Analyse

Ottawa flaire l’odeur de fin de régime à Québec

Ottawa — Ne désirant pas être pris au dépourvu, et prenant note des récents sondages qui accordent une avance à la Coalition avenir Québec (CAQ) dans les intentions de vote, les libéraux de Justin Trudeau se préparent discrètement à un changement de régime à Québec à compter du 1er octobre.

Déjà, les diverses propositions mises de l’avant par la formation caquiste de François Legault sont analysées par les mandarins fédéraux afin d’évaluer l’impact qu’elles pourraient avoir sur les relations entre les deux capitales – une pratique courante qui est menée à la veille des scrutins dans les provinces les plus importantes au pays.

Si Justin Trudeau et l’actuel premier ministre du Québec Philippe Couillard ont entretenu des relations de travail étroites et cordiales depuis 2015, et que les deux hommes ont des atomes crochus, il n’est pas question de s’immiscer dans la bataille électorale qui sera bientôt déclenchée au Québec, même si l’on souhaiterait, dans les cercles du pouvoir, la réélection des troupes libérales, question d’assurer une certaine stabilité sur le front des relations fédérales-provinciales après la victoire de Doug Ford en Ontario.

« Nous allons suivre la campagne avec beaucoup d’intérêt, mais il n’est pas question que l’on intervienne de quelque manière que ce soit. La décision appartient aux électeurs du Québec », a-t-on indiqué hier dans les rangs libéraux fédéraux.

« Le premier ministre Justin Trudeau ne s’est pas mêlé de la campagne électorale en Ontario, même si l’ancienne première ministre Kathleen Wynne était une alliée importante. Il va suivre la même règle pour ce qui est de la campagne au Québec. »

— Un stratège libéral

Deux ministres influentes – la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland et la ministre des Services aux Autochtones Jane Philpott – ont tout de même pris le temps de participer à un événement de campagne aux côtés de Kathleen Wynne deux semaines avant la cinglante défaite des libéraux provinciaux en Ontario. Mais ce fut là la seule incursion fédérale dans la campagne.

Mais au Québec, les ministres québécois du gouvernement Trudeau – Marc Garneau (Transports), François-Philippe Champagne (Infrastructures et Collectivités), Mélanie Joly (Tourisme et Francophonie), Pablo Rodriguez (Patrimoine), Diane Lebouthillier (Revenu national), Jean-Yves Duclos (Famille et Développement Social) et Marie-Claude Bibeau (Développement international) devront s’abstenir de prendre parti en faveur d’un parti ou d’un autre durant la campagne.

Avant le déclenchement des hostilités, les ministres du gouvernement Trudeau et ceux du gouvernement Couillard multiplieront tout de même les annonces dans les différentes régions du Québec. Aujourd’hui, Marc Garneau sera à Matane en compagnie du ministre provincial délégué aux Affaires maritimes Jean D’Amour pour une annonce sur les ports. Également aujourd’hui, François-Philippe Champagne et Jean-Yves Duclos seront à Québec pour une cérémonie marquant le début des travaux d’élargissement et de réfection de l’autoroute Henri-IV en compagnie de la ministre déléguée aux Transports du Québec, Véronyque Tremblay, et du ministre de l’Éducation Sébastien Proulx.

Il faut dire que l’absence du débat sur l’indépendance du Québec et les faibles appuis qu’obtient son principal promoteur, le Parti québécois, facilitent la discrétion que comptent s’imposer les troupes de Justin Trudeau. « La menace séparatiste ne sera pas un facteur durant cette élection », a-t-on aussi fait valoir.

Les conservateurs d’Andrew Scheer comptent se montrer tout aussi discrets.

« Le mot d’ordre qu’on s’est donné, c’est qu’on ne touche pas à ça. Et ça inclut aussi les réseaux sociaux. Nous avons des militants conservateurs qui appuient soit le Parti libéral ou la CAQ. Donc, il faut faire preuve de prudence. »

— Une source conservatrice qui a requis l’anonymat

Mais chez les conservateurs, on ne voit qu’un seul scénario possible à l’horizon le soir des élections au Québec : une victoire sans appel de la CAQ. « La soif de changement est tellement forte que c’est impossible d’imaginer un autre scénario », a-t-on fait valoir.

Après l’arrivée au pouvoir de Doug Ford en Ontario, qui a déjà aligné plusieurs de ses canons en direction d’Ottawa pour attaquer le gouvernement Trudeau, en retirant notamment la province de la Bourse du carbone et en soutenant une démarche devant les tribunaux entreprise par la Saskatchewan pour contester le droit d’Ottawa d’imposer une taxe sur le carbone, la possible élection d’un gouvernement caquiste à Québec ne provoque pas les mêmes craintes d’affrontement.

« La CAQ a déjà indiqué qu’elle ne veut pas retirer le Québec de la Bourse du carbone. C’est rassurant. Aussi, on nous assure que les questions identitaires ne seront pas la grande priorité de la CAQ, mais que les familles et l’économie seront au cœur de ses priorités. Nous avons les mêmes priorités, soit les familles de la classe moyenne et l’économie. Donc, on va se rejoindre sur ces questions », a-t-on affirmé dans les rangs libéraux.

Mais des accrochages sont tout de même possibles. « Si la CAQ l’emporte en octobre, il risque d’y avoir quelques accrochages quant à la vision du fédéralisme et de l’identité. Même si le dossier identitaire n’est pas nécessairement une priorité pour la CAQ, on sait que ce dossier peut s’imposer en fonction de l’actualité. Sur cette question, les deux formations sont diamétralement opposées. […] Il y a aussi le dossier de l’immigration illégale. Un gouvernement caquiste se ferait sans doute beaucoup plus revendicateur que l’actuel gouvernement du Québec », souligne Carl Vallée, ancien proche collaborateur de Stephen Harper, aujourd’hui associé chez HATLEY à Montréal.

Justin Trudeau entend convoquer ses homologues provinciaux à une rencontre à l’automne afin de discuter des barrières qui limitent toujours le commerce interprovincial, entre autres dossiers. Il attend l’issue des élections au Québec pour annoncer la date de cette rencontre. Si les sondages qui annoncent une victoire de la CAQ se concrétisent, M. Trudeau pourrait accueillir à Ottawa un nouveau premier ministre du Québec qui autrefois prêchait les vertus de la souveraineté.

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