CATASTROPHES DE MASSE

« La psychiatrie n’est pas super bien outillée »

En constatant l’ampleur des attentats terroristes de Paris, Alain Brunet n’a pas hésité. Il a « pris ses Air Miles » et il a sauté dans un avion.

Alain Brunet est directeur de la division de recherche psychosociale de l’Institut Douglas, à Montréal. Sa spécialité, c’est l’impact des événements traumatiques sur l’humain. Des événements comme les attentats de Paris, qui ont fait 130 morts et 400 blessés le soir du 13 novembre. 

Il en connaît les conséquences dévastatrices et il a mis au point, au fil des dernières années, une toute nouvelle manière de les soigner beaucoup plus vite et plus simplement que n’importe quel traitement déjà existant.

« Quand j’ai vu ce qui était arrivé, je me suis dit : ça n’a pas de bon sens. On ne peut pas laisser ça comme ça. Les services vont être complètement débordés », raconte M. Brunet, de son bureau de l’Institut Douglas.

Entre 3000 et 5000 personnes souffrent de troubles psychologiques de toutes sortes depuis les événements de Paris, indique-t-il. Des blessés, des témoins, des secouristes. 

« Quand tu ramasses un corps défiguré, toi aussi, tu es une victime. »

— Le professeur Alain Brunet

Combien d’entre elles ont développé un stress post-traumatique ? « Quinze pour cent ? Cinquante pour cent ? On ne sait pas », dit l’expert.

Mais des gens hantés par un souvenir qui revivent en boucle une scène d’horreur, qui ont peur de prendre le métro ou de manger sur une terrasse, qui n’arrivent plus à se concentrer, qui souffrent et qui ont besoin d’aide, il y en a.

Malheureusement, croit M. Brunet, la psychiatrie « n’est pas super bien outillée pour faire face aux catastrophes de masse ». Les traitements actuels, soit les antidépresseurs et la psychothérapie, sont longs et douloureux.

C’est avec tout ça en tête qu’Alain Brunet a, de son propre chef, pris contact à la fin de 2015 avec des amis et des connaissances du milieu de la psychologie en France pour proposer son aide. De fil en aiguille, on l’a mis en contact avec le directeur général de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (APHP), Martin Hirsch, à la tête d’une quarantaine d’établissements de santé de la capitale française. 

Ils se sont rencontrés en décembre, et M. Brunet lui a proposé d’offrir son nouveau traitement, qui ne prend que six semaines, aux victimes des attaques terroristes dans le cadre d’un projet de recherche sans précédent. La réponse a été favorable.

Depuis, le Montréalais a formé 100 psychologues et psychiatres parisiens à sa technique, que les Français appellent déjà la « méthode Brunet ». D’ici quelques semaines, 14 hôpitaux accueilleront les premiers patients. Alain Brunet en attend au moins 400, mais il s’engage « à voir tous ceux qui [les] contacteront pour une évaluation ».

GUÉRIR EN SIX SÉANCES

Pour soigner les victimes, Alain Brunet propose de reprogrammer leurs souvenirs. Le traitement (voir autre onglet) consiste en six séances hebdomadaires d’une quinzaine de minutes chacune, lors desquelles le patient est invité à se remémorer l’événement traumatisant sous l’influence d’un médicament qui atténue les émotions. L’idée a fait ses preuves. Trois essais cliniques – un au Québec, un au Népal (avec des victimes de la guerre civile) et l’autre en France – ont déjà eu lieu.

À titre comparatif, une psychothérapie pour soigner un stress post-traumatique nécessite au moins 18 heures de traitement, généralement étalées sur 18 semaines.

Les antidépresseurs commencent à faire effet entre 6 et 12 semaines après le début de la prise des médicaments, qui doivent être utilisés durant au moins un an. Entre le quart et le tiers des patients adultes abandonnent en cours de route à cause des effets secondaires – dont la prise de poids et les difficultés sexuelles.

Les résultats de la « méthode Brunet » seront comparés à ceux des traitements traditionnels. Si les résultats sont aussi probants que par le passé, ils pourraient permettre de guérir rapidement de nombreuses victimes de situations d’urgence semblables aux attentats de Paris ailleurs dans le monde, espère le chercheur.

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