CHRONIQUE DONALD TRUMP, UN AN PLUS TARD

L’idiotie au pouvoir

On est à court de mots pour décrire Donald Trump. Mais de tous les qualificatifs peu élogieux auxquels on peut penser, j’ai une préférence. On peut dire, sans se tromper, que le président américain est un idiot.

Ce que l’on a vu de lui, tant dans sa carrière médiatique que dans sa carrière politique, colle assez bien à la définition du Petit Larousse : « Dépourvu d’intelligence, de bon sens. »

J’aurais pu utiliser le terme plus sobre et moins péjoratif d’inintelligent. Mais il y a plus qu’une simple absence d’intelligence dans les comportements documentés du président américain : l’ignorance des dossiers, le refus de s’informer, la prise de décisions impulsive sur la foi de faits erronés, les raisonnements incohérents, la piètre maîtrise de dossiers en principe à la portée d’un intellect moyen, sa faible capacité de concentration et son vocabulaire limité.

Si j’en parle aujourd’hui, ce n’est pas par désir de me défouler moi aussi sur ce président si peu aimé de ce côté-ci de la frontière, mais parce que cette inintelligence a une signification politique. Elle a contribué à la victoire de M. Trump, elle contribue toujours à la prise de décisions à la Maison-Blanche. Ces manifestations d’idioties sont une donnée incontournable dont il faut tenir compte.

Je ferais une nuance. Il est possible que M. Trump ne soit pas stupide. Dans la campagne, il s’est déjà écrié, en réaction aux attaques sur ses magouilles fiscales, « I’m smart », ce qui se traduirait plutôt par « Je suis malin ». Et quand le secrétaire d’État, Rex Tillerson, a traité le président de « moron » dans une conversation privée – sans avoir jamais démenti la chose –, le président lui a lancé le défi de passer un test pour voir lequel des deux aurait le QI le plus élevé. S’il a un QI décent, il a néanmoins réussi à le cacher soigneusement.

Il s’agit là d’un phénomène sociopolitique unique aux États-Unis. Nulle part ailleurs dans les sociétés démocratiques avancées un homme politique avec de telles carences n’aurait pu réussir à se faire élire.

Partout ailleurs, les citoyens recherchent chez leurs dirigeants des aptitudes intellectuelles et valorisent des attributs comme l’intelligence, la compétence, la sagesse ou le jugement. C’est vrai au Royaume-Uni, en Allemagne, en France, où on aime les politiciens plus intellectuels. Même Marine Le Pen joue sur le registre du populisme de droite d’une façon structurée et articulée. C’est également le cas au Canada et au Québec, où on a connu plusieurs politiciens brillants et où un politicien inepte ne passerait pas la rampe. Il y a eu une exception, Rob Ford, mais il sévissait seulement comme maire.

Aux États-Unis, cela semble compter beaucoup moins. S’il y a eu des présidents vraiment hors norme, comme Barack Obama, d’autres étaient franchement limite, comme Ronald Reagan ou George W. Bush, quoique ceux-ci aient compensé leurs carences en s’entourant bien. Mais cette fois-ci, on est allés encore plus bas.

Cela tient au fait qu’une partie de l’électorat, dans un élan de rejet du système et des élites, a choisi un leader qui, à certains égards, était à son image dans sa façon d’exprimer du mépris pour le savoir, la science, les compétences. Pour ces électeurs, les carences de M. Trump étaient des atouts.

Ce succès s’explique aussi par les fractures sociales aux États-Unis qui, en plus des inégalités entre Blancs et Noirs, ont créé des laissés-pour-compte de la modernité, le terreau fertile des courants évangélistes, du créationnisme, des complotistes, de petits Blancs nostalgiques, des zones d’ignorance et d’arriération comme on n’en connaît pas ailleurs en Occident.

Évidemment, ceux qui ont voté Trump ne proviennent pas tous de ces strates. Il y avait plein de raisons valides pour vouloir appuyer le candidat républicain : le mécontentement à l’égard de l’administration précédente, la méfiance à l’égard d’Hillary Clinton, la fidélité au Parti républicain, la préférence pour un candidat plus conservateur, la perspective de baisses d’impôt. Mais ailleurs qu’aux États-Unis, ces raisons n’auraient peut-être pas suffi à confier sciemment le pouvoir à un idiot.

Cette inintelligence, qui a été en quelque sorte un outil électoral utile, est devenue une caractéristique de la présidence, parce que la stratégie politique de Donald Trump consiste à flatter et à conforter la proportion de son électorat qui lui est le plus fidèle, les 30 % d’irréductibles, tandis qu’il déploie peu d’efforts pour ratisser plus large et rallier les républicains plus modérés.

Résultat, il n’y a aucun mécanisme chez M. Trump pour endiguer ses impulsions, pour mettre un vernis de cohérence sur ses propos, pour s’entourer de gens compétents et les écouter.

Il n’y a pas de mécanismes internes pour introduire des éléments de raison ou de connaissance dans la prise de décisions. Bref, les contrepoids naturels ne jouent pas.

Plus Donald Trump est primaire, plus il marque de points auprès de son électorat d’inconditionnels. C’est aussi pour cela qu’on ne décèle pas chez le président la courbe d’apprentissage sur laquelle comptaient les optimistes. Pourquoi changer, pourquoi s’améliorer, si la recette donne les résultats escomptés ? Cela fait en sorte que l’absence d’intelligence dans les processus de décision est devenue un facteur incontournable avec lequel il faut composer.

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