Ski de fond

Alex Harvey repart à neuf

Saint-Ferréol-les-Neiges — Saint-Ferréol-les-Neiges portait bien son nom en ce matin brumeux de la fin d’octobre. La piste asphaltée du centre de ski de fond du Mont-Sainte-Anne étant impraticable, Alex Harvey nous avait donné rendez-vous au Faubourg olympique, en bas de l’avenue Royale, là où le thermomètre indiquait deux degrés Celsius.

Dans ce nouveau quartier résidentiel, une douzaine de membres du centre national Pierre-Harvey battaient le bitume mouillé en skis à roulettes. « Alex est plus loin », a indiqué son entraîneur Louis Bouchard. On a descendu la rue de Coubertin, croisé celle de Calgary avant de tourner sur Nagano. Pas de trace de notre sujet du jour.

On l’a retrouvé un peu plus bas, dans la côte de la rue de Sarajevo, la ville où son père a disputé ses premiers Jeux olympiques d’hiver, avant sa participation historique aux Jeux d’été de Los Angeles, en cyclisme sur route. En 1988, Pierre Harvey avait conclu sa carrière olympique à Calgary, d’où il était revenu bredouille et écœuré par le dopage présumé de ses principaux adversaires.

À 28 ans, Alex entame la ligne droite ultime qui le mènera à ses troisièmes et peut-être derniers Jeux olympiques, à Pyeongchang, en Corée du Sud, dans moins de 15 mois. Avec une Coupe du monde à Québec et les Mondiaux en Autriche, il disputera au moins une autre saison en 2019. Après, il ne sait pas.

Les boys vieillissent. Devon Kershaw, son grand ami, sera nouveau père en janvier. Il prévoit s’arrêter en 2018, comme le sprinteur Len Valjas. Ivan Babikov s’est retiré à la fin de la saison passée pour accepter un poste de coach dans l’équipe canadienne.

« Ce qui est dur, ce n’est pas l’entraînement ou la compétition, c’est être parti cinq mois de suite chaque année », souligne Harvey, qui poursuit toujours un baccalauréat en droit à l’Université Laval. « On tripe sur la route, on a du fun en masse. On est vraiment de bons chums. Après, quand la dynamique change, ça peut devenir plus long. Il y a plein de choses à considérer. »

« Sa plus grosse année d’entraînement à vie »

Après sa séance, il nous reçoit à la maison, là où la neige n’a pas fondu. Les lieux, dépouillés, n’ont pas changé depuis notre dernière entrevue ici en 2011, hormis le panache d’orignal accroché au mur, cadeau de son beau-père, et les nombreux livres de cuisine, un dada de son amoureuse. Des orignaux bien vivants viennent parfois leur faire coucou dans la cour le matin.

À pareille date l’an dernier, Harvey affichait son ambition de remporter le globe de cristal de la Coupe du monde. Opéré aux deux artères iliaques, il n’était plus limité dans les efforts répétés sur terrain pentu.

Mais les deux mois loin du gym durant sa convalescence l’ont touché plus que prévu. Privé de puissance, il a peiné en sprint, mais s’est surpris dans les épreuves en départ individuel, comme cette deuxième place à Ruka pour entamer la saison.

« Si on veut, mes forces sont devenues mes faiblesses, et vice versa », résume Harvey, qui a terminé septième au classement général. « C’est comme si on avait complètement retourné les cartes. » Le quadruple médaillé aux Mondiaux a rééquilibré les choses et repris les quatre kilos perdus.

« C’est sa plus grosse année d’entraînement à vie, confirme Bouchard, son coach depuis plus de 10 ans. Tout était positif, tout le temps. »

Nouveaux skis

Harvey s’enthousiasme aussi pour un changement majeur sur le plan matériel. Après avoir passé toute sa vie sur Fischer comme son père, il skiera désormais sur Salomon.

Même s’il est réticent à en parler, le fartage fut encore problématique l’hiver dernier, particulièrement en classique. « C’est normal de manquer notre coup trois, quatre, cinq fois par saison, estime-t-il. L’an passé, c’est arrivé quasiment dix fois. C’est le tiers des courses. »

Au fil de la saison, les techniciens canadiens ont réalisé que les skis de Babikov, seul membre de l’équipe sur Salomon, étaient souvent les plus rapides lors des tests qui suivent chaque épreuve. À l’heure des bilans, à la conclusion du Ski Tour Canada, ils en ont fait part au fondeur étoile, l’incitant à poursuivre des essais en France.

Harvey s’est fait un peu tirer l’oreille. « J’y suis allé juste parce que les gars ont dit : “Tu n’étais pas content, l’année a été vraiment difficile, ça fait partie de ta job d’aller au moins essayer.” »

Repoussant ses vacances d’une semaine, Harvey a rempli deux sacs de ses meilleurs Fischer et s’est rendu à La Clusaz, où l’attendaient des gens de Salomon et le technicien-chef de l’équipe canadienne, Yves Bilodeau. Ce dernier s’est chargé de « zéroter » les bases à des fins de comparaison.

À la surprise du duo, le nouveau matériel s’est imposé sur toute la ligne.

« Il fallait que Salomon trouve de meilleurs skis que ceux que j’avais à ce moment-là. Ç’a été le cas. Ils ont même été capables de “battre” tous mes skis dans toutes les conditions [de neige]. »

— Alex Harvey

Le fabricant français lui assurera le soutien personnalisé que ne pouvait lui offrir son concurrent autrichien, qui dessert les trois quarts du peloton.

À la table de la cuisine, Harvey fait apparaître un fichier sur son écran d’ordinateur. Il contient les 46 paires de ski sélectionnées et testées sur neige pour lui par son nouveau partenaire. Chacune est numérotée avec le lieu de fabrication et des codes indiquant la flexibilité, le type de base, de structure, etc. Du charabia pour le non-initié, de la musique aux oreilles de l’expert-fondeur.

« Avec ça, quand tu arrives dans le truck le matin de la course, tu sais quels skis sortir. » Les tests se sont poursuivis cette semaine à Davos pour apporter d’autres ajustements à sa nouvelle « flotte ».

Avec le Français Maurice Manificat, lui aussi double médaillé aux derniers Mondiaux de Falun, Harvey devient « numéro un » pour Salomon, qui l’équipait déjà en bottes et bâtons.

Autre atout majeur : l’entreprise lui fournira un « ski-testeur » qui l’accompagnera en piste et l’aidera à choisir la paire la plus performante avant les courses. En cette période d’austérité à Ski de fond Canada, celui-ci comblera les absences de Lee Churchill, le « ski-testeur » maison.

Objectif : une médaille 

L’embauche de deux nouveaux techniciens, un Italien et un Slovène, devrait procurer plus de stabilité à l’équipe en cette saison marquée par les Championnats du monde de Lahti, en Finlande. Harvey en a fait son grand objectif de 2017. Avec au moins un podium à chacun des trois Mondiaux précédents, il admet que « la barre est haute ».

« Une médaille, c’est sûr que c’est l’objectif », dit celui qui pense se présenter à cinq des six épreuves, « peut-être six ».

Afin de maximiser sa préparation, Harvey n’ira pas à la Coupe du monde préolympique de Pyeongchang, début février. À l’invitation du Comité olympique canadien, il se rendra plutôt en Corée du Sud à la fin de la saison, pour un voyage de familiarisation. Le plus grand espoir du ski de fond canadien ne laisse rien au hasard. Qui sait si une prochaine rue du Faubourg olympique de Saint-Ferréol ne s’appellera pas Pyeongchang ?

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