Visite à Montréal du militant Maung Zarni

Aung San Suu Kyi « est complice d’un génocide »

L’ancienne opposante birmane et Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi n’est pas seulement indifférente au sort des Rohingya, minorité musulmane de l’ouest de la Birmanie. Elle est carrément complice des exactions qui leur sont infligées, accuse le militant et chercheur d’origine birmane Maung Zarni.

Ce dernier appelle Ottawa à retirer à la dirigeante birmane son titre honorifique de citoyenne canadienne.

De passage à Montréal hier, Maung Zarni n’est pas le premier à blâmer Aung San Suu Kyi pour son attitude par rapport à l’exode des Rohingya, qui ont massivement fui la Birmanie au cours des trois derniers mois. Ce qui le distingue, c’est qu’il a longtemps soutenu la « lady » birmane dans sa lutte contre la dictature militaire.

Fondateur de la Coalition Birmanie libre, qui a porté la cause anti-junte à l’extérieur des frontières de la Birmanie, Maung Zarni dit avoir été inspiré par Aung San Suu Kyi. Il appartient, comme elle, à la majorité bouddhiste qui domine son pays. Mais aujourd’hui, il la dénonce sur toutes les tribunes.

Maung Zarni ne fait pas dans la dentelle. 

« C’est très troublant pour moi de constater que celle que l’on présente encore comme le seul espoir pour la Birmanie est complice d’un génocide », dénonce-t-il. 

Non, l’État de Rakhine, où vivent les Rohingya, n’est pas la proie d’un simple conflit entre deux groupes ethniques. Ce qui s’y passe depuis presque quatre décennies relève d’une lente tentative d’exterminer un peuple, affirme-t-il.

Quatre vagues de violence

À quatre reprises, depuis 1978, l’armée birmane s’est attaquée aux villages rohingya, semant la désolation et poussant des centaines de milliers d’entre eux à fuir vers le Bangladesh voisin. Ces épisodes récurrents de répression sont survenus en 1978, en 1991, en 2012, puis en 2016 et en 2017.

Chaque fois, l’armée birmane a utilisé un nouveau prétexte pour justifier la violence. En 2012, c’était le prétendu viol d’une jeune femme bouddhiste par des musulmans. Or, selon Maung Zarni, ce viol avait été inventé de toutes pièces.

Il avait pourtant permis aux principaux responsables des tueries qui ont suivi de se positionner « comme des médiateurs dans un conflit entre deux groupes ».

C’est l’attaque d’un poste militaire birman par des rebelles rohingya qui a déclenché l’actuelle vague d’exactions militaires. Mais aux yeux de Maung Zarni, qui donnait hier une conférence à l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia, on ne peut pas réduire la campagne sanglante menée par l’armée birmane à un simple déploiement excessif de force dans une réaction d’autodéfense.

Un racisme endémique

Ce qui s’est passé depuis le 25 août dans l’État de Rakhine, c’est une persécution meurtrière alimentée par un racisme largement partagé par la société birmane, accuse-t-il.

Chercheur affilié au Centre européen pour l’étude de l’extrémisme, Maung Zarni reproche en effet à ses compatriotes bouddhistes d’ignorer les Rohingya ou de les voir à travers une lunette islamophobe.

« En 25 ans en Birmanie, je n’avais jamais entendu parler des Rohingya », s’étonne-t-il.

« Ils n’existent pas dans les discours officiels, on les présente comme des illégaux originaires du Bangladesh et une menace à la sécurité nationale. »

— Maung Zarni

C’est en 1982 que le gouvernement birman a retiré leur citoyenneté aux Rohingya, les transformant en un peuple d’apatrides.

La vaste majorité de Birmans accepte cette version de l’histoire. « Peu importe qui vous êtes, que vous soyez éduqué ou que vous soyez diplômé de Harvard, vous êtes un islamophobe », résume Maung Zarni.

Même les anciens dissidents et militants des droits de la personne ont une vision réductrice de la situation de cette minorité musulmane birmane. « Ils pensent que les Rohingya pleurent devant la caméra pour avoir de plus belles maisons. »

Cela alors que des centaines de villages sont mis à feu et à sang par l’armée.

Mais Aung San Suu Kyi a-t-elle les moyens de freiner les militaires, elle qui n’exerce depuis mars 2016 que les fonctions de porte-parole de la présidence birmane ?

C’est vrai qu’elle ne contrôle pas l’armée, reconnaît Maung Zarni. Mais trois ministères cruciaux relèvent de son autorité : ceux de l’Information, des Affaires sociales et des Religions. Or, Aung San Suu Kyi n’a pas levé un doigt pour alléger le sort des Rohingya dans aucun de ces secteurs. Cela, pour la simple raison qu’elle fait partie de ce système que Maung Zarni dénonce comme « raciste et fasciste ».

« Stratégie génocidaire »

Peut-on vraiment, pour autant, parler de génocide ?

Oui, pense Marie Lamensch, de l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne.

Le terme implique la notion d’extermination délibérée, donc de l’intention, rappelle-t-elle. « Mais on sait que cela fait des années que les Rohingya sont persécutés de différentes manières. »

Leurs bourreaux déploient différents moyens pour réprimer cette minorité : viol, déshumanisation, confiscation de terres, etc.

Il faut voir ces moyens dans leur ensemble pour déceler une « stratégie génocidaire », résume Marie Lamensch.

Aux yeux de Maung Zarni, il est peu probable que cette campagne de répression menée sur plusieurs décennies s’arrête spontanément. « Une fois qu’une société a franchi cette ligne, elle perd sa capacité à s’autocorriger. »

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