OPINION

Le féminisme à la croisée des chemins

Devant le retour du refoulé que proposent le président américain et ses émules, nous aurons besoin d’un féminisme assumé et stratégique

Samedi, des milliers de femmes marcheront à Washington, mais aussi dans plus de 300 villes américaines et une trentaine de pays dont le Canada (notamment à Montréal), pour protester contre l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche.

Cette marche sera coprésidée par des figures de proue du militantisme américain, dont Angela Davis et Gloria Steinem. Elle comptera de nombreux contingents qui dénonceront la glorification des discriminations en tous genres que nous a servie le candidat Trump pendant la campagne électorale.

À la faveur de cette marche de Washington, un conflit émerge, prend de l’ampleur et oppose les féministes entre elles. C’est ce qu’illustrait le New York Times  le 9 janvier dernier en évoquant l’indignation d’une Américaine blanche de 50 ans à la suite de la lecture de commentaires sur la page Facebook de la Women’s March on Washington. En gros, une jeune militante afro-américaine reprochait aux Blanches de se soucier un peu tard du racisme, alors qu’elle-même, par son origine, dit connaître la peur depuis sa naissance. Piquée au vif, la dame a dit vouloir annuler sa participation.

Cela paraît anecdotique, mais fait écho à la montée de tensions entre femmes racisées et femmes blanches et démontre que le mouvement féministe, fait de plusieurs courants, est à un carrefour. Pour avoir participé à quelques débats sur le sujet du féminisme et de la diversité, j’ai moi-même constaté à quel point le malaise existe ici aussi, au Québec. Je dirai même que c’est un sujet tabou.

Une impasse ?

Dans un essai sur ce thème, les chercheuses Naïma Hamrouni et Chantal Maillé (Le sujet du féminisme est-il blanc ? Femmes racisées et recherche féministe, éditions du remue-ménage) écrivent : « Qui est le sujet “femmes” dont parle le féminisme québécois ? […] Qui fait partie de ce “Nous femmes”, et qui en est implicitement exclue ? »

Ce sont ces questions dont débat le féminisme intersectionnel :  les discriminations de races, de genres, de classes, ou contre les femmes qui vivent avec un handicap, se superposent et se croisent, laissant beaucoup de femmes, peut-être la majorité, dans les marges.

Certaines féministes blanches ont l’impression d’être devant une impasse et se sentent exclues ou inutiles dans cette bataille qui, disent certaines, n’est pas la leur. De leur côté, les féministes issues de la diversité considèrent leurs combats comme ignorés et se disent, elles aussi, exclues.

Stratégie nécessaire

Mais je me demande s’il est encore judicieux, comme féministe, de mener son combat selon sa spécificité (classe, origines raciales, orientation sexuelle, âge, etc.). Peut-on être féministe « à la carte » ? Les lois sur le droit de vote, sur l’équité salariale, sur le congé parental, sur le droit à l’avortement libre et gratuit, ont été votées pour changer la vie de toutes les femmes.

Ne vaut-il pas mieux encourager cette vision rassembleuse du mouvement ? Et le faire tout en combattant les différentes discriminations ?

Car au-delà des lois, le monde du travail, l’administration publique, la politique, l’économie, la culture sont des systèmes qui tardent à changer de l’intérieur. Ces structures dans lesquelles nous vivons sont lourdement discriminatoires, en raison de traditions et de règles qui ont favorisé certaines catégories de la population depuis longtemps. L’analyse féministe a été avant-gardiste en démontrant les effets de ces systèmes sur d’autres groupes.

Aujourd’hui, le féminisme intersectionnel montre le virage à prendre. Il n’y a pas de parcours objectif pour être féministe, notre action se nourrit des combats qu’il y a à mener. Mais comment les faire concorder et vers quoi les faire converger ? En 2017, devant le retour du refoulé que proposent le président américain et ses émules, nous aurons besoin d’un féminisme assumé et stratégique. Ce sera tout un défi.

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