Chronique : Santé

Le chaînon manquant

Les données du dernier recensement nous ont appris cette semaine que la proportion des personnes âgées augmentera sensiblement, et même qu’elle explosera dans le cas des groupes très âgés, les octogénaires, les nonagénaires et les centenaires.

On sait que les dépenses de santé augmentent de façon exponentielle avec l’âge : moins de 5000 $ par année avant 65 ans, 10 000 $ de 75 à 79 ans, 15 000 $ de 80 à 84 ans, 25 000 $ au-delà. Le vieillissement exerce dont une forte pression sur un système de santé déjà à sa limite.

On sait que l’espérance de vie fait des progrès. À 65 ans, un Québécois peut, en moyenne, s’attendre de vivre jusqu’à 85 ou 90 ans. Et ça augmente. Le grand défi, c’est de conserver une qualité de vie dans ces années volées à la mort, et donc de travailler pour améliorer l’espérance de vie en santé.

On sait que ces progrès sont possibles. On peut faire beaucoup en réduisant l’incidence des maladies chroniques évitables, par le dépistage, la vaccination, la prévention, la promotion de saines habitudes de vie – alcool, tabac, mauvaise alimentation, sédentarité.

On sait enfin que ces efforts en amont ne font pas qu’améliorer la qualité de vie et réduire la pression sur le système de santé. « La prévention constitue souvent un moyen plus efficace d’améliorer la santé que de dépenser de l’argent dans le traitement des maladies », note l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui en fait une des pistes de l’arsenal pour contenir l’explosion des coûts de santé.

Et on ne le fait pas.

Il y a là une aberration.

Ces interventions, réunies sous le chapeau de la santé publique, sont le chaînon manquant qui permettrait à notre système de santé d’atteindre l’excellence.

Pas seulement dans le cas des personnes âgées, dont je me suis servi pour illustrer notre illogisme collectif, mais pour tous, par exemple l’obésité des enfants.

Mais la santé publique est un parent pauvre. Depuis la crise, plusieurs pays ont désinvesti, ce que l’OCDE qualifie « d’économie de bout de chandelles ». Au Canada aussi, où une spécialiste de santé publique, Ak’ingabe Guyon, déplorait hier, dans ces pages Débats, une « tendance alarmante ».

Ce recul est plus marqué au Québec, qui était déjà un cancre en la matière. « Entre 1975 et 2015, la part du budget consacré à la santé publique en Ontario et en Colombie-Britannique a plus que doublé. Au Québec, cette part a diminué », a noté le commissaire à la santé et au bien-être dans son récent rapport sur la performance du système de santé québécois. L’Association pour la santé publique du Québec note que ce poste ne représente qu’à peine 2 % des dépenses de santé au Québec mais 5,5 % en Ontario et 6,6 % en Colombie-Britannique.

Pourquoi ? Certainement parce qu’en période de difficulté budgétaire, le réflexe, c’est de faire des coupes où ça ne paraît pas et où ça ne fait pas mal, du moins immédiatement, pour épargner ce qui est visible, comme les urgences.

C’est d’autant plus tentant que la santé publique œuvre dans le long terme.

Les véritables gains – le fait que les gens seront épargnés par la maladie – se manifestent sur des décennies.

L’horizon temporel des politiciens, c’est quatre ans, celui du débat public, quatre jours !

Cela tient aussi à un choc de cultures au sein du monde de la santé, dominé par une approche curative – hôpitaux, cliniques –, plus porté à guérir qu’à prévenir. Avec une pratique orientée vers le traitement de patients un à un, tandis que la santé publique repose davantage sur des programmes populationnels. Son champ d’intervention est en outre plus social, plus global, et tient compte de variables comme l’environnement ou la pauvreté. Il faut dire que la santé publique n’a pas aidé sa cause avec un militantisme qui l’a souvent éloigné du cœur de sa mission.

On devine sans peine le choc encore plus marqué avec un ministre comme Gaétan Barrette et sa conception traditionnelle de la médecine. Il a par exemple démantelé des volets des activités de santé publique des CLSC. Les crédits pour la santé publique de son Ministère sont d’ailleurs passés de 458,6 millions il y a trois ans à 423,7 millions cette année.

Il y a un autre élément. Les gens aiment qu’on règle leurs problèmes : une visite chez le médecin, une prescription. Mais en prévention et en promotion de la santé, le succès repose aussi sur leur participation, leurs efforts, leurs changements de comportements. Ce qui ne suscite pas nécessairement l’enthousiasme.

Mais il y a un argument de gros bon sens. En éducation, on sait que la réussite scolaire commence aux CPE. Dans notre vie quotidienne, on sait que, pour l’auto ou la maison, il faut régler les problèmes avant qu’il ne soit trop tard. La santé, c’est pareil.

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