J’aime le feu de foyer de la chaîne 553

Le 14 novembre dernier à 13 h 26, le courriel d’une dame prénommée Jocelyne est parvenu aux bureaux de l’entreprise Stingray à Montréal, un courriel qui se lisait ainsi : « Bonjour à vous, je veux savoir quand le feu de foyer sera de retour à une de vos chaînes. Je crois que ce serait la chaîne Ambiance au 553, pour Vidéotron. »

Ne riez pas.

Ne riez pas et faites comme moi, confessez votre tendresse pour la chaîne 553 qui montre un feu de foyer se consumant à l’infini. Une image qui, sur le téléviseur, constitue le parfait compagnon visuel des Fêtes pour quiconque ne possède pas de foyer…

Il n’y a aucune ironie dans le paragraphe ci-dessus. J’aime regarder distraitement le feu de foyer de la chaîne Ambiance de l’entreprise Stingray – géant québécois de la distribution de musique sur plusieurs plateformes, partout dans le monde – pendant les Fêtes, je le trouve super apaisant.

Normalement, au 553, on voit des paysages naturels qui sont regardés quatre heures par mois en moyenne par les abonnés de Vidéotron. Quand approchent les Fêtes, la chaîne double quasiment son temps de visionnement, qui passe à sept heures en moyenne : 11 % des abonnés du câblodistributeur regardent la chaîne 553 pendant les Fêtes. C’est 4 % le reste de l’année.

« Début décembre, les gens ne veulent pas voir défiler des images de Santorini sur notre chaîne Ambiance, dit Mathieu Péloquin, vice-président principal aux communications de Stingray. Ils veulent voir LEUR feu de foyer. C’est impressionnant comme les gens peuvent être mordus du feu de foyer… »

Stingray m’a fait parvenir un échantillon de commentaires reçus en 2016 et en 2017 de la part d’abonnés qui regardent le feu de foyer télévisé de la chaîne 553. Disons qu’il y a des gens qui regardent le feu de foyer des Fêtes TRÈS attentivement : 

« Je déplore qu’il y ait de la musique avec le feu de foyer. J’ai déjà eu un foyer et quand on veut relaxer devant un feu de bois, on ne veut entendre que le crépitement du feu… »

« Votre foyer ressemble à un four à pizza, c’est sûrement le pire foyer que j’aie pu voir sur la chaîne Ambiance. »

« J’ai noté que le bois que vous avez mis était du plywood*, saviez-vous que c’est toxique, à cause de la colle ? »

« Pourquoi on n’a pas de musique avec le feu de foyer ? »

« Le bruit du crépitement du feu est terriblement fort. Trop, en comparaison avec la musique. J’ai bien peur de ne pas trop aimer cela. »

Mais le feu de foyer télévisé de la 553, n’en doutez point, a ses fans finis, des gens qui l’aiment inconditionnellement : 

« Un véritable foyer ne serait pas écologiquement approprié dans notre appartement : c’est la raison pour laquelle, lorsque nous recevons notre famille, l’image du feu est réconfortante pour tous. »

« Est-ce possible d’avoir le feu de foyer tout le temps ? Le soir, je lis un livre pendant que les bûches brûlent dans le foyer, à la télé… »

« Cela nous réchauffe le cœur et l’ambiance ! Vous êtes un plus pour la réussite de nos réunions traditionnelles… En plus de remplir nos moments de solitude. »

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Cet intérêt pour un feu de foyer télévisé des Fêtes n’est pas strictement québécois : en 1986, le câblodistributeur canadien Shaw a lancé son feu de foyer télévisé, dans l’Ouest. La mystérieuse main qui nourrit le feu de bûches a même reçu des demandes en mariage et le compte Twitter « Shaw Fire Log » a près de 13 000 abonnés.

L’idée originale de la diffusion en continu d’un feu de foyer serait née en 1966, sur la chaîne WPIX, à New York. L’étincelle de WPIX a fait des feux partout aux USA. Aujourd’hui, cela fait partie d’un genre télévisuel qui s’appelle le « Slow TV » – la télé lente –, un genre qu’on retrouve sur Netflix.

Un genre dans lequel la Norvège est un leader mondial : gros plans de femmes tricotant pendant quatre heures, onze heures de scènes captées autour d’un bateau remontant un canal et (classique des klassikere, comme on dit en Norvège) images croquées par une caméra installée sur la locomotive du train Bergen-Oslo, 7 heures et 14 minutes de – promis, juré ! – pure relaxation scandinave.

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Sous la supervision de Benjamin Nantel, gestionnaire des services créatifs de Stingray, une demi-douzaine de personnes travaillent au tournage du feu de foyer des Fêtes, pendant l’été. Une trentaine de bûches ont été nécessaires au tournage de multiples séquences de 30 à 60 secondes qui, une fois montées, donnent une boucle d’une heure.

Après le tournage, on fait intervenir le légendaire gars des vues en postproduction : on fait un peu de colorisation pour accentuer l’orangé des flammes, on amplifie subtilement le crépitement du feu…

« Donc, Mathieu, personne ne pourra faire un aussi beau feu que le vôtre ?

— Pas pendant aussi longtemps… »

L’équipe fait un premier feu, qui n’est pas filmé, pour créer un bon lit de braise chaude dans l’âtre du foyer, pour la suite des choses. Après, explique Benjamin Nantel, hop, on prend les bûches les plus télégéniques – de l’érable, sec mais pas trop sec –, on les dispose dans le foyer et on appuie sur RECORD…

Une fois le feu de foyer filmé, retouché et monté, on l’envoie à Christopher Pennington, un compositeur embauché par Stingray, qui a créé une trame sonore pour le feu télévisé de la chaîne 553. Parce que oui, votre feu de foyer préféré a son propre compositeur, pas question de lui accoler une muzak d’ascenseur générique.

« Mes instructions de départ étaient de garder ça simple, lent, sans surprises, m’explique-t-il. La difficulté, c’est de garder toute la fraîcheur de la musique, car les morceaux durent entre huit et dix minutes… »

Pas de crescendo, pas de climax, c’est donc ce que le musicien impose à sa guitare acoustique.

Pour s’inspirer, confie M. Pennington, il a regardé beaucoup de feux de foyer sur l’internet.

« Est-ce la commande la plus étrange de votre vie ?

— Non, répond Christopher Pennington, j’ai composé de la musique pour le soap américain The Young and the Restless. C’était plus étrange encore. »

Benjamin Nantel, lui, est fier du travail de son équipe pour le feu de foyer de la chaîne 553 qui, dès lundi, sera en ondes 24 heures sur 24, pour la durée des Fêtes.

« Et pourquoi on regarderait le feu de 2017, Benjamin ?

— J’aime son côté chalet, très champêtre. Mais c’est une question de goût, bien sûr… »

* Stingray est formel : ce n’était pas du plywood, juste du bois d’allumage.

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