me dépasse. Ils nous disent : « Nous étudions le dossier, il faut regarder les études ». C’est long, ça ne finit plus, alors que les gens sont hyper malades. Neuf Canadiens sur dix ont au moins un facteur de risque de maladie cardiovasculaire. Réduire la consommation de sucres libres n’a aucun effet néfaste sur la santé de personne. Alors qu’est-ce qu’on attend pour recommander de le faire ?

Vous êtes allée au Brésil voir les plantations de canne à sucre. Les conditions de travail étaient-elles mauvaises ?

Non. Le Brésil est le plus grand producteur de canne à sucre au monde. C’est aussi le pays d’où le Canada importe le plus de sucre. Je suis allée dans l’État de São Paulo, le cœur agricole du Brésil. On a fait cinq heures de voiture et il y avait de la canne partout, partout, partout. C’était de la production de masse. Mais dans le nord-est du Brésil, où c’est plus montagneux, où les batteuses ne vont pas, il y a de l’esclavage moderne, c’est connu.

Selon le World Wildlife Fund, la culture de la canne à sucre a causé plus de dommages à la faune et à la flore que la culture de n’importe quelle autre plante. C’est parce qu’on la produit en plus grande quantité ?

Oui, et parce qu’historiquement, c’était très profitable. Quand les colonisateurs débarquaient dans les Antilles, ils défrichaient et ne plantaient que de la canne, parce que c’était ce qui rapportait le plus. Ça a évidemment eu un impact sur la biodiversité.

La solution, c’est de réduire significativement notre consommation d’aliments transformés et d’acheter du sucre équitable ou des sucres d’ici, comme le miel et le sirop d’érable ?

Oui. Ça encourage l’économie locale. Et comme ces sucres sont plus chers, on va probablement en consommer moins. Il ne faut pas oublier que le miel nous donne bonne conscience au point d’en mettre partout… Le but, c’est de réduire notre consommation de sucres libres, point.

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