Jeux panaméricains  Athlétisme

Quand une course change une carrière

Charles Philibert-Thiboutot est passé à un autre niveau en battant son record personnel par quatre secondes lors d’un 1500 mètres historique à Monaco, vendredi. À la veille de sa participation aux Jeux panaméricains, retour sur sa course.

TORONTO — Charles Philibert-Thiboutot se sentait comme un boxeur attendant son heure. Une victoire le propulserait au rang d’aspirant obligatoire à la ceinture. Une défaite l’écarterait du radar des promoteurs de galas prestigieux.

À la suggestion de son agent, le coureur de Québec s’était rendu à Nice à ses propres frais. Un désistement pouvait lui permettre de prendre part au 1500 mètres de la rencontre Herculis de Monaco, qui réunit chaque année le gotha de la discipline. « C’est un rêve de faire cette course quand tu es un coureur de demi-fond », dit-il.

Philibert-Thiboutot a reçu l’invitation espérée à 24 heures de l’événement. Pour avoir visionné des dizaines de fois l’épreuve des années précédentes, l’athlète de 24 ans savait exactement dans quoi il s’embarquait. Hors de question de suivre le rythme des lièvres chargés de mettre en orbite le Kényan Asbel Kiprop. Ni même de s’insérer dans le milieu du peloton. Dès le départ, il s’est placé à la queue, unique façon de rester en vie en fin de course.

Tandis que Kiprop, seul sur sa planète, se détachait, un groupe de neuf s’est formé. Un peu plus loin, Philibert-Thiboutot progressait dans un quatuor. Toujours dernier avec 600 mètres à faire, il s’est déporté vers la droite avant de produire une accélération. Un œil sur le cadran, il s’est appliqué à ne pas céder de terrain au groupe devant.

Douzième à l’arrivée, la récompense a pris la forme d’un chrono : 3:34,23. Il y croyait à peine : quatre secondes de mieux que sa marque personnelle, un bond de géant à ce niveau. Ce record provincial lui permet aussi d’atteindre, bien avant le temps, le standard A de qualification pour les Jeux olympiques de Rio de Janeiro. Au palmarès mondial, Philibert-Thiboutot occupe dorénavant le 20e rang en 2015. En clair, il est passé dans les grandes ligues.

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« Ça change ma carrière », constate Philibert-Thiboutot, rencontré mardi soir au stade d’athlétisme des Jeux panaméricains de Toronto, où il courra demain soir. Il a raconté comment, après sa course, incapable de fermer l’œil, il s’était promené jusqu’aux petites heures dans le port de Monaco. Il a perdu le contrôle de son téléphone, submergé de messages de félicitations.

Quatre jours plus tard, il s’émerveillait encore. « Il y a eu deux chocs en traversant la ligne : mon propre temps et celui du gagnant. C’est une chance incroyable que j’aie pu courir dans cette course. J’ai vécu quelque chose de vraiment spécial. »

Avec un temps de 3:26.69, Kiprop est devenu le troisième performeur de l’histoire sur 1500 mètres. Seuls Hicham El Guerrouj (3:26,00) et Bernard Tergat (3:26,34) ont fait mieux que le Kényan. Dans le sillage éloigné du champion olympique, neuf autres coureurs ont fait 3:30 ou moins dans le stade Louis II de Monaco, une première.

« Pour moi, c’était beaucoup une question de gestion personnelle, note Philibert-Thiboutot. Même si c’était une course ultrarapide, je ne pouvais pas juste mettre mon cerveau à off et m’accrocher aux gars devant. Ce sont les meilleurs du monde et je ne suis pas tout à fait rendu là. »

Il y avait aussi le risque de ne pas être à la hauteur. « Si je ne suis pas capable de livrer la marchandise, non seulement je vais avoir l’air fou, mais ils ne voudront plus jamais me reprendre en Ligue de diamant. C’est une opportunité incroyable de faire un bon temps, mais si tu la rates, tu retournes à la case départ, un peu comme dans un jeu de serpents et échelles. »

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Pour ses premiers grands Jeux, Philibert-Thiboutot détient le meilleur temps de l’année parmi les participants au 1500 mètres de Toronto. Avec une finale à 14 (deux de plus que la norme), il se méfie des accrochages que pourrait provoquer une course tactique. Il estime qu’une demi-douzaine de coureurs peuvent prétendre au podium, dont lui.

« On peut m’envoyer n’importe quoi, une course lente, une course rapide, je vais être prêt », affirme l’étudiant au deuxième cycle en relations publiques à l’Université Laval. 

« Je ne peux pas l’échapper. C’est à Toronto, à la “maison”, tout le monde va regarder ça à la télé nationale. C’est vraiment une belle façon de se faire voir. J’ai l’intention de me faire connaître à travers ça. »

Seul regret de sa prestation monégasque, il a réalisé le standard des Mondiaux de Pékin deux semaines trop tard, selon les normes strictes d’Athlétisme Canada. Il garde encore espoir de convaincre la direction de l’équipe.

D’une manière ou d’une autre, Philibert-Thiboutot connaît sa prochaine destination : la Ligue de diamant de Stockholm, jeudi prochain. Cette fois, hôtel et voyage sont payés par les organisateurs et son dossard, garanti.

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