À ma manière

Les 42 scénarios du Cinéma du Parc

L’aventure : le directeur du Cinéma du Parc Mario Fortin assoit le financement des nouveaux fauteuils avec l’émission d’obligations communautaires. La manière : commencer par apprendre ce qu’est une obligation communautaire.

Vous ne savez pas ce qu’est une obligation communautaire ?

Le directeur général du Cinéma du Parc, Mario Fortin, l’ignorait lui aussi, jusqu’à ce qu’on lui propose cette solution pour financer le remplacement des fauteuils de son établissement.

Un peu à la manière d’obligations gouvernementales, les obligations dites communautaires sont des titres de créance qui ont une valeur nominale, qui portent intérêt à échéance, mais que seuls des organismes à but non lucratif peuvent émettre.

En novembre dernier, Mario Fortin annonçait donc l’émission de 200 obligations communautaires d’une valeur nominale de 500 $, pour un total de 100 000 $.

« Ce sont les gens du TIESS, les Territoires innovants en économie sociale et solidaire, qui nous ont approchés », narre-t-il.

C’était au début de 2016.

Les TIESS voulaient introduire au Québec cette stratégie de financement social, utilisée depuis quelques années en Ontario mais pratiquement inconnue ici. L’organisme a contacté quelques entreprises à vocation sociale, dont le Cinéma du Parc, question de s’en servir comme fer de lance.

Mario Fortin y a vu un complément à son arsenal de sources de financement alternatif.

« Il y a de moins en moins d’aide disponible de la part de l’État et il faut chercher de nouvelles façons de faire, des nouveaux outils et des nouveaux amis ! »

— Mario Fortin

En formation en compagnie d’avocats et de comptables, il apprend avec les TIESS les rudiments juridiques des obligations communautaires.

« Par exemple, on n’a pas le droit de fonctionner avec un courtier », indique-t-il.

Il doit donc solliciter directement le public – « nos amis ».

L’important dossier des fauteuils

« J’ai une longue liste d’épicerie de tout ce que j’aimerais améliorer au Cinéma du Parc », confie le directeur.

Le coût des nouveaux projets prévus au cours des prochaines années s’élève à 460 000 $.

Les écrans des trois salles du cinéma avaient été remplacés lors de la première phase de rénovation, en 2013. Le changement des fauteuils est la priorité de la deuxième phase : une fois que les yeux sont satisfaits, on pense à soulager une autre partie essentielle de l’anatomie.

La facture pour les 500 sièges des trois salles devrait atteindre 150 000 $.

L’émission d’obligations constitue l’assise du projet. « C’est là-dessus qu’on va être capable d’asseoir le reste de notre financement », exprime-t-il avec à-propos.

Il commence par deux salles sur trois. Il a donc besoin de 100 000 $.

Mais pourquoi seulement deux salles ? Pourquoi ne pas demander 150 000 $ immédiatement ?

Ce dilemme l’a occupé pendant le plus clair de l’été 2016.

Des scénarios pour le Cinéma

« La partie la plus difficile, ç’a été de dire : qu’est-ce qu’on fait ? On fait une émission de 25 000 $, de 50 000 $, de 1 million ? »

Car tous les paramètres sont à la fois variables et interdépendants, et il s’agit d’établir le bon dosage.

« Est-ce qu’il aurait été préférable d’emprunter 50 000 $ à la banque et d’émettre seulement 50 000 $ d’obligations ? Il faut calculer : à la banque, j’aurais payé 5 ou 6 % d’intérêt. Ça semble une bonne décision de donner seulement 2 % d’intérêt sur nos obligations, mais est-ce que je vais obtenir mes 100 000 $ ? »

Et une fois l’objectif fixé, comment l’atteindre ? Faut-il émettre 100 obligations à 1000 $ ? Ou 1000 obligations à 100 $ ?

Des scénarios pour le Cinéma

D’où proviennent les réponses ? « De nuits d’insomnie », répond-il. Il n’y a pas de bonnes réponses, il faut juste s’assurer qu’on n’a pas choisi une mauvaise. »

Le directeur du Cinéma du Parc a appris « à être un expert des scénarios, avec 42 versions du même chiffrier Excel ».

Il fait varier les paramètres, évalue les conséquences, « pour limiter le nombre de scénarios, et passer de 40 à 20, à 10, à cinq, pour n’en garder qu’un seul ».

« En espérant que celui-là sera le bon », ajoute-t-il.

Plus long que prévu

Au début de septembre, le scénario est à peu près arrêté. Mario Fortin visite des organismes ontariens qui ont émis des obligations communautaires, pour comprendre les enjeux et les responsabilités qu’il aurait à endosser. 

« C’est le suivi des investisseurs, les garder au courant de ce qu’on fait avec leur argent. C’est là qu’est la clé du succès. Ce sont des amis, et il faut qu’ils restent des amis. »

— Mario Fortin

Il faut ensuite rédiger un document d’information d’une trentaine de pages.

« Ç’a été long de mettre toutes les choses en place. Il y a eu beaucoup de discussions avec des avocats, des comptables, des notaires. »

Plusieurs de ces professionnels ont travaillé pro bono – gratuitement, pour le bien public.

« Mais quand on demande un avis professionnel et qu’ils nous disent qu’ils vont nous répondre seulement dans trois semaines, on attend trois semaines. »

La démarche a été plus longue qu’il l’imaginait au départ. « J’aurais aimé que ça bouge plus rapidement. »

Zut, les Fêtes !

L’accumulation des étapes et des délais le mène au milieu de l’automne.

À la fin d’octobre, il annonce l’émission de ses obligations, dont la vente s’étendra du 1er novembre 2016 au 31 janvier 2017.

« Si on a fait une erreur, et je le reconnais, c’est peut-être d’avoir décidé de lancer ça en novembre. Avant les Fêtes, ce n’était pas le meilleur moment. Le monde arrête de tourner pendant deux mois. »

Pendant ces deux mois, il ne vend pratiquement rien. « Peut-être deux obligations avant Noël. »

Les ventes décollent lentement le 5 janvier. Au moment de l’entretien, il ne restait que 12 jours avant l’échéance du 31 janvier, et le plein n’est pas encore fait.

« Il en reste encore pas mal », convient-il, sans vouloir avancer de chiffre.

« C’est le sprint final, on va mettre les bouchées doubles pour aller chercher les derniers amis qu’il nous reste à convaincre. »

« Juste ce matin, je peux vous dire que depuis 10 h, je suis allé chercher 10 000 $. »

Fin de l’histoire

La plupart des acheteurs n’acquièrent qu’une seule obligation.

« Mais pour ceux qui en achètent plus qu’une, j’ai des 3000 $, des 5000 $, et j’ai un 10 000 $. 

 – Celui de ce matin ?

 – Oui ! »

Il s’esclaffe. « Ça fait longtemps que je le travaillais ! »

Et lui-même acquiert-il des obligations ?

« J’en achète pour mes petits-fils. Ils vont avoir chacun une obligation. J’en achète trois. »

Trois petits-fils, 1500 $.

Il a confiance que le scénario se terminera bien.

Les obligations communautaires du Cinéma du Parc

Émetteur : Corporation du Cinéma du Parc

Vente : du 1er novembre 2016 au 31 janvier 2017

Date d’émission : 1er février 2017

Date d’échéance : 31 janvier 2022

Valeur nominale : 500 $

Émission totale : 100 000 $

Taux d’intérêt annuel : 2 %

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